De ce côté-ci de la Manche, l’Austin Seven est plutôt méconnue. On dit qu’elle est née après que le gouvernement anglais eut fait pression sur Sir Herbert Austin pour qu’il étudie une petite voiture, afin de motoriser les îles britanniques.
La Seven sort en 1922. C’est un succès et grâce à elle, Austin s’impose comme LE spécialiste Britannique de la « popu ». La Seven fait partie du paysage. C’est le début d’une épopée. Grâce à elle, Austin pourra s’associer à Morris et former BMC dans les années 50. Puis BMC deviendra BLMC, Austin-Rover, Rover Group, MG-Rover…
Les dérivés prestigieux
En voyant la modeste Seven, on aurait du mal à l’imaginer en voiture de luxe. Et pourtant…
Avant la Seven, la classe moyenne roulait en sidecar. Un bon moyen pour véhiculer sa petite famille à moindre frais. L’arrivée de l’Austin finit par tuer les sidecars « familiaux ». Un coup dur pour les artisans comme la Swallow Sidecars de Coventry. William Lyons, le cogérant, a une idée: puisqu’il a l’outillage et les ouvriers, Swallow fera des carrosseries luxueuses pour Austin Seven ! En 1926, Lyons négocie la fourniture de châssis nus. William Walmsley, l’autre patron, n’aime pas les engins à quatre roues et il claque la porte.
Lyons poursuit seul. A partir de 1931, il veut aller plus loin et produire ses propres châssis. Sous la marque SS, Lyons s’enhardit et ses créations sont de plus en plus sportives. En 1936, la SS 100 place l’artisan sous les feux de la rampe. Puis en 1945, pour d’évidentes raisons, le mot « SS » est tabou. Lyons renomme son entreprise « Jaguar » et la suite, vous la devinez…
Dans les années 30, 40, il y a de nombreuses Seven d’occasion. C’est un « permis jeune » idéal. En 1948, un gars de 20 ans roule justement en Seven. Un certain Colin Anthony Bruce Chapman. Comme beaucoup de personnes de cet âge, il se tâte. Il étudie l’ingénierie aéronautique car il rêve de voler. La RAF lui propose un poste de pilote et il abandonne l’école… Mais il laisse tomber l’armée peu après et le voilà ingénieur chez un fabricant d’aluminium. Notre homme décide d’utiliser ses connaissances pour bricoler sa voiture. Puis il se lance dans les épreuves de trial. Enfin un truc qui lui plait !
A partir de là, il veut construire entièrement une voiture de course en aluminium. Pour financer sa carrière, il vend ses créations. Son père possède un pub avec un appenti derrière. L’appenti sert d’atelier improvisé et les châssis nus sont entreposés entre deux fûts! Et c’est là que Lotus naîtra…
Bruce McLaren aura également une Seven. Un cadeau d’anniversaire pour ses 16 ans. C’est avec elle qu’il découvre la mécanique. Par contre, il ne l’alignera pas en course.
Autour du monde
Austin est alors uniquement présent en Grande-Bretagne. Exporter est alors compliqué, entre les surtaxes, la création d’un réseau… La solution de facilité, c’est de vendre une licence de fabrication à un industriel local. C’est ainsi qu’en 1927, l’Allemand Dixi obtient la licence de fabrication. Il paye des royalties sur chaque exemplaire. C’est un carton: 9 000 unités en 2 ans. Mais l’Allemagne va mal économiquement et Dixi fait faillite. A la même époque, un fabricant de motos, BMW, veut se diversifier dans l’automobile. Il rachète Dixi. L’astuce de BMW, c’est de modifier la voiture et de dire à Austin: « Ce n’est plus une Seven, c’est une création originale de BMW! » Donc plus de royalties à payer et davantage de marge ! Le constructeur continuera ses évolutions par petites touches. Puis en 1933, l’ex-Dixi-Austin s’offre une calandre bombée à deux haricots et devient 303. Les voitures suivantes n’auront plus rien à voir avec la Seven. Mais sans elle, point de BMW.
En 1930, American Bantam prend une licence pour les Etats-Unis. Cette fois, pas d’entourloupe; Bantam paye ses droits. Mais les American Austin ne se vendent pas. Même une fois transformés en premium : les Américains préfèrent (déjà) le full size.
Pour écouler les stocks, Bantam fait du lobbying auprès de l’armée US. La Seven étant légère, elle peut faire un véhicule tout-chemin. En 1940, l’US Army passe un appel d’offre, mais pour un 4×4. Karl Probst transforme la Bantam en 4×4. La voiture plaît, mais l’armée n’a aucune confiance en les capacités industrielles du constructeur. Du coup, elle file les plans aux deux autres candidats, Ford et Willys ! La Willys MB sera très proche de la Bantam, donc de la Seven. Elles ont ainsi le même empattement.
Après la guerre, la Willys sera elle-même vendue à des alliés des Américains. Elle mettra le pied à l’étrier de Mahindra, Mitsubishi et Ssangyong, qui se serviront d’elle pour concevoir d’autres 4×4. On peut donc dire que le Pajero descend indirectement de l’Austin Seven ! Et c’est sans compter tous les constructeurs de 4×4 qui ont désossé une Jeep pour en découvrir les secrets (comme Land Rover, Toyota avec le Land Cruiser, etc.)
Copier/coller
En matière d’agitation de majeur, Datsun fera mieux que BMW ! Comme tous les constructeurs japonais, Datsun n’arrive pas à industrialiser ses voitures. Même en rachetant d’autres aspirants-constructeurs. L’archipel n’a aucun savoir-faire et la production du « Model 10 » se compte avec les doigts de la main. En 1932, les ingénieurs ont une idée: puisque la voiture japonaise ne fonctionne pas, autant copier ce qui marche! La « Model 12 » est un vil clonage de la Seven : mêmes dimensions, même moteur 800cm3, même carrosserie, etc. Pour la chaine de productions, les ingénieurs visitent une usine de Ford (qui montre fièrement ses sites à ses concurrents.) Et grâce à cela, Datsun arrivera enfin à produire des voitures! Notez qu’à la fin des années 50, Datsun/Nissan produira de vrais Austin, en payant une licence.
Il y a bien failli y avoir un deuxième clone de Seven, chinois cette fois. En 1929, un groupe de commerçants de Mukden visite l’usine Austin de Longbridge. Ils clament qu’ils vont transformer l’arsenal de Mukden en usine d’automobile. Ils y produiront une copie de la voiturette britannique. Ils ont même déjà un nom pour elle: la Baby Dragon. Le journaliste du Time se montre condescendant: « Regardez ces bridés (NDLA: c’est le terme qu’il emploie) ! Ils veulent faire des voitures, comme les blancs! Qu’ils sont mignons ! »
Mukden ne produira pas de voitures. En 1933, la ville est envahie par les Japonais (qui roulent en camions Nissan.) Néanmoins, par une douce ironie de l’histoire, les Chinois reviendront à Longbridge en 2005 et cette fois, ils achèteront l’usine…
On a tous quelque chose en nous de la Seven
En résumé, Jaguar, Lotus, BMW, Jeep, Mitsubishi, Ssangyong et Nissan doivent une fière chandelle à l’Austin Seven. Mais l’Austin Seven apportera autre chose à l’automobile: les pédales. La disposition actuelle (embrayage à gauche, frein au milieu et accélérateur à droite) n’a rien d’évident. Certaines voitures avaient un accélérateur au centre. D’autres en avaient un au volant (d’où l’expression « à fond les manettes ».) En 1916, Cadillac a l’idée de la disposition classique. On la retrouve sur la Seven. Et comme cette dernière sera largement diffusée, elle popularisera cette disposition.
Crédits photos: Thailand Motor Show (photo 1), MG (photos 2, 3 et 10), Jaguar (photo 4), Lotus (photo 5), BMW (photo 6), Ford (photos 7 et 11), Mitsubishi (photo 8) et Nissan (photo 9)
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