Après avoir raconté le passé de l’automobile Chinoise, il semblait logique d’évoquer son futur. Bien malin celui qui pourra prédire l’avenir de l’automobile Chinoise.
Les constructeurs Chinois sont des spécialistes de l’intox. Ils débarquent dans les salons internationaux (ci-dessous, Geely au salon de Francfort 2005) avec un discours volontiers conquérant. A titre d’exemple, mercredi, Byd a annoncé que pour 2008, il comptait produire environ 200 000 voitures (soit le double de sa production en 2007.) Un chiffre qu’il souhaite doubler en 2009 et qu’il souhaite encore doubler en 2010!
Evidemment, il faut relativiser les déclarations par rapport aux réalités industrielles et commerciales. Tant pis pour ceux qui rêvaient de citadines made in China à 3 000€, en France, dés 2010 ou de similis BMW série 7 à 20 000€…
Les voitures Chinoises ont progressé. Sous la pression des autorités et des gouts des Chinois, elles sont plus sures, moins polluantes et mieux équipées. Les constructeurs parlent de plus en plus de voitures « aux normes occidentales ».
Avec une dizaine d’années d’expérience chacun, Chery et Geely font figure de vétérans. Or, ils en sont tout juste à remplacer leurs premiers modèles. Les autres doivent faire bien du premier coup (comme ici, la Lifan 620.)
Les dinosaures de la production Chinoise disparaissent un à un: Audi 100 et Citroën C-Elysée en 2008, VW Jetta, VW Santana et Xiali en 2009. L’époque où les joint-ventures « recyclaient » les modèles dont l’occident ne veut plus est terminée. Outre les dernières nouveautés, elles produisent des modèles adaptés au gout des Chinois, comme la FAW-VW New Bora, la SAIC-VW Lavida, la nouvelle C-Elysée ou la Buick Lacrosse.
Par ailleurs, les constructeurs Chinois ne cessent d’étendre leurs gammes (ici, une Besturn au salon de Moscou.) En 2009, la plupart d’entre-eux auront au moins une citadine, une berline moyenne inférieure 5 portes et une berline moyenne supérieure 4 portes à leur catalogue. Prochaine étape: les grandes berlines, les cabriolets et les SUV.
Le gros soucis des constructeurs Chinois est de maintenir des prix bas. Forcément, une Xiali (Daihatsu Charade des années 80) relookée avec un moteur Toyota antédiluvien, ça ne coute rien. Mais comment adopter des techniques modernes sans faire exploser l’addition? Entre le salon de Guangzhou 2007 et sa commercialisation effective, le tarif de la Byd F0 a quasiment doublé!
La question que vous nous posez régulièrement, c’est: « Quand est-ce que les voitures Chinoises seront vendues en France? »
En 2009, vous pourrez acheter des Brilliance et sans doute des Shuanghuan ou des Landwind. Soit des berlines et des SUV un peu vieillots. Honnêtement, mise à part la Brilliance BS2, je doute du potentiel commercial des futurs modèles importés. D’où le risque de rester à la marge (les ventes de Landwind en Hollande n’ont que deux chiffres.) Or, l’objectif des Chinois n’est pas d’être le pendant de FSO ou de Tavria dans les années 80, mais d’être le « nouveau Toyota ».
Plutôt que de s’attaquer directement aux marchés occidentaux, Chery (et dans une moindre mesure Byd, Great Wall et Lifan) préfèrent une stratégie de petits pas: s’implanter d’abord des pays pauvres, puis accéder à des pays limitrophes plus riches et finir par couvrir tout un continent (comme c’est le cas pour Chery en Afrique et en Amérique du Sud.) Une stratégie qui prend du temps (Chery n’envisage pas l’Europe de l’ouest avant 2012), mais qui permet de peaufiner ses armes.
Poser le pied et réfléchir ensuite ou bien réfléchir d’abord et y aller ensuite, quelle sera la stratégie payante pour les Chinois en Europe?
Le tableau ci-dessous compare la production 2007 de quelques grands constructeurs mondiaux (en gris, à droite), des plus importants constructeurs Chinois « purs » (en rouge) et de quelques constructeurs jugés « petits » (Saab, Seat et Volvo; en gris, au centre.) Premier constat: les constructeurs Chinois sont des nains à l’échelle mondiale. Brilliance et Byd, respectivement 4e et 5e constructeurs Chinois produisent moins que Saab!
On a souvent comparé les constructeurs Chinois aux constructeurs Japonais et Coréens. Les constructeurs Japonais et Coréens sont généralement adossés à de grands groupes industriels, ils sont peu nombreux et ils sont puissants sur leurs marchés d’origine. C’est également le cas des constructeurs Indiens. A contrario, les constructeurs Chinois « purs » sont souvent des filiales de conglomérats de taille moyenne. En plus, ils ne pèsent qu’un tiers du marché Chinois. Et ils sont une trentaine sur ce « tiers ».
C’est un fait classique des théories de l’innovation. D’abord, il y a beaucoup d’acteurs, à cause d’une barrière d’entrée quasiment nulle. Puis des leaders émergent; un petit groupe se détachent du lot, tandis que les autres, marginalisés, sont condamnés. Et à terme, il n’y a plus qu’une poignée de leaders.
D’où la question: qui sera dans la « poignée » parmi la centaine de constructeurs Chinois actuellement présents.
Les gros constructeurs étatiques (DongFeng, FAW et SAIC) sont riches et puissants. Mais ils doivent cette richesse à leurs joint-ventures. Leurs véhicules propres ne représentent qu’une part mineure de leurs ventes. Chez FAW, on admet publiquement que Besturn perd de l’argent. Chez SAIC, atteindre des ventes à cinq chiffres avec MG et Roewe est de l’ordre du virtuel. Le Parti voudraient en faire des « grands », mais il a gardé ses réflex dirigistes (comme de récompenser ses cadres en les nommant à la tête d’un constructeur automobile, même s’ils n’ont aucune expérience dans l’industrie.) Et ils sont minés par une pesanteur bureaucratique.
Les constructeurs « purs » (Byd, Chery, Geely, Great Wall, Lifan, etc.) sont plus dynamiques. Trop petits, trop novices, ils manquent de moyens et d’expérience. Pour rester dans la course, ils doivent en permanence investir. On l’a vu plus haut, même Chery, leur leader, est minuscule à l’échelle mondiale. Il faudrait qu’il triple, voir quadruple de taille. Or, il a déjà dépensé beaucoup d’argent. A-t-il réellement les moyens de grossir plus?
Entre les deux, il y a des constructeurs issu de sociétés d’économie mixte et qui ont débuté via les joint-venture (Brilliance, ChangAn, GAG et SouEast.) Ils ont utilisé l’expérience acquise auprès de constructeurs étrangers pour développer leurs propres véhicules. Mais ils arrive bien tard. Sauront-ils s’imposer sur un marché déjà saturé?
Enfin, il y a les petits constructeur. Cette catégorie regroupe des « ex-futurs » (Hafei, ChangHe, BAIC/BAW…) qui, faute d’avoir su conserver le rythme du peloton du tête, se sont retrouvé dans le grupetto. Il y a également des « petits » qui progressent lentement (ChangFeng, JAC, Shuanghuan, Youngman/Europestar, Zotye…) Reste à savoir si demain, un constructeur qui ne produit que 50 000 voitures/an peut néanmoins réussir à exister.
2010 marquera peut-être un tournant dans l’industrie automobile Chinoise: la fin de l’obligation de monter une joint-venture avec un partenaire local pour produire des voitures. Ce serait un cadeau pour encourager les investisseurs étrangers (et stimuler l’emploi) et calmer l’OMC.
Le calcul de Pékin est que la plupart des grands groupes internationaux sont déjà présents (donc plus de réservoir de constructeurs à attirer.) Pékin fait le forcing sur les constructeurs qu’il dirige en direct (BAIC/BAW, DongFeng, FAW et SAIC) pour qu’ils puissent se débrouiller seul. Le partenaire Chinois est souvent propriétaire des usines et des terrains. Pour travailler seul, le constructeur étrangers devraient donc racheter ses parts ou bien repartir de zéro. Le cas de Fiat montre qu’il est très difficile de rompre avec un partenaire, aussi mauvais soit-il.
Néanmoins, de nombreux constructeurs étrangers se plaignent. Il y a d’abord le « tout ça pour ça ». Au milieu des années 90, ils ont suivi un raisonnement « à la Jacques Calvet »: « Puisque notre concurrent y va, on y va! » Du coup, le marché est atomisé et les constructeurs réalisent entre 5% et 10% de leurs ventes totales en Chine (cf. graphique, colonne jaune.) On est loin d’un Eldorado. Seul Volkswagen s’en sort bien avec 25% de ventes en Chine.
Chez BMW, on est estomaqué par le discours de Brilliance: « Faites produire le X5 chez nous, comme ça on gagnera de l’expérience dans les SUV… Et on pourra concevoir le notre! » Citroën et DongFeng ont de réels désaccord sur la stratégie marketing. Suzuki et Volkswagen ont chacun deux partenaires, lesquels se tirent dans les pattes. SAIC-VW et FAW-VW sont les fleurons de leurs groupes respectifs, qui ne voudront jamais les lâcher pour que les deux entités fusionnent. Volkswagen a annoncé qu’en 2010, le Q5 « Chinois » sera produit dans une usine appartenant à 100% à VW. Est-ce que VW souhaite créer un troisième larron et faire des deux joint-ventures des coquilles vides?
La grande inconnue, c’est la clientèle Chinoise. Jusqu’ici, elle est composée majoritairement de primo-accédant. Le marché de l’occasion est encore confidentiel. Les conducteurs Chinois sont souvent de jeunes cadres et acheter une voiture est pour eux un évènement. D’où la multiplication des clubs.
C’est une clientèle volatile, qui se laisse porter par l’opinion dans les blogs ou le bouche à oreille. L’an dernier, la Ford Focus était LA voiture à avoir. Les consultants y ont vu le triomphe du « buzz ». 2008 vit donc fleurir quantité de blogs Chinois à la gloire de telle ou telle voiture. Pourtant, l’actuel best-seller est la Hyundai Elantra, alors que Beijing-Hyundai communique peu!
Mais de plus en plus de Chinois achèteront non pas leur première voiture, mais leur seconde ou leur troisième voiture. Des questions de vieillissement, de valeur à la revente, etc. vont se poser.
Puis, dans une dizaine d’année, on verra apparaitre une génération de conducteur qui ont grandi avec une voiture à la maison. A quelle(s) marque(s) seront-ils fidèle?
(fin.)
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