La Remise à Antraigues : Point stop obligatoire pour tous les fans du Monte Carlo

Alors que, dans des conditions dantesques nous roulions en essai de la Toyota Yaris GRMN sur le tracé du rallye de Monte Carlo, dans l’épreuve spéciale mythique du Moulinon-Antraigues sur Volane, nous revenaient en tête les paroles de Jean Ferrat : « Pourtant que la montagne est belle… ».

Nous savions effectivement qu’au creux de cette Ardèche profonde, rude et attachante, Sébastien Grellier, le directeur de la communication de Toyota France nous réservait une surprise, à savoir une halte à La Remise à Antraigues, dont nos jeunes confrères connaissaient à peine l’histoire, que je me réjouis de pouvoir vous conter.

A l’arrivée, le très chaleureux Yves Jouanny nous accueille par une embrassade fraternelle. Ses souvenirs reviennent en force, puisque voici plus de 40 ans -lors des reconnaissances du fameux rallye de Monte Carlo- nous assistions à la convergence vers la Remise, des Andruet, Piot, Darniche, Ragnotti, Nicolas, Thérier

Un lieu de rencontre et de partage

En fait, nous n’avions jamais évoqué avec Yves les débuts de cette formidable osmose entre l’auberge et le monde du rallye.

Tout a débuté par cette première rencontre, contée avec émotion.

« Jean-Claude Andruet est arrivé en R8 Gordini, à l’hiver 1966 dans la petite auberge de l’Espissard de papa (Albert) et maman (Yvonne). Je ne savais pas qui il était. Pour notre auberge, ça a été le début de l’Histoire, comme la venue de Jean Ferrat au village. »

Contacté par téléphone, Jean-Claude Andruet en partance pour le Monte Carlo historique pour conseiller trois équipages japonais roulant en Honda, accepte d’évoquer cette première fois.

« Nous étions en reconnaissances pour le Charbonnières et nous n’avions pas beaucoup de temps. Nous ne connaissions pas du tout la région. Nous n’avions pas de chambre et le père d’Yves, qui était un homme très gentil, nous a proposé de nous héberger chez lui, pour nous dépanner. C’est là que notre amitié a commencé. Je suis toujours resté fidèle à la famille Jouanny. J’ai eu Yves, encore au téléphone, il y a 48 heures. Nous sommes toujours très proches »

Les rallyes comme Neige et glace, le Tour Auto ou encore le Stuttgart-Lyon Charbonnières, en plus du célébrissime Monte-Carlo passaient alors devant l’établissement des Jouanny. Comme les épreuves spéciales du Moulinon et du Burzet -très proches- constituaient des ‘monuments’ qu’il convenait d’apprendre par cœur, les équipages avaient l’occasion, plusieurs fois dans l’année, de se retrouver lors des reconnaissances. Ainsi, l’auberge de La Remise est très vite devenue un lieu de rendez-vous et de partage. Les pilotes oubliaient la concurrence. Les parties de cartes et quelques bons petits plats agrémentaient les soirées.

Prof, cuisinier, co-pilote, pilote

On peut s’interroger pour savoir comment Yves Jouanny a pu avec autant de maîtrise et de réussite passer de son métier de Professeur d’Education physique au collège agricole de Romans, aux fonctions de cuisinier hors pair, ou encore de co-pilote et de pilote de rallye et maintenant, de directeur d’un musée aussi exceptionnel que celui de cette Remise, entièrement consacrée au rallye de Monte Carlo.

A l’issue d’un repas de grande classe, nous évoquons avec Yves ce talent culinaire, qui ne s’est pas contenté de perpétuer la tarte aux pommes célébrée par la tradition de cette distribution à tous les équipages du Rallye de Monte Carlo, comme les 700 qui seront encore offertes aux concurrents de l’édition historique, dimanche.

« J’ai été éduqué par des gens simples mais qui mangeaient des produits de saison. Avec mon papa et ma maman, qui étaient des gens modestes, j’ai appris à exploiter les ressources du terroir. Très jeune je pêchais les truites à la main, j’attrapais les écrevisses. J’ai appris par un ami à en faire la sauce. Les choses sont venues naturellement. Vous savez quand vous rencontrez des gens comme Pierre Brasseur, Lino Ventura, Jean-Louis Trintignant, Monsieur Ferrat, avec eux on ne peut qu’apprendre. Pour tout, ma chance dans ma vie ça aura été de pouvoir prendre exemple sur des grands. J’ai accepté les critiques, j’ai toujours regardé vers le haut et j’ai évolué. »

Jean-Claude Andruet aimait revenir à Antraigues durant les vacances scolaires et trimbalait Yves, de 7 ans son cadet, dans ses voitures. Rapidement, le jeune homme y prenant goût, Jean-Claude le forma à lire les notes. Dans la logique des choses, Yves posa ses fesses dans le baquet de droite dans la Lancia Stratos officielle N°1, pilotée par Jean-Claude Andruet, en 1974.

Il est amusant de rapprocher les déclarations des deux compères à ce sujet.

« Comme je l’avais formé très jeune, il était fantastique pour lire les notes. De plus comme il aime la compétition il était très percutant au niveau des notes. », nous déclare Andruet.

« J’ai fait des centaines et des centaines de kilomètres de reconnaissance avec Jean-Claude. Tous les deux nous avions un fort esprit de compétition…J’avais une qualité, ça je le sais et Jean-Claude ne démentira pas, je lisais très, très bien les notes. Après, je n’avais pas toute l’expérience de tout ce qui constituait les à-côtés. Tous les deux nous formions un très bon équipage. Quand je pense au Tour de Corse en 1975 et la spéciale de plus de 158 kilomètres, où l’on fait deuxième et troisième temps scratch avec une Alfetta devant les Stratos et Alpine, je crois qu’il devait y avoir une bien belle osmose entre tous les deux. En tout cas ça restera des moments fantastiques.»

Pour toi Yves, la tentation de passer derrière le volant ne tarda pas et fut couronnée par de belles expériences ?

« Oui, certes j’ai fait de beaux trucs, je le reconnais. J’ai gagné deux rallyes. J’ai fait 23ème au scratch au Monte Carlo en 1983 sur une Opel Kadett GTE. J’ai disputé plusieurs fois le Costa Brava, avec une fois 12ème. Pourtant, pour moi le restaurant était toujours ce que je devais faire le lendemain. Je ne me suis pas investi à fond, ni dans le football, ni dans l’automobile, parce que je voyais tous les efforts que faisait ma maman. J’ai toujours pensé aux autres avant de penser à moi. (le papa était disparu en 1989) »

Sensible, affectif, Yves Jouanny a vécu sur son fief de La Remise de nombreuses rencontres et voudrait en témoigner dans un bouquin. Il faut dire qu’il en passe du monde à La Remise, et pas que des journalistes ou des pilotes.

En 2011, à l’occasion du centenaire de l’épreuve, il reçoit à sa table, « en toute simplicité », le Prince Albert de Monaco.

Une conversion en musée vivant

En 2014, à l’heure de la retraite après la disparation du papa, de la maman, du neveu Nicolas, entre joie et tristesse, Yves souhaite laisser quelle que chose de ces 50 ans d’existence de La Remise. Il fait part de son projet de création d’un musée vivant consacré au rallye de Monte Carlo à Michel Boeri, Président de l’ACM. La proposition est non seulement acceptée mais directement accompagnée.

C’est donc dans ce lieu totalement réaménagé que nous retrouvons le comptoir -toujours en Formica- avec au mur, les multiples marques de passage de tous les pilotes du Monte Carlo. Les combinaisons de nos trois champions du monde français : Didier Auriol, Sébastien Loeb et Sébastien Ogier trônent en bonne place. Le Lambretta paternel entièrement restauré porte les couleurs ‘Andruet’. On découvre également la tenue de rallye de Bruno Saby et de notre ami François Delecour que naviguait Anne-Chantal Pauwels. Présente comme accompagnatrice sur notre essai, elle nous conte cette fameuse distribution des tartes aux pommes.

« Je te parle de cette année 1991 quand on a failli gagner avec François (Delecour) sur Ford, mais où nous avons terminé 3ème après avoir cassé une traverse arrière. On arrivait totalement détruits après une grande solitude dans ce col enneigé dominant Antraigues. Virage à gauche, point Stop, on entrait dans le village, une foule énorme nous attendait quelles que soient les conditions météo. Nous recevions de la main d’Yves Jouanny ou d’Yvette sa sœur, une tarte aux pommes et une bouteille d’eau (un cru local : La reine des basaltes). Tous les concurrents s’arrêtaient et on appréciait ce petit réconfort après l’effort. »

Nous n’avons pas assez de temps pour parcourir les nombreux articles ou apprécier les multiples photos souvenirs accrochés aux murs. Nous baignons pleinement avec un bonheur certain dans cette atmosphère du Rallye. Tout nous parle de cette compétition mythique. Yves nous concocte un super déjeuner et, entre deux plats savoureux (oh ! la truffe ardéchoise), il tient à nous dire qu’il souhaiterait être un peu soutenu dans son entreprise et accompagné dans son investissement, par le département notamment, puisque cette vitrine du rallye fait rayonner également le village modeste, certes, mais de notoriété mondiale.

Faire la fête au rallye…historique

Avant de quitter à regret cette Remise devenue table d’hôtes, Yves s’enthousiasme une dernière fois à propos du rallye.

« On va préparer les tartes. Je vais recevoir mes amis. Oui, ce sont mes amis. J’essaye dans mon petit village de faire la fête au rallye, du mieux que je peux. Cet arrêt à Antraigues est devenu mythique. C’est la fête du rallye dans le village. Pour l’instant je n’ai pas le WRC mais j’ai l’historique. Le rallye de Monte Carlo est toujours en Ardèche et ce petit coin de la Remise, c’est un petit coin de la Principauté. Pour moi c’est un peu ma fierté. »

En tout cas, rallye de championnat du monde ou rallye historique, épreuve spéciale ou Zone de régularité à haute, intermédiaire ou basse vitesse, le parcours La Croze- Antraigues sur Volane, avec les cols des Pierres Faux, des Croix de Creyseilles et du Sarrasset, constitue bien un monument du Monte Carlo avec ses 57,09 kilomètres et ses virages serrés, ou traîtres, en tout cas, innombrables. Dimanche matin, le Point Stop « La Remise » sera, une fois encore, fort apprécié. Yvette et Yves officieront -dans un rituel quasi sacré- pour tous les concurrents, qui, en visitant ce temple du Rallye, prendront plaisir à s’imprégner de cette ambiance généreuse, chaleureuse, fabuleuse qu’Yves Jouanny a su créer dans cette mise en scène prestigieuse de « son rallye » dans « son musée ».

Alain Monnot

Photos Alain Monnot et Michel Picard

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