Avant de nous mettre aux commandes de l’une des six Mirai rangées dans la cour de l’hôtel Intercontinental de Yokohama, nous avons eu l’opportunité d’interviewer en petit comité le chef ingénieur responsable de l’auto et plusieurs membres de son équipe. L’exercice n’est pas rare lors des présentations mais s’il est toujours intéressant de s’entretenir avec des hommes de l’art, c’est souvent prévisible et on sort rarement des clous du communiqué de presse. Dans ce cas précis, on avait beaucoup plus à apprendre et la discussion ne s’est pas limitée à la voiture mais a donné des éléments de contexte importants pour expliquer la démarche du constructeur.
Entretien avec Yoshinoshi Tanaka, le chef de projet Mirai
« Vous vous souvenez de la fin de Retour vers le Futur ? Quand pour recharger la Delorean Doc Brown verse quelques déchets dans le réservoir avant de retourner en 2015. La Mirai ne vole pas, mais pour le reste, nous y sommes. » Avec son costume sombre et sa coupe au ras, Yoshinoshi Tanaka est loin d’avoir l’air échevelé du personnage du film mais l’oeil de l’ingénieur en chef de la Toyota Mirai, un vétéran de la marque, pétille comme celui du docteur Emmett Brown lorsqu’il nous montre une photo d’une usine de retraitement de déchets qui génère quotidiennement assez d’hydrogène pour faire le plein d’une soixantaine de Mirai. Très disert, Tanaka-san ne fait pas mystère que Toyota considère la Mirai comme son plus important projet depuis la première Prius il y a 18 ans maintenant, et il y croit dur comme fer.
LBA : Vous expérimentez avec des prototypes depuis longtemps, pourquoi avez vous décidé la mise en production précisément maintenant ?
Yoshinoshi Tanaka : Techniquement, on a commencé il y a 23 ans, mais on est désormais arrivé à un niveau de performance et de prix de revient supportable. La seconde raison, c’est que les sociétés d’infrastructure et nous-mêmes avions fixé en 2011 vis-à-vis du gouvernement japonais l’objectif à 2015 et il était très important que nous respections cet objectif. C’est vrai pour l’Europe et les Etats-Unis également.
Bloomberg : Quand avez vous commencé le développement de la Mirai spécifiquement ?
YT: Le développement de la voiture elle-même a commencé en 2012 mais les études sur l’architecture et les composants datent de 2009. J’ai pris la tête du programme en 2012. Entre 2009 et 2012, la période a été troublée pour Toyota au niveau des résultats financiers, mais nous avons décidé de prendre quand même le risque de l’investissement.
LBA : Votre expérience des hybrides vous a-t-elle aidé pour rendre possible la production, en terme de coût et de technologie ?
YT : En terme de technologie, toute la partie relative à la récupération d’énergie, les batteries pour assister à l’utilisation de la pile à combustible, tout ça vient directement de notre technologie hybride existante. Nous avons pu réutiliser un grand nombre de composants de notre gamme. Les batteries proviennent de la Camry Hybrid, et le moteur et l’inverseur proviennent du Lexus RX450h. Grâce à cette réutilisation à échelle importante de composants, nous avons pu maîtriser les coûts et obtenir dès le départ une très bonne fiabilité.
LBA : Comme vous le dites la Mirai combine pile à combustible et système hybride. Quel est l’intérêt de cette combinaison ?
YT : C’est comme pour les hybrides, il y a deux objectifs : d’une part éviter le gaspillage d’énergie en la récupérant quand c’est possible, et d’autre part d’optimiser le fonctionnement de la pile à combustible en la suppléant avec l’énergie venue des batteries quand c’est nécessaire.
B : Quels sont les points importants que vous voulez mettre en avant par rapport à une voiture thermique ou électrique existante ?
YT : C’est une voiture particulièrement silencieuse, confortable, et avec une réponse instantanée. Il faut l’évaluer comme on le ferait avec une voiture normale. On peut comparer ça en terme d’accélération à une berline de 3l, 3,5l. Elle fait 113 KW (154 ch) mais avec un couple instantané de 335 Nm. Pour maximiser la fiabilité et la sécurité, la voiture est assez lourde : 1850 kg. A l’avenir on pourra la faire plus légère, mais pour la première génération nous avons voulu privilégier la solidité. La technologie de la pile à combustible est très ancienne puisque le principe en a été énoncé il y a 200 ans, mais on n’a pas pu en tirer jusqu’à présent beaucoup de puissance. Le système de pile à combustible qui génère de l’électricité domestique à partir de gaz naturel ENEFARM, dont 20 à 30 000 exemplaires sont utilisés dans des maisons individuelles à travers le Japon, fait seulement 700W. Nous faisons 160 fois mieux avec notre pile à combustible mais la difficulté est de réduire la taille sans réduire la puissance.
LBA ; Est-ce qu’il est possible de sortir plus de puissance ?
YT : C’est facile, il suffit d’ajouter des cellules. Depuis les prototypes, on a réussi à réduire la taille des cellules en sortant la même puissance, et on peut les construire beaucoup moins cher. Il est possible d’améliorer encore, c’est ce que nous sommes en train de faire.
LBA : Est-ce que c’est une technologie propriétaire Toyota ?
YT : Oui, c’est une technologie développée en interne dont Toyota détient la propriété intellectuelle.
LBA : La Mirai est une berline. Est-ce que cette même technologie peut se décliner facilement sur d’autres types de voitures ? Citadines, monospaces, utilitaires, etc.
YT : Nous ne sommes pas encore prêts pour une petite voiture. Il faudra réduire la taille des composants. Pour le reste, c’est très possible. Les prototypes étaient des SUVs. Cette fois nous avons choisi une berline pour l’aérodynamique, et la priorité à la conduite.
LBA : Est-ce que c’est une architecture qui pourrait s’adapter pour une voiture de sport ?
YT : Nous n’en sommes pas là pour l’instant, mais le fait d’avoir cette répartition et le centre de gravité assez bas, c’est un élément important pour le plaisir de conduite. Ce n’est pas parce que c’est une voiture qui est bonne pour l’environnement qu’elle ne doit pas être agréable à conduire. Fun to Drive (NDLR : l’expression consacrée devenue un des mots d’ordre importants dans la philosophie Toyota depuis la prise de pouvoir d’Akio Toyoda) est une de nos premières priorités.
B : Pourquoi est-ce que c’est une voiture quatre places seulement ? Y-a-t-il une limitation technique ?
YT : La pile a combustible est située au milieu du châssis. Si l’on avait essayé de placer cinq personnes, cela aurait été plus inconfortable. Nous avons préféré quatre personnes dans le confort. L’avantage de cette architecture, avec la pile à combustible et les deux réservoirs à l’intérieur de l’empattement, est que le centre de gravité est placé bas et au centre. C’est une répartition des masses (59/41) qui s’apparente à une voiture à moteur central avant, ce qui donne un comportement dynamique.
LBA : Qu’en est-il du style ? C’est le premier point sur lequel se focalisent les gens. Comme la Prius en son temps, la Mirai a un style vraiment distinctif. Quel est votre intention avec ce style ? Pourquoi ne pas avoir introduit la technologie sur par exemple une Lexus ?
YT : Nous avons décidé de faire une voiture très différente et distinctive. Nous voulons que cette voiture symbolise le passage à la société de l’hydrogène, qu’elle reste comme celle qui a tout fait commencer, véhicule comme infrastructure, et qu’elle ait un impact maximum. Nous avons voulu faire une voiture fascinante, qui donne envie aux gens de l’essayer. La partie la plus significative est l’avant. Pour la réaction qui génère l’électricité, il faut beaucoup d’oxygène. Les grandes prises d’air à l’avant sont là pour ça, et en même temps pour symboliser la pile à combustible. C’est à la fois fonctionnel et un parti-pris stylistique.
MT : Et la perception des clients au sujet de la performance et la consommation ?
YT : Au Japon, le prix est fixé à 1000 yens pour 1 kg, ce qui si l’on considère la consommation amène la voiture à peu près à des coûts de fonctionnements équivalents à une hybride de la même taille, grâce aussi à la coopération des sociétés d’infrastructure.
MT : La Tesla Model S fait 500 chevaux avec une autonomie importante, et Tesla a développé un système de superchargers qui commence à avoir une importante couverture. Quel est selon vous l’avantage de la pile à combustible vis-à-vis de ce type de voiture purement électrique ?
YT : Pour Toyota, le meilleur scénario pour les voitures électriques est la recharge la nuit et l’utilisation sur des courtes distances en journée. Nous estimons que les chargeurs rapides, si leur usage se multiplie, posent problème car ils génèrent des pics pour l’infrastructure électrique générale, et il n’y a pas de solution à l’heure actuelle. Au contraire, pour la production d’hydrogène, nous prédisons que les sources de production vont se multiplier, et la production et le transport sont possibles plus facilement. Par exemple à Kyushu il y a une station près d’une usine qui génère de l’hydrogène à partir du méthane produit lors du retraitement des eaux usées. 300 kg d’hydrogène sont produits par jour. On peut faire le plein d’une soixantaine de Mirai avec. Si la Mirai n’avait pas été lancée, ce projet n’aurait pas vu le jour. La réalisation a pris 9 mois. Nous pensons qu’il y a beaucoup de pistes de ce type à explorer.
B : En ce moment les voitures sont construites à la main (NDLR dans les ateliers qui accueillaient la LFA), avez-vous des plans pour accroître la production en particulier avec le lancement en Europe et aux Etats-Unis ?
YT : A l’heure actuelle on est à trois voitures/jour, en 2016 on passera à dix voitures/jour, et en 2017 à treize voitures/jour. Ce n’est pas aussi simple que ça en a l’air. C’est la première fois que nous construisons une auto de ce type, donc nous devons apprendre et développer notre processus de production. Une fois que nous aurons compris comment faire, nous pourrons penser à la production hors du Japon.
La Toyota Mirai, c’est donc encore largement du cousu main. Il ne faudrait pas croire cependant que Toyota se lance dans un projet d’envergure limitée. On a vu avec la Prius que Toyota est à l’aise avec le temps long et la montée en puissance progressive. La Mirai avance en éclaireur, histoire de poser le drapeau du constructeur sur la terra incognita qu’est le marché des voitures à hydrogène. Le but est d’acquérir du retour d’expérience avant que la technologie ne soit déployée plus largement comme on commence à le pressentir avec des informations sortant régulièrement dans la presse japonaise de versions FCV (Fuel Cell Vehicle) des modèles haut de gamme de Toyota et Lexus à horizon de trois à cinq ans.
La Mirai se vit-elle pour autant comme un prototype pour pionnier intrépide ou bien déjà une voiture de série policée ? C’est ce que nous allons voir en nous installant au volant sous les encouragements de Tanaka-san, qui en père fier de sa progéniture n’a de cesse que de voir le maximum de gens au volant de sa réalisation.
Crédit photos : PLR/le blog auto
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