Quand on pense à des marques sauvées par les Chinois, on songe d’emblée à MG et Volvo. PSA espère que DongFeng va l’aider à être « back in the race ». BAIC produit des ex-Saab (sous la marque « Senova ».) Mais quid de Buick ? La marque est une filiale à 100% de General Motors, mais sans les Chinois, elle serait morte et enterrée.
Dégringolade
Buick est la plus ancienne marque US encore en activité. Elle a été créé par David Dunbar Buick, en 1903… Mais il la revendit quelques mois plus tard à James H Whiting. Ce dernier déménagea la production de Detroit à Flint, puis il revendit à William Crapo Durant. Ce dernier se servit de Buick pour racheter d’autres constructeurs et se forger un mini-empire, la General Motors. Plus tard, elle fut positionnée dans l’access-premium, aux côtés d’Oldsmobile. Buick produisit la Roadmaster (souvenez-vous, la voiture jaune de Rain Man…), la Riviera, la GSX… Sans oublier l’importation d’Opel dans les années 60-70. Buick, c’était la voiture de la classe moyenne. Mes revenus ont augmenté, j’ai acquis un certain statut social, donc je troque ma Chevrolet pour une Buick.
Hélas, dans les années 90, tout ceci était très loin. Le positionnement par marque, cela fonctionnait au temps du monoproduit. Depuis les années 60, avec la multiplication des modèles, les marques se marchèrent les unes sur les autres. D’autant plus que GM produisait des véhicules sous plusieurs badges. Par exemple, an 1990, il s’était gargarisé du retour du badge « Roadmaster », mais c’était une simple Chevrolet Impala avec davantage de chromes. Le consommateur n’était pas dupe. Avec les plans de relance de Chevrolet et Cadillac, il a du mettre en veilleuse ses propres ambitions. D’où des voitures mal « vendues » comme la Reatta.
Buick n’évoquait plus grand chose pour l’acheteur Américain. C’était la caricature de la marque vieillotte (par opposition à Lexus et Acura, aux stratégies très agressives), qui commercialisait des grosses berlines pour retraités. L’embauche de Tiger Woods comme homme-sandwich n’eu aucun effet. En conséquence, la gamme fut réduite de 8 à 3 modèles. L’énorme site de Flint (renommé « Buick city » en 1985), fut fermé et rasé, unité par unité. La dernière voiture (une Century) en sorti en 2005 et l’ultime parcelle fut revendue en 2010. La maigre lueur, c’est qu’avec la disparition de Saturn, il récupéra les Opel rebadgées.
A l’instar d’Oldsmobile et de Pontiac, Buick était un boulet. Pour la redresser, il aurait fallu un investissement lourd, en temps et en argent. Le jeu n’en valait pas la chandelle. Peu présente hors des Etats-Unis, elle aurait logiquement du être sacrifiée, au nom de la rationalisation du portefeuille.
Dans les années 90, le marché chinois décollait laborieusement. Certes, le pays produisait des Audi 100, Daihatsu Charade, VW Jetta et Santana, ainsi que des Jeep Cherokee, à la date de péremption dépassée depuis longtemps. Seule la Citroën ZX était encore vendue en Europe. Mais au moins, elles étaient produites sur place, avec des composants achetés localement. Le temps des « usines tournevis » était terminé. De quoi donner de l’appétit aux groupes mondiaux.
En 1997, GM s’associa à SAIC (déjà lié à VW) et comme les autres, il voulait produire une berline 4 portes. Mais sous quelle marque ? Les Chinois était encore peu habitués aux badges occidentaux. Il leur fallait un nom simple, facile à prononcer, donc en 2 caractères. Or, la transcription phonétique de Buick, c’est 别克 (bie ke.)
Hasard ou coïncidence, de 1929 à 1949, Buick a été présent en Chine. Ce fut d’ailleurs l’une de ses seules sorties hors d’Amérique du nord (avec les Park Avenue vendue dans les années 90 en Europe.) Ses clients étaient essentiellement les occidentaux installés dans les concessions. Tchang Kaï-Tchek possédait une Roadmaster noire de 1948. Elle fut saisie par les communistes (et exhibée comme trophée) lors de la fuite du leader. Une autre Roadmaster noire (de 1950) est une figurante récurrente des séries TV censées se passer dans les années 30 (NDLA : les producteurs chinois sont plutôt lestes sur le réalisme.)
Mais ce n’est sûrement pas ce lointain passé chinois qui a poussé GM à s’appuyer sur Buick.
N’importe quoi
Ainsi, en 1999, la première production de SAIC-GM fut une Buick Century (hasard ou coïncidence, c’était le dernier modèle de Flint.) Le groupe possédait un important portefeuille de marques (incluant notamment Daewoo, Isuzu, Saab, Subaru et une participation dans Fiat Auto.) Pas facile de toutes les lancer en Chine, simultanément. Solution : tout produire avec un badge Buick ! Les Opel Corsa, Daewoo Lacetti, Chevrolet Venture et Holden Statesman devinrent donc des Buick.
Bien sûr, le consommateur chinois manquait de recul sur l’image de la marque et son univers. Ce qu’il voyait surtout, c’est que la marque proposait une large gamme de produits modernes. Alors que les autres joint-ventures étaient monoproduits. De quoi assurer le succès de Buick, parmi une grosse vingtaine de joint-ventures. Le constructeur eu même les moyens de s’offrir les services de Benoit Rousselot pour une saison de CRC (championnat chinois de rallye.)
Implantation dans le temps
En 2005, SAIC-GM décida d’introduire Chevrolet et Cadillac en Chine. Chevrolet récupéra la Sail (Corsa) et démarra la production de la Spark (Matiz), chez Wuling. Buick se réorienta vers le milieu de gamme. De plus, les joint-ventures rajeunirent leurs gammes et multiplièrent les lancements. Malgré tout, la marque poursuivi son ascension en Chine, alors que les ventes continuaient de dégringoler aux Etats-Unis. Ce qui devait arriver, arriva : à partir de 2008, Buick vendit plus de voitures en Chine qu’aux Etats-Unis.
En parallèle, le marché chinois avait muri. Dans les années 90, la demande dépassait l’offre. La nouvelle classe moyenne, toute contente de ferrailler son vélo ou sa 125, prenait ce qu’elle pouvait. La clientèle des années 2000 consultait les forums avant de pousser la porte d’un concessionnaire. Confort, entretien, fiabilité et bientôt, sécurité, étaient scrutés à la loupe.
Il fallait désormais faire des efforts pour séduire la clientèle. Dés 1997, GM a ouvert un bureau de design en Chine, le PATAC (Pan-Asia Technical Automobile Center.) Le gros problème était de trouver des designers locaux ! Question de mentalité : les parents poussent leur enfant unique à faire des études de commerce (pour gagner plus d’argent); toute carrière artistique est proscrite. GM monta tant bien que mal une équipe, mais ils n’avaient même pas le permis de conduire ! En 1999, la maladroite Qilin fut le premier concept-car dessiné par le PATAC.
Les progrès furent lents. En 2007, le concept-car Riviera démontra davantage de professionnalisme. En 2009, le PATAC offrit un avant spécifique à la Buick Lacrosse. L’année suivante, avec la Chevrolet Sail, il dessina entièrement un modèle de série. Désormais, les Buick sont dessinées en Chine et éventuellement relookées pour les Etats-Unis.
La recette du succès, c’est… Euh
En 2008, GM, en faillite, signifia à SAIC-GM qu’il devait se débrouiller tout seul. La joint-venture a poursuivi son ascension. A ce moment-là, le leader asiatique de GM, c’était Chevrolet (l’ex-Daewoo.) Mais le constructeur coréen connu un trou d’air. Du coup, SAIC-GM devint le nouveau chouchou et il prit la main.
D’abord au niveau régional, puis, à mesure que GM s’enfonçait, au niveau mondial. Ainsi, en une quinzaine d’années, la filiale exotique se transforma en locomotive du groupe. Les Buick Excel et autres utilitaires Wuling n’étaient pas très sexy. Ce n’était pas le genre de véhicules que GM voulait afficher sur la première page de son rapport annuel. Oui, mais sans eux, le groupe aurait connu un destin à la Chrysler. Donc, il a été bien content de les produire.
En 2014, Buick a vendu 920 597 voitures en Chine et 228 963 voitures aux Etats-Unis. Son succès au Pays du Milieu était loin d’être acquis. Car sur la période 2008-2010, les autres joint-ventures ont développé de vraies gammes et éliminé les vieilleries. De plus, le fait d’être arrivé parmi les premiers n’apporte rien ; il faut se battre, année après année.
La force de Buick, c’est d’avoir su renouveler régulièrement sa gamme. Ses berlines 4 portes plaisent à une clientèle traditionnelle et son monospace GL8 est un « shuttle » très prisé. Il a pu également profiter du sentiment anti-japonais (qui a surtout touché Honda et Toyota.) Pour le Chinois moyen, « Buick » est une marque « d’occidentalie », ce qui est un gage de confiance. Du reste, la marque est relativement discrète. SAIC-GM fait davantage d’efforts sur Cadillac et Chevrolet (afin de les installer.) Ca se vend -très bien-, sans qu’on sache vraiment expliquer pourquoi. Au moins, ça se vend et pour GM, c’est bien le principal.
Crédit photos : General Motors