Au début des années 90, la Chine faisait encore figure de « pays exotique » pour les constructeurs. Pour y aller, il fallait soit avoir une grande expérience des marchés émergeant, soit être suffisamment mal en point pour avoir besoin de vendre des voitures n’importe où. Mais le pays connait ensuite une croissance à deux chiffres et tout acteur digne de ce nom se devait d’y tenter sa chance.
Place Tienanmen, les espoirs de réformes politiques se sont éteints dans le sang. En revanche, les réformes économiques ne faisaient que débuter.
Jiang Zemin abandonne l’industrie lourde, avec le doigté qui a toujours fait la marque de fabrique du gouvernement Chinois.
Du jour au lendemain, au Nord, des centaines d’usines d’état ferment, laissant des millions de personnes au chômage.
Au Sud, près de Hong Kong, des « Zones économiques spéciales » sont créés. On y produit des tee-shirt et des ordinateurs. En quelques années, des gros bourgs de province comme Shenzhen ou Zhuhai se muent en mégapoles.
Les premiers millionnaires Chinois apparaissent. Comme ce gentleman-driver en Ferrari Testa Rossa. Nous sommes en 1988 et il approche de l’arrivée d’un rallye touristique sponsorisée par Louis Vuitton. Place Tienanmen, le CP est matérialisé par une publicité géante à la gloire du maroquinier:
En 1989, la Chine a produit 42 409 voitures particulières. En 1991, la production passe à 81 055 unités (et pour la première fois, les utilitaires descendent sous la barre des 90% de la production totale.) En 1992, elle atteint 160 148 unités. En 1993, 225 168 unités. Et à l’époque, on estime qu’en 2000, ce seront 3 millions de véhicules qui sortiront des usines Chinoises.
Du coup, la Chine entre dans le radar des constructeurs occidentaux. Jusqu’ici, ils misaient sur le potentiel des « dragons Asiatiques » (Corée du Sud, Hong-Kong, Singapour et Taïwan.) Mais ces derniers sont mis K.O. en 1997, lorsque la crise Asiatique éclate. Alors que la Chine réussit à éviter la banqueroute (grâce à l’interventionnisme de l’état et à une totale opacité financière) et à afficher une insolente croissance à deux chiffres.
Des consultants débarquent pour préparer le terrain des constructeurs. Ils racontent tous la même histoire: le lendemain de leur arrivée, ils tirent les rideaux de leur chambre d’hôtel et ils voient des milliers de vélos (la photo ci-dessous montre Pékin en juillet 2000.) Que des vélos (le fameux « Flying Pigeon » de Tianjin); pas de voiture à l’horizon. Pourtant, en moins d’une décennie, la plupart de ces cyclistes allaient s’offrir une voiture. Comment garder son sang froid lorsque l’on songe à toutes ces ventes futures?
Cocorico, la France est l’une des premières a réaliser le potentiel du marché Chinois. Malgré le naufrage de Guangzhou-Peugeot, PSA s’associe avec Second Automobile Works (bientôt rebaptisée DongFeng) pour fonder la joint-venture Shenlong Automobile, le 18 mai 1992. D’après la légende, PSA aurait « convaincu » les officiels en leur distribuant des CX. Jusqu’ici, SAW n’a produit que des camions, mais contrairement à GAG, c’est un constructeur directement contrôlé par l’état (donc moins de tracasseries, en théories…) En septembre, les premières ZX (renommées « Fukang » -santé, prospérité-) sortent de l’usine. Néanmoins, les premières voitures de série n’apparaitront qu’en octobre 1995 (ci-dessous.)
Les débuts de la Fukang furent héroïques. SAW impose une fourniture d’équipements en Chine. Il y eu quelques ratés comme un lot de réservoirs troués. En plus, pour Pékin, la chouchoute, c’est la Santana. Tout est fait pour barrer la route de la rivale, comme d’imposer aux taxis une carrosserie 4 portes. De toute façon, malgré la Xiali, les Chinois étaient encore peu adeptes des 5 portes. D’où des chiffres de ventes modestes: 3 000 unités en 1996 et 2 000 unités en 1997.
En 2000, Shenlong sortira une version tricorps, l’Elysée. En 2002, la société prend le nom de DongFeng-Citroën et l’année suivante, la 100 000e voiture sort de chaine. La Fukang est devenue un hit. Rançon du succès: elle est copiée. Mais PSA eu tord de croire que les Chinois se contenteraient éternellement d’une ZX. Fin 2004, DongFeng-Citroën affichait un déficit de 600 millions de yuans. PSA a du mettre la main à la poche pour éviter la faillite.
En novembre 1994, au « Family Automobile Congress », les constructeurs se bousculent. La Chine a réalisé une espèce d’appel d’offre pour une voiture bon marché. A la clef, le droit de construire une usine capable de produire 500 000 véhicules par an (et donc de disposer d’un quasi-monopole.) Un projet qui a fait long feu.
Porsche y présente son prototype C88, dans l’espoir de vendre le projet clef en main à un constructeur local. C comme Chine, 88 comme son prix (88 000 yuans; sachez également que le 8 est un chiffre porte-bonheur en Chine.)
Porsche reconnaitra plus tard que le cout d’industrialisation de la C88 était trop élevé.
Mais certains ont des scrupules, car au début des années 90, la Chine reste infréquentable. Les entreprises craignent qu’en s’y implantant, elles déclenchent une levée de boucliers chez les ONG et les associations de consommateur (en occident.)
En 1995, à Zhuhai, une épreuve de GT (époque BPR) est organisée dans les rues de la ville(ci-dessous.) C’est la première grande course disputée en Chine. L’année suivante, un circuit « norme F1 » sort de terre, toujours à Zhuhai. Organiser ou ne pas organiser un Grand Prix de F1 en Chine? Bernie Ecclestone hésite. Finalement, il torpille le projet pour cause « d’équipements sanitaires insuffisants ». Il attendra que le CIO attribue les J.O. à Pékin et en 2004, la Chine aura son Grand Prix (à Shanghai.)
Même hésitations chez les Américains. On sait aujourd’hui qu’à la fin des années 80, Chrysler a mené des tractations avec différents constructeurs. Elle s’achèveront modestement par la fourniture du 4 cylindres 2,2l (bien connu des propriétaires de Simca et autres Talbot) à l’Audi 100 de Hong Qi.
En 1995, Ford s’associe avec Jiangling (maison-mère de Landwind) pour produire des Transit. Jiangling a réalisé des versions étonnantes, comme ce deck van. Ford découvre assez vite les limites des compétences techniques et commerciales de Jiangling. Il forme une deuxième joint-venture avec ChangAn, pour produire des berlines cette fois. Mais les Américains sont rebutés à l’idée d’avoir deux partenaires. Alors Ford forcera ChangAn a entrer dans le capital de Jiangling.
General Motors cherche également à s’installer en Chine. Au lieu de signer avec un partenaire inexpérimenté, il préfère choisir SAIC, malgré/grâce à sa joint-venture avec Volkswagen. GM choisit également de produire sous la marque Buick. Le badge est officiellement choisi pour des raisons phonétiques (c’est plus facile à prononcer en Chinois.) Officieusement, GM veut utiliser la bonne image de la marque dans la Chine pré-communiste (et ainsi disposer d’une longueur d’avance sur les nombreux constructeurs qui débarquent en Chine à la fin des années 90.)
Le 17 décembre 1998, les premières Buick Century sont produites (ci-dessous.) Elles seront rapidement épaulées par des Sail (Corsa B), GL8 (cousin du Sintra) et Regal. C’est une joint-venture de « deuxième génération ». Jusqu’ici, les constructeurs étrangers produisaient en Chine les voitures qu’ils ne pouvaient plus écouler en Europe. C’était également le règne du modèle unique, de la motorisation unique, voir de la teinte unique! A contrario, SAIC-GM dispose quasiment d’emblée d’une gamme complète de véhicules modernes. Une stratégie payante, vu que GM, arrivé sur le tard, a doublé les autres constructeurs. Buick, marque moribonde aux USA, y connait une nouvelle jeunesse. GM a ensuite introduit d’autres marques, comme Cadillac, Chevrolet et bientôt Opel.
SAIC-GM va même fonder le premier bureau de design Chinois, le Patac. Il est chargé dans un premier temps d’adapter les produits GM aux goûts locaux.
Pékin a décidé que le pays avait besoin de vans. En 1994, Sanjiang Space Industry rachète l’usine Renault V.I. de Dunstable (qui a fermé en 1993.) L’outillage est déménagé en Chine et une joint-venture est fondée avec Renault pour produire des Trafic. Mais on ne peut pas s’improviser constructeur. 9 ans et quelques milliers de Trafic plus tard, Sanjiang-Renault ferme ses portes.
En 1997, Fiat s’associe avec le constructeur de poids-lourds NAC. L’objectif est de produire des Iveco Daily. Yuejin-Iveco sera une success-story, fournissant la police et l’armée. Cela convaincra Fiat de produire également des voitures avec NAC. Hélas, les Chinois boudèrent les Palio et Siena de Nanjing-Fiat…
En Chine, il est rare qu’un constructeur disparaisse totalement. Ainsi, en 1996, Honda rachète les parts de PSA dans ce qu’il reste de Guangzhou-Peugeot. Pour la première fois, un constructeur Japonais sera directement impliqué dans une joint-venture.
Le 26 mars 1999, les premières Honda Accord sont produite à Canton. 8 ans plus tard, le 15 aout 2007, Guangzhou-Honda fêtait sa millionième voiture. Honda a réussi à changer le plomb en or. Aujourd’hui, les constructeurs Japonais font parti du paysage en Chine. Les Honda Accord et Toyota Camry sont régulièrement dans le top 10 des ventes, malgré un fort ressentiment anti-japonais plus ou moins attisé par Pékin.
Après les Japonais, l’arrivée des Sud-coréens semblait logique. Daewoo avait des vues sur le pays, mais la faillite de la marque torpillera le projet. En 2000, dans la tourmente consécutive à la crise Asiatique, Hyundai passe brièvement dans le giron de Daimler-Chrysler.
Le constructeur profite de l’aubaine pour s’insérer dans Beijing-Jeep. Beijing-Hyundai est créé le 18 octobre 2002. C’est désormais elle qui réalise l’essentiel des ventes de BAIC/BAW. Les Hyundai font désormais parti du paysage (ci-dessous, au salon de Canton en 2005) et l’Elantra figure dans les top 3 des ventes de voitures particulières.
Les constructeurs premium ne sont pas restés longtemps insensible aux charmes de la Chine. En mai 2003, BMW passe un accord avec Brilliance et une joint-venture est fondée. Le 20 mai 2004, les premières 325i sortent de l’usine de Shenyang, dans le Liaoning (près de la frontière Nord-coréenne.) Elles sont vite rejointes par des 318i et des séries 5 allongées. La série 1 et la série 3 reliftée devraient apparaitre fin 2008.
Malgré les belles images d’une usine moderne à la propreté clinique (loin de Geely et son usine digne de Zola), il s’agit de CKD: BMW-Brilliance ne fait que de l’assemblage final et de la peinture.
Trouver un cliché digne de ce nom avec une BMW « Chinoise » fut une gageure. Car pour beaucoup de gens, toutes les BMW sont produites à Munich. BMW communique donc du bout des lèvres sur son unité Chinoise… Y compris en Chine.
Le problème des constructeurs étrangers, c’est qu’ils sont parti du principe qu’avec 3 millions de véhicules (au mieux) en 2000, pour une population de 1,3 milliards d’habitant, l’offre est extrêmement déficitaire. Donc, on pourrait vendre n’importe quoi aux Chinois, du moment que ça a quatre roues et un volant.
Ainsi, Subaru pensait qu’avec une Justy 600cm3 2 roues motrices, il tenait un best-seller. Le constructeur Japonais s’est allié à l’obscur Yun Que. La voiture portait le nom de nom GHK276Q (alias « Wow ».) Ce fut un bide. Les Chinois n’aiment parler de leurs échecs et les informations sont rares sur Yun Que. On trouve deux symptômes classiques: un partenaire Chinois novice dans l’automobile et un site localisé loin des grands centres industriels. Apparemment, vers 2002, Subaru et Yun Que ont décidé d’arrêter les frais. Youngman rachètera les murs en 2007, afin d’obtenir à peu de frais une licence de constructeur (obligatoire en Chine) et pouvoir produire la Proton Gen-2.
Quant à Subaru, toujours présent via les importations, il compterait produire de nouveau en Chine à moyen-terme.
A lire également:
Histoire de l’automobile Chinoise: 1. la Chine sans les Chinois
Histoire de l’automobile Chinoise: 2. les années Mao
Histoire de l’automobile Chinoise: 3. « peu importe que le chat soit blanc ou noir… »
Brève rencontre: les constructeurs occidentaux à l’assaut de la Chine