Lorsque l’on touche au fantasme automobile, une marque italienne occupe indéniablement une place particulière. Son patronyme est sans doute moins connu du néophyte moyen que celui d’une certaine enseigne au cheval cabré, mais peut-être est-ce aussi parce que ce nom est sensiblement plus long et difficile à écrire. Pourtant, il y a incontestablement un domaine où une Lamborghini se distingue encore plus rapidement qu’une Ferrari rouge : le style, reconnaissable d’entre mille à chaque fois que l’une de ces choses plates, basses, provocantes et bruyantes s’insère dans la circulation pour troubler la routine automobile. La dernière fois que l’équipe du Blog Auto prenait contact avec la marque de Sant’Agata Bolognese, nous étrennions la Gallardo Superleggera sur le Circuit Paul Ricard HTTT. Nous revoilà sur le plateau du Castellet pour découvrir celle qui la remplace, à l’occasion de la dernière manche du Trofeo Lamborghini.
Countach!
Quelques années après la décision prise par Ferruccio Lamborghini de venir humilier son ami Enzo à son propre jeu, la nouvelle marque italienne commettait enfin la terrible Miura avec la complicité de Marcello Gandini. Un objet roulant et fascinant qui comportait déjà les caractéristiques qui resteront associées à la marque au taureau pour toute la suite de sa carrière : un moteur installé derrière les passagers et une ligne à couper le souffle. Les observateurs – et la concurrence – avaient à peine le temps de reprendre leurs esprits que Lamborghini récidivait dans la foulée avec une nouvelle berlinette encore plus avant-gardiste : Countach.
Jamais ô grand jamais une voiture de sport n’avait été si étourdissante. Tout sur cette auto respirait la provocation. De ses lignes anguleuses à sa forme ultraplate – elle qui ne culminait qu’à un peu plus d’un mètre du sol – jusqu’à son patronyme, issu d’un obscur vocabulaire piémontais à consonance obscène.
Une forme basse et monolithique devenue indissociable des productions Lamborghini après cet exercice osé, et qui perdurait donc après le rachat de la marque italienne par le groupe Volkswagen à la fin des années 90. Aux crayons du constructeur italien désormais passé sous le giron allemand, Luc Donckerwolke réussissait dans un premier temps à rassurer toux ceux qui craignaient pour la sauvegarde du style Lamborghini : la Murcielago était aussi belle que sa devancière. Puis il fallait étoffer la gamme afin d’assurer définitivement sa rentabilité commerciale sans dénaturer l’image de la firme de Sant’Agata. Objectif atteint dès 2003 avec l’arrivée de la Gallardo. Reprenant l’esprit « baby Lamborghini » de feu la Jalpa ( mais heureusement pas son design un peu ingrat ), Gallardo se voulait donc plus accessible que sa grande sœur Murcielago en perdant deux cylindres en même temps que les portières à ouverture verticale.
Toujours composé d’une grande courbe tracée du nez jusqu’à la poupe au raz du sol, le style de la Gallardo collait parfaitement à l’image qu’on se fait d’une Lamborghini, oscillant entre provocation et élégance. Mais sans doute pas son tempérament manquant de fougue pour une auto aussi critiquable pour la transparence de son habitacle, comportant tous les gimmicks de la rigueur Audi mais très peu d’exubérance italienne.
Heureusement, Lamborghini se faisait vite pardonner en apportant une dose d’agressivité supplémentaire à sa Gallardo. La Superleggera arrivait en 2007. Plus légère, plus puissante et beaucoup plus épicée, elle émerveillait l’équipe du Blog Auto sur la piste du Paul Ricard HTTT lorsque nous en prenions le volant.
Encore plus de taurine
Et à peine douze mois plus tard, Lamborghini présentait à Genève sa LP560-4. Nouvelle mouture de la Gallardo, elle semble taillée pour faire taire définitivement toutes les critiques quant au manque de caractère de la première mouture. Son style devient nettement plus affirmé et ses lignes se parent de références à la terrifiante Reventon. Son habitacle bénéficie d’un nouveau traitement et son V10 gagne quelques centilitres de cylindrée ainsi que l’injection directe, soit de quoi faire grimper la puissance à 560 chevaux et tutoyer dangereusement le monde des supercars.
Rendez-vous était donc donné à l’occasion de la dernière manche du Lamborghini Super Trofeo disputée sur le circuit Paul Ricard. La piste colorée du HTTT était occupée par les voitures de couse pendant tout le week-end alors après un entretien avec le grand patron Stefan Winkelmann, nous sortions de l’enceinte du HTTT pour rejoindre les petites routes du Castellet équipés de notre berlinette peinte en Bianco Canopos et chaussées de jantes Cordelia.
Rigueur / passion
La LP560-4 conserve évidemment les portières à ouverture conventionnelle de la première Gallardo mais aussi sa hauteur, elle qui culmine toujours à seulement 1,16 mètres du sol. Il faut donc faire preuve d’un peu de souplesse pour s’installer à son volant et surtout bien veiller à ne pas porter de minijupe afin d’éviter de faire les choux gras de la presse à scandale ( demandez à Paris Hilton et sa McLaren SLR ). Bien calé dans le joli siège baquet dépourvu de harnais intégral, on découvre une ambiance sensiblement différente par rapport à la première Gallardo. La planche de bord est quasiment identique aux précédentes moutures dans son agencement, mais elle ne dégage plus la sensation de tristesse autrefois reprochée à la « petite » Lamborghini. Dans notre modèle d’essai, l’association entre cuirs noirs et blancs agrémentée d’une petite touche de fibre de carbone rend l’ensemble vraiment beau au regard. Moins délibérément sportif que dans feu la Superleggera – c’est logique – et plus chaleureux que celui d’une Audi R8, en tout cas dans ce rendu noir / blanc que je trouve parfait. Ni trop triste, ni trop voyant.
Boite E-Gear oblige, la magnifique grille Lamborghini laisse la place à une simple plaque rassemblant les différents modes de transmission proposés, du « Sport » au « Corsa » en passant par le tout automatique, juste au dessous de l’indispensable bouton permettant de rehausser la garde au sol pour passer un gros dos d’âne ou un petit trottoir. Enfin, l’ordinateur surplombe la planche de bord et permet de manœuvrer ( presque ) aussi facilement que dans une vulgaire citadine grâce aux radars et à la caméra de recul.
Oxymore italien
Sitôt la clé de contact tournée et le pied maintenu sur la pédale de frein ( pas de bouton « Start » ), le grondement du V10 5,2 litres vous colle immédiatement le sourire aux lèvres si ce n’est pas déjà le cas depuis que vous contemplez ses lignes. Mais en manoeuvrant l’auto pour la faire sortir de l’enceinte du HTTT, c’est l’une des deux facettes principales du caractère de la LP560-4 qui impressionne son conducteur : sa docilité d’utilisation en conditions normales. Mode automatique enclenché et sur un filet de gaz, elle se conduit de la même façon qu’une Audi R8 lorsque vous la plongez dans la circulation urbaine : comme une paisible citadine pour laquelle il faut simplement garder à l’esprit sa largeur, sa garde au sol et ses angles morts fatalement un peu plus problématiques que sur une 207 HDI. Tout le reste est bluffant de facilité. La scène de la LP560-4 conduite par une grand-mère dans Top Gear est à peine exagérée et les souvenirs d’une Diablo ou d’une Countach qui détruit les bras et le mollet gauche de son conducteurs sont à des années-lumière de cette monture capable de se plier à n’importe quelle utilisation.
La deuxième facette de sa personnalité – et c’est bien celle qui se montre la plus fascinante – se révèle sitôt la première pression franche sur la pédale de droite. Non la Lamborghini LP560-4 n’est pas une simple Audi R8 vendue plus chère et vainement affublée d’un blason italien. J’en suis certain depuis cet instant où j’ai enfoncé l’accélérateur à fond pour la première fois, déchaînant les 560 chevaux du beau V10 maintenant équipé de l’injection directe et d’une boite de vitesse robotisée au temps de changement de rapport plus rapide par rapport à la précédence version.
Ode au masochisme
Arrivé en fin de première dans un hurlement à la sonorité au moins aussi enivrante que sur la Superleggera, j’appuie sur la palette de droite pour enclencher la seconde vitesse, occasionnant une violente coupure ( elle ne dure pourtant que 120 millisecondes ! ) pendant le changement de rapport qui fait claquer l’arrière de mon crâne contre le siège baquet en cuir. Une brutalité de fonctionnement – associée au bruit et à l’intensité de l’accélération – qui me pousserait presque à trouver un défaut dans toutes ces nouvelles boites de vitesses à double embrayage sans à coup entre les vitesses. Peut-être est-ce là une obscure tendance au masochisme de ma part, mais le coup de raquette dans le crâne à chaque coupure d’alimentation du V10 entre deux hurlements est l’une des choses les plus jouissives qu’il m’ait été donné d’expérimenter au volant d’une automobile.
Ce V10 est décidément une pièce de choix dans la planète de l’automobile d’exception contemporaine. Sans aller jusqu’à l’extase à douze cylindres de sa grande sœur, il s’impose incontestablement comme l’une des sonorités les plus envoûtantes du marché. Le sang – à base de pétrole – qui coule dans ses organes est définitivement italien mais même en enivrant son conducteur par ses vocalises et ses performances, la Gallardo n’oublie pas de se doter d’un comportement dynamique aussi prévenant qu’efficace. Une fois assimilé le fonctionnement de la pédale de frein – à la course assez déroutante – on se lance à l’assaut de la moindre petite courbe dans un vacarme exquis. Freinage, l’auto se place avec une précision chirurgicale mais se charge vite de rappeler son mode de transmission – intégral – en vous aspirant tout de suite vers l’extérieur s’il vous prend l’envie d’ouvrir les gaz en grand au milieu d’une courbe. Oui, madame est tolérante mais pas au point d’oublier les fondamentaux de la conduite sportive lorsque vous décidez de lui mettre son compte. Son poids relativement contenu – 1500 kilos sans les pleins – et l’efficacité de son châssis – toujours basé sur une structure singleframe en aluminium – en font une arme terrible sur tous les terrains qu’elle visite.
Équilibre exquis
Pour moi, cette nouvelle LP560-4 symbolise à elle toute seule le tour de force réalisé par la firme de Sant’Agata Bolognese ces dernières années. A l’image de son flamboyant patron Stefan Winkelmann, elle parvient à prendre le meilleur de deux mondes, de deux cultures automobiles difficilement conciliables qu’elle réussit pourtant à superposer. Oui, même si on entend effectivement parler dans la Langue de Goethe chez Lamborghini, l’émotion transalpine est toujours fermement ancrée dans l’ADN des productions marquées du taureau. Mais plus au prix de devoir se plier aux caprices de ces belles. Toujours surpuissantes et exclusives, elles sont devenues compatibles avec une utilisation « normale » et permettent même à un mauvais pilote ( comme moi ) de rouler fort sans craindre une ruade imprévisible et destructrice. Admirable équilibre entre fougue et docilité sublimé par un effet sonore d’une rare intensité qui incite aux vices les plus agréables qu’un objet à quatre roues puisse satisfaire.
Vendeuse de rêve
La LP560-4 est dotée d’une ligne époustouflante. La simplicité du dessin de la Gallardo est maintenant saupoudrée d’une appréciable dose d’ostentation répartie entre les entrées d’air frontales devenues béantes et acérées façon Reventon, les ouies supplémentaires devant les roues avant et même l’agencement des LED occupant chacune de ses optiques. Posée à ses cotés, une F430 ou une 911 GT2 tend très vite vers la transparence face à la Lamborghini, surtout lorsque cette dernière est peinte de ses teintes les plus provocantes ( je pense tout particulièrement au vert pomme ).
On nous le répète souvent en France : une voiture de sport ne sert à rien sur route ouverte dans notre pays où l’automobile est de plus en plus souvent considérée comme un simple objet polluant et parfois meurtrier. Pourtant au volant de la LP560-4, véhicule incomparablement inutile et dangereux dans notre culture répressive et autophobe, j’ai pris un grand plaisir à constater les réactions des badauds et autres automobilistes. Ce gamin qui ouvrait les yeux en grand en prononçant un vilain gros mot dans le vilage de Cuges Les Pins lorsqu’il voyait passer la Lamborghini blanche, ce motard klaxonnant en faisant coucou de la main droite ou ces deux enfants à l’arrière d’un Scenic, braqués vers la sportive italienne avec la bouche en cul de poule. Lorsque la Lamborghini passe, les passants s’arrêtent de marcher et la plupart d’entre eux esquissent un sourire avant de reprendre une activité normale. Même en France, il semble subsister malgré tout une forme de passion automobile, dont la lueur est comme ranimée par le passage d’une Gallardo LP560-4. C’est net, pour moi cette auto est d’utilité publique.
Parfaite ?
Conciliation réussie entre docilité et fougue, la Gallardo LP560-4 se métamorphose en fonction de l’humeur de son conducteur et sitôt le papillon des gaz ouvert en grand. Capable de performances de très haute volée sans nécessiter de compétences spéciales à son volant, elle fait montre d’un caractère latin qui n’a vraiment rien d’usurpé. Un caractère qu’elle annonce d’emblée par un style unique et caractéristique. Est-il possible de faire encore mieux ? Peut-être avec une variante Superleggera qui tomberait à point nommé en attendant les nouvelles Ferrari 458 Italia et McLaren MP4-12C…
Galerie photo : Essai Gallardo LP560-4
Crédit photo : Patrick Garcia
Un grand merci à Claudia Schneider