F1 – opinion : mort au DRS !

C’était mieux avant ?

Le grand prix d’Imola est donc annulé, en raison des intempéries cataclysmiques qui frappent l’Emilie-Romagne. A l’approche de cette course, une recherche internet m’a fait retomber sur le duel à couteaux tirés que se livrèrent Fernando Alonso et Michael Schumacher en 2005. L’espagnol était le traqué sur Renault, le Kaiser était le traqueur sur Ferrari. Pendant vingt tours, les deux pilotes ne se sont pas lâchés, l’allemand essayant encore et encore de trouver la faille dans l’armure défensive d’Alonso, qui, par sa maestria, entrait définitivement dans la cour des grands ce jour-là. En revoyant les images de ce duel, je n’ai pu m’empêcher d’y penser : si le DRS (Drag Reduction System) avait existé, cette bataille de légende n’aurait jamais eu lieu.

Et oui : Schumacher avait un rythme supérieur à la Renault grâce à des pneus plus frais, et avec un DRS, il aurait sans doute cueilli Alonso à l’approche de la chicane de Tamburello. Mais en 2005, faute de DRS, il a pris l’aspiration plus d’une fois, mais sans jamais parvenir à sa hauteur pour lui faire les freins. Il n’y a pas eu dépassement, et pourtant le spectacle fut magnifique et l’on s’en souvient presque 20 ans après : le dépassement en soi n’est donc pas le problème.

Le dépassement en F1, dépassé ?

Le DRS, né d’une astuce trouvée par McLaren avec son F-Duct en 2011, a été généralisé pour favoriser les dépassements et donc le spectacle en piste, alors même que la F1 était confrontée aux effets pervers de sa sophistication aérodynamique, les turbulences engendrées par ces monoplaces rendant la vie très compliquée pour les voitures suiveuses. Mais ainsi, en créant ce « boost » artificiel, on a favorisé la quantité sur la qualité. On peut se gausser d’avoir comptabilisé tant de dépassements pendant une course, mais, pour reprendre la formule consacrée, « à dépasser sans péril, on dépasse sans gloire ».

Le DRS a automatisé le dépassement – il l’a même standardisé car les zones DRS ont ainsi assigné les endroits « clés en mains » pour passer – mais il lui a enlevé une part de sa magie, car dépasser est non seulement un art du pilotage – et non un « boost » de jeu vidéo – mais aussi une prise de risque, qui en fait tout son charme car dans la course, « ça passe ou ça casse ».

Avec le DRS, aurait-on eu une course poursuite si longue en Prost et Senna à Suzuka en 1989, avant l’attaque kamikaze du brésilien à la chicane ? La remontada d’Alain Prost au Mexique en 1990, le dépassement d’Hakkinen sur Schumacher à Spa en 2000, celui de Montoya sur Schumacher au Brésil en 2001, auraient-ils eu la même saveur – et le même déroulé – si le DRS avait facilité les choses ? Arnoux et Villeneuve se seraient-ils battus comme des chiffonniers à Dijon pendant plusieurs tours ? Bon, là, on remonte peut-être trop loin, tant la configuration des machines était très différente. Mais pour les autres cas que je viens d’énumérer, sans doute pas. Un DRS nous aurait quasiment privé de l’intensité de ces faits de course.

L’art du dépassement

Certes, on pourra rétorquer que la remontada d’Hamilton au Brésil en 2021 est restée dans les annales, quand bien même le DRS lui a permis de le faire. Et le DRS n’a pas empêché la résistance héroïque d’Alonso sur Hamilton à Budapest en 2011, même s’il faut croire que les capacités de l’espagnol ont plus à voir là-dedans. Le double dépassement de Verstappen sur Leclerc et Magnussen à Miami a fait plaisir à voir. Inversement, sans DRS, on peut imaginer que la bataille entre Leclerc et les Red Bull à Bakou aurait duré plus longtemps. Mais là, dès que Perez puis Verstappen sont entrés dans la zone DRS, c’était terminé, avec en plus un différentiel de vitesse qui frôlait le ridicule tant il était énorme. Où est l’adrénaline dans des dépassements aussi stéréotypés ?

Au contraire, on s’est enthousiasmé, à juste titre, quand Alonso a plongé à l’intérieur sur Sainz lors de cette même course, ou quand Ricciardo fait un « dive bomb » sur Bottas à Shanghai en 2019 : ces dépassements étaient inattendus, un brin audacieux et risqués (accrochage possible) et se sont faits sans artifice. Du pur pilotage, un dépassement instinctif ou construit, mais en aucun cas « automatisé ». A contrario, on pourrait rétorquer que le DRS a introduit une nouvelle forme de tactique de course, par rapport aux zones de détection du DRS et dans la lutte en piste pour entrer dans la zone « fatidique » de la seconde, ou au contraire, en mode défenseur, essayer de maintenir le poursuivant au-delà de cette seconde.

L’adrénaline du dépassement ne vient pas de la quantité qui peut nous être proposé, mais d’un contexte -une manœuvre surprenante, une attaque surprise (alors qu’un dépassement en zone DRS, on le voit arriver comme un éléphant dans un couloir) et du ratio prise de risque / réussite ou échec. Avec le DRS, Villeneuve n’aurait sans doute pas tenté le diable sur Schumacher à Jerez en 1997 mais attendu de déclencher son DRS pour avaler la Ferrari en ligne droite. Nous avons eu là un dépassement, ou plutôt une tentative, qui est rentrée dans l’histoire car elle fut à la fois imprévue, risquée, peut-être même suicidaire, avec des conséquences énormes.

Aéro et pneus, l’éternel problème

L’an dernier, on y a cru. Avec la nouvelle donne technique, qui permettait aux F1 de se suivre et de s’attaquer sur plusieurs tours sans avoir des pneus en mousse, la F1 avait évoqué l’idée de supprimer progressivement le DRS. Et puis patatras, la F1 sauce 2023 retombe dans ses travers : le « dirty air » fait son retour, la dégradation des pneus redevient très handicapante avec des surchauffes garanties en cas de bagarre prolongée, et donc les luttes serrées sont redevenues compliquées. Le DRS est donc plus que jamais de mise (même si les zones ont été réduites) pour « sauver la mise » et éviter la procession absolue. On en a vu l’effet pervers à Bakou, mais aussi à Miami : Verstappen est remonté comme une balle, sans rencontrer la moindre résistance. Hormis Perez qui a serré à droite pour défendre sur deux virages sa position, les autres n’ont rien entrepris pour contrecarrer la remontée du champion du monde quand celui portait son attaque. Non seulement le différentiel de performance avec la Red Bull est trop important, mais la préservation des gommes est tellement obsessionnelle, que lui résister sur quelques virages ou quelques tours compromettrait toute la stratégie pneumatique en les usant prématurément. A quoi bon lutter, vu que, de toute façon, on se fait avaler avec le DRS dans la ligne droite suivante ? Ainsi, on ouvre la porte sans se battre. Nombreux pourtant se sont excités devant une remontée, certes fulgurante, mais qui n’a rien d’émotionnellement palpitante. J’ai pour ma part ressenti plus de désolation qu’autre chose.

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