Essai McLaren MP4-12C : le nouvel ordre

La firme

La structure fondée par Bruce McLaren au début des années 60 s’est vite imposée comme l’une des plus grosses entités du sport automobile mondial, dont le palmarès en course a grossi au fil des décennies à tel point qu’aujourd’hui il faut à McLaren un couloir entier pour entreposer dans son usine de Woking tous les trophées récoltés en F1 et ailleurs. Avec l’arrivée de Ron Dennis et la multiplication des filiales du groupe, McLaren s’est vite penchée sur le cas des voitures de route avec un tout premier essai sur des Ford Mustang au début des années 80 (la M6GT, projet de Bruce McLaren à la fin des années 60, n’ayant pas abouti au-delà d’une poignée de prototypes immatriculés). Un essai resté anecdotique dans l’histoire du constructeur, surtout à coté de ce qu’allait sortir McLaren Cars au début de la décennie suivante avec l’arrivée de la F1. En 1992, la F1 enterrait tout ce qui possédait quatre roues, un volant et des plaques d’immatriculation grâce à une technologie très avancée et une philosophie de conception unique.

Ultra-légère grâce à un châssis (déjà) en fibre de carbone et plus puissante qu’une Lamborghini Diablo ou une Jaguar XJ220 grâce à un grand V12 atmo d’origine BMW, la McLaren F1 était conçue comme une stricte supercar en nombre très limité et proposée à un tarif veyronnesque (634 500 livres sterling à l’époque soit 762 000 de nos euros actuels). Elle était aussi construite selon le cahier des charges de l’époque, c’est à dire avec assez peu de concessions faites en matière de polyvalence routière ou d’assistance à la conduite. Un missile né pour bouffer de la piste qui a pris de la valeur au fil des ans, à tel point qu’une F1 se négocie actuellement bien au dessus d’un million d’euros (n’abordons même pas le cas des versions GTR).

Moins d’une décennie plus tard et pour mettre en valeur le partenariat avec Mercedes en Formule 1, McLaren lançait une nouvelle voiture de route à la définition technique en totale rupture avec celle de feu la F1 et largement dictée par Mercedes. Fini les délires d’ingénieur et la recherche de performance pure, la nouvelle SLR offrait une alternative confortable et presque luxueuse aux Ferrari Enzo et Porsche Carrera GT du début des années 2000. Malgré une dégaine absolument unique et des performances plus que respectables, la SLR a été rejetée en bloc par la communauté des puristes et a souvent été décrite comme une auto aux compromis hasardeux et au comportement dynamique perfectible. Plus Benz que Mac, la SLR était malgré tout remarquablement douée pour parader devant les plus beaux palaces du monde et possédait, comme la F1, un châssis en fibre de carbone.

L’épisode SLR, sa perception par la presse spécialisée et les clients ont probablement un peu agacé le grand patron Ron Dennis. Mais ce dernier préparait déjà une riposte à l’envergure jamais vue chez McLaren. En 2009, Ron Dennis se retire de son poste de directeur de l’écurie McLaren F1 pour se consacrer pleinement au développement de toutes les autres activités McLaren et surtout, de celle de constructeur automobile. Le développement d’une nouvelle voiture de route est confirmé, Mercedes n’en est plus le partenaire même si l’on pensait un temps que la firme de Woking continuerait malgré tout d’utiliser des moteurs de la marque à l’étoile.

La rupture

Même pas. A l’été 2010, les premières photos officielles de la MP4-12C apparaissent. Tout est nouveau, même le moteur développé et construit directement par McLaren (du jamais vu). Dans les mois qui suivent, la marque de Woking précise ses nouvelles ambitions qui paraissent assez simples : prendre le contrôle du sport sur la route via une gamme complète avec pas moins de cinq modèles commercialisés en cinq ans. L’objectif paraît démesuré sur le papier, il est à la hauteur des installations et des investissements mis en place par McLaren.

Avant d’arriver devant les installations de Woking, je gardais l’image de McLaren comme une grosse équipe de Formule 1 équipée d’un département voiture de route. Mais une fois rentré dans le McLaren Technology Centre après avoir longé le gigantesque lac artificiel, on se rend compte que le dimensionnement est bien celui d’un vrai gros constructeur automobile dont le niveau technologique est tout simplement stupéfiant. Ici tout porte la griffe Ron Dennis, cette conception du travail qui donne parfois un petit air Men in Black dans des locaux souvent avant-gardistes, parfois gigantesques et toujours d’une propreté clinique. Chez Ron Dennis, tout est pensé pour l’efficience maximale. Il faut arpenter tous ces longs couloirs blanc sur blanc, ces ascenseurs futuristes et ces grandes salles au style impeccable pour prendre la mesure des ambitions de McLaren et de sa philosophie.

Notez que ce centre ultra hi tech est jonché de merveilles automobiles, impossibles à prendre en photo à cause de leur placement devant des endroits stratégiques comme les unités de production des Formule 1 de la saison en cours ou les laboratoires de recherches. Dommage, ce bel alignement de quatre F1 (dont une GTR de route, l’exemplaire victorieux aux 24 Heures du Mans 95 et surtout la F1 Long Tail Gulf Team Davidoff que je considère personnellement comme la plus belle de toutes les GT1 vues au Mans) méritait d’être immortalisé. La colonne de Formule 1 de l’ère Prost/Senna aussi. C’est ballot, mais vous ne les verrez donc pas.

Ce que nous avons pu observer aussi, ce sont les chaînes de production de la MP4-12C qui tournent déjà à plein régime et qui expulsent chaque jour entre 7 et 8 exemplaires de cette nouvelle voiture de sport taillée pour être vendue à peu près partout dans le monde. Là aussi, le dimensionnement impressionne autant que l’ordre, l’ergonomie et la propreté des installations où l’on pourrait quasiment déguster un fish & chips à même le sol sans risque sanitaire. L’organisation fait penser à l’une de ces villes secrètes dans certains James Bond où le méchant construit ses projets titanesques pour détruire le monde, notez qu’il y a déjà la place prévue pour les prochains modèles à venir (MP4-12C Spyder en tête).

Beauté scientifique

MP4-12C, le matricule est à peu près aussi romantique qu’un code de lancement nucléaire et renvoie à un effort de numérotation interne presque masturbatoire. Appelez-la 12C. C’est plus court, ça lui donnerait presque un petit coté italien et comme ça, vous postillonnerez moins en le prononçant. Abordons ses lignes dont les proportions sont similaires à celle d’une Lamborghini Gallardo ou celles de sa cible principale désignée, la 458 Italia. Reste l’appréciation de son style, qui peut se résumer par le commentaire officiel de McLaren « Exterior design : everything for a reason ». Probablement l’adaptation anglaise du Vorsprung durch Technik, dans une variante plus rigoureuse encore. On peut trouver cette poupe intéressante et intrigante mais certains pointeront le rendu très consensuel de sa face avant. Extérieurement la 12C se fait remarquer parce qu’elle a le gabarit d’une supercar, pas pour ses lignes qui ne débordent ni d’exubérance, ni de romantisme pas plus qu’elles ne provoquent. Ce n’est pas une Ferrari ni une Lamborghini. C’est une McLaren M-P-4-12-C conçue par la boite de Ron Dennis. A noter cependant quelques détails funky dans cet univers de rationalité : les portes, qui comme sur la Mercedes SLS, attirent forcément le regard lorsqu’elles sont ouvertes. Le système de commande d’ouverture de la porte lui-même est un truc imparable pour épater sa passagère. Pas de poignée, il faut passer la main en caressant le dessous du creux de la portière pour l’ouvrir. Tout pour avoir la classe en soirée surtout si vous laissez le gros aérofrein arrière en position levée, chose possible via une commande dans l’habitacle.

L’habitacle, parlons-en. Il est de très loin le plus simple dans sa catégorie et fait un peu penser à celui de la Porsche Carrera GT surtout au niveau de sa console centrale. Everything for a reason, encore plus qu’à l’extérieur. Mais contrairement à feu la F1, cet habitacle au design minimaliste n’empêche pas de bénéficier d’un équipement pléthorique comprenant à peu près tout ce qu’une sportive raisonnablement confortable peut proposer. Avec certaines combinaisons de couleurs et de finitions, cet habitacle est aussi assez sympa à contempler et garde ce petit coté zen et parfaitement ordonné de l’usine de Woking.

Une fois installé au volant, la portière est moins difficile à aller chercher que dans une Mercedes SLS AMG où il faut tirer le bras au maximum vers le haut. Après avoir claqué la porte assez vigoureusement (sinon elle ne se verrouille pas), on démarre l’auto via un petit bouton start sur le bas de la console centrale. Le grognement du V8 au réveil est moins violent qu’un V10 de Gallardo, la position de conduite semble juste parfaite dans cet habitacle hautement ergonomique, bien calé devant ce petit volant qui cache une impressionnante zone rouge affichée à 8 500 tours. Sur un moteur bi-turbo, on peut dire que c’est sacrément gonflé.

Pop gear

A ce stade, j’avoue avoir ressenti un peu d’excitation surtout compte tenu du cadre choisi par McLaren pour cette prise en main, organisée sur le circuit de l’émission Top Gear avec exactement le même tracé que celui emprunté par le Stig pour ses powerlaps et par les people en reasonably priced car. Pas un hasard pour McLaren puisqu’on sait que la MP4-12C a beaucoup évolué sur ce tracé pendant sa mise au point et qu’elle y excelle, elle qui y revendique le record absolu pour une voiture de sport homologuée route (si on met de coté le chrono de la terrifiante Ariel Atom 500 V8).

Tout commence par un petit passage par la très grande ligne droite d’une piste de décollage pour jauger ses capacités d’accélération. Je restais sur de précédentes expériences en Nissan GT-R 2011 ou en Gallardo LP570, j’ai perdu tous mes repères après un premier lancement opéré via le launch control. Fichtre, Ron Dennis n’est peut être pas l’homme le plus marrant sur Terre mais il aime les grosses catapultes. Cet engin possède un pouvoir d’accélération terrifiant, surtout une fois passé la barre des 100 km/h où contrairement à une GT-R, l’intensité de l’accélération ne diminue pas. Me voilà déjà à plus de 180 mph (plus de 270 km/h) avec la tête toujours collée au fond du baquet. Je n’avais pas eu l’impression de prendre une si grosse claque en Lambo Superleggera. En plus, la claque est aussi sonore. Dans leur cahier des charges, les ingénieurs McLaren ont visiblement fait comme chez Porsche avec un très gros travail sur le son du moteur quitte à verser largement dans des procédés artificiels. Quelques corrections ont sans doute été apportées depuis les premiers essais où certains se plaignaient du manque de bruit du V8 : avec le set-up moteur en position Track, la sonorité à l’intérieur fait quasiment penser à celle d’un V8 atmosphérique, il hurle et son intensité est telle qu’il est impossible de se faire entendre par son passager. Si vous préférez entreprendre une grande discussion philosophique à bord, il faut placer la molette moteur/boite sur la position normale pour rendre le V8 nettement plus discret.

Captain slow

Il est maintenant temps de se lancer pour de bon à l’assaut de cette fameuse piste de Dunsfold avec moi au volant, ce qui revient à peu près à installer un Stig manchot et unijambiste aux commandes de la MP4-12C. Autant dire que le record ne risque pas d’être battu, reste à voir ce que cette machine à la fiche technique si parfaite est réellement capable de procurer en conduite sur circuit. Les paramètres de l’auto sont simples à choisir puisque deux molettes suffisent : celle de gauche qui joue sur le réglage des suspensions et de la direction (Normal, Sport, Track) et celle de droite qui agit sur l’ensemble moteur/boite (Normal, Sport, Track). Avec les deux molettes placées sur la marque Track, les suspensions deviennent raides, la direction ultra-directe, le moteur bien plus sonore et la boite de vitesse tolère les envolées à la zone rouge.

Le grip atteint un niveau hallucinant sur la courbe serrée en sortie du Hammerhead, la boite réagit au moins aussi promptement que sur une GT-R ou une M5 au rétrogradage. Il faudra par contre s’habituer à ce système de palettes « pre-cog » au volant, un peu déroutant au début : l’ergonomie des palettes est parfaites (solidaires du volant, de taille suffisante), mais elles permettent de préparer « manuellement » le rapport que vous vous apprêtez à passer si vous appuyez légèrement sur la palette de gauche (pour annoncer un rétrogradage) ou celle de droite (pour annoncer une montée de rapport). Le but est de gagner encore en temps de réponse au moment où vous voulez réellement changer de vitesse, puisque ce changement aura déjà été préparé électroniquement. Sauf qu’au début, on a tendance à oublier cette fonction et on se contente d’appuyer normalement sur la palette pour changer de rapport et là… rien ne se passe puisque la boite croit que vous préparez simplement le prochain rapport à engager via la fonction pre-cog.

En fait, pour ordonner un changement de rapport sans l’annoncer, il faut appuyer un peu plus fort sur la palette. De cette façon, un clic se fait sentir et la boite comprend que vous lui demandez de passer le rapport là, tout de suite, maintenant. Elle s’exécute gentiment, certes de façon légèrement moins supersonique que si vous aviez préalablement annoncé le prochain rapport à passer, mais toujours dans un délai remarquablement court par rapport à la plupart de ses concurrentes. Cette boîte double embrayage est peut-être la meilleure de la catégorie, il faudrait juste essayer une 458 pour statuer définitivement sur le sujet.

Dans les passages rapides au milieu du grand 8, cette 12C brille par sa facilité et autorise bien des imprécisions de la part de son très modeste conducteur. Nous en avons profité pour tester le passage de la courbe Bentley, ce gauche très rapide où Jeremy Clarkson explique qu’en mettant la roue avant gauche dans le trou pour gagner en trajectoire, le choc est totalement absorbé par la 12C grâce à sa suspension révolutionnaire. Pour avoir donc essayé cette manœuvre, on se dit que Top Gear doit probablement détruire les autres voitures puisqu’avec la 12C, c’est déjà très violent à bord même sans prendre la courbe à fond comme le fait le vrai Stig.

iMac

En même temps que les tours s’enchaînent, la 12C devient de plus en plus familière et ne piège pas. L’anglaise ne rechigne jamais à dépasser les 8000 tours en faisant exploser les circuits de résonance du moteur. Ce bruit est cool même s’il prend moins aux tripes qu’avec un 8 ou 10 cylindres atmo italien. Le freinage impressionne, le ressenti à la pédale est différent selon que vous ayez ou pas les disques carbone-céramique (en option). Mais dans les deux cas, la force de freinage est au top et aucune baisse d’efficacité n’est à signaler après une journée complète où les autos ont enchaîné les sessions de tours. Malgré tout, la 12C ne peut pas changer les lois de la physique et n’échappera pas à du sous-virage dans une courbe très serrée (Chicago) négociée beaucoup trop vite, ce que tente de combattre le système Brake Steer qui freine la roue arrière intérieure lorsque le sous-virage est détecté par l’électronique.

Sur le plan du pilotage pur, la 12C est une élève brillante, bien aidée par un arsenal électronique finalement pas si intrusif si vous placez les paramètres en mode Track, où l’ESP est nettement dégradé. En revanche, elle semble moins à l’aise pour jouer les vilaines filles. La 12C autorise quelques jolies ruades du train arrière à la faveur d’une sortie de virage soudée volontairement à l’accélérateur. Pour enchaîner les courbes par les portières devant un épais nuages de fumée en revanche, bon courage au dompteur qui devra se battre avec cet arsenal électronique resté en veille dont le seul objectif est de remettre la voiture dans le bon sens. Là aussi, c’est un peu la philosophie de McLaren qui parle… et Ron Dennis qui vous colle une baffe virtuelle à chaque fois que vos tentez de faire le sauvageon au volant de cette voiture de sport conçue comme une bête de performances, pas comme une grosse Benz AMG qui ne demande qu’à dandiner joyeusement du croupion.

Mieux qu’une vieille DS

Le remarquable effort d’ingénierie sur la 12C tient aussi à son incroyable faculté à se fondre dans l’air du temps. La F1 était une machine sélective et peu à l’aise une fois sortie d’un circuit, la 12C n’oublie pas le profil d’un acheteur de supercar standard, celui qui n’a pas le coup de volant de Lewis Hamilton et roule aussi sur les Champs Elysées, la Croisette ou le Port de St-Tropez. Forte de son châssis en fibre de carbone ultra-léger, la 12C n’embarque pas de barres stabilisatrices mais plutôt un ingénieux système de suspension avec un circuit qui fait la connexion entre chaque roue. Intégralement géré électroniquement via une technologie qui dépasse mes connaissances de collégien, ce système est annoncé meilleur qu’un ensemble de suspension classique par McLaren. Effectivement, le ressenti sur circuit est excellent mais c’est sur la route où ce système fait la plus grosse différence. Placée en Track, elle est raide à souhait et placé en Normal, elle transforme la MP4-12C en une étonnante GT à l’amortissement souple. C’est incroyable de dire ça mais sur les chaussées défoncées autour du circuit Top Gear, j’ai trouvé l’auto plus confortable que la Mini Roadster que je viens d’essayer sur les routes corses.

Ces deux molettes du tableau de bord de la MP4-12C, c’est Transformers avec Megan Fox en moins. Vous pouvez passer d’une GT capable de voyager sans détruire votre dos à une pure pistarde rien qu’avec ces deux boutons. Et comme les réglages des suspensions et de l’ensemble moteur/boite sont sur deux molettes différentes, vous pouvez même rouler avec des suspensions souples en ville tout en gardant une sonorité moteur hardcore (utile si vous n’aimez pas vos voisins).

And it crosses the line

La MP4-12C est parfaitement calibrée pour pénétrer la catégorie des supercars d’entrée de gamme (appelons-la comme ça), ce segment où évoluent des berlinettes hautes performances et de puissantes GT à plus ou moins 200 000 euros. Coté tarif, elle est dans le haut du panier avec un ticket d’entrée à 201 000 euros, très légèrement au dessus d’une 458 Italia (à partir de 196 900 euros) et à peine plus bas qu’une Gallardo LP570 Superleggera (209 000 euros). Les Ferrari et autres Lambo garderont leurs fans sans difficulté, pour tout le reste il y a la MP4-12C qui peut être (au moins) aussi performante qu’une 458 Italia sur circuit et pas moins confortable qu’une SLS AMG sur la route. Je reste amoureux des Italiennes mais j’ai du mal à imaginer comment cette nouvelle arrivante pourrait ne pas s’imposer parmi les références de la catégorie. Si tout se passe comme prévu, il s’en écoulera près de 1500 chaque année dans le monde. Il est loin, le temps de la F1.

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