Elle n’a jamais couru Episode 9 : l’Alpine A350 de F1

Alpine n’a jamais été engagé en Formule 1 de son histoire. Pourtant, le constructeur de Dieppe a failli plusieurs fois sauter le pas. En 1968, Elf, détenu par l’Etat, veut s’engager en F1 et cherche un constructeur tricolore pour cela. le pétrolier convainc Alpine de construire un prototype de F1. Ce sera l’A350. La conception est confiée à Richard Bouleau et Henri Gauchet. Michelin, partenaire pneumatique les assiste.

La genèse du projet

L’entreprise de Jean Rédélé est toujours indépendante – théoriquement. Mais, Renault a déjà commencé à mettre en place son contrôle depuis 1965 et la distribution des Alpine en 1966 dans le réseau au losange. Avec l’aide des moteurs de Renault (non badgés et pas forcément les mêmes que René Bonnet), Alpine est engagée dans différents championnats comme l’endurance, évidemment, avec l’Alpine M63 et M64 aux 24 heures du Mans mais aussi en monoplace avec la Formule 3 ou la Formule 2. Le pilote maison, Mauro Bianchi, grand-père de Jules Bianchi, est évidemment de la partie pour l’engagement en F1.

La M63 est née sous le crayon de Richard Bouleau et se montre performante avec son petit 4 cylindres. Le credo est la légèreté et cela compense des moteurs derrière niveau puissance. Bouleau travaillera aussi sur la M64 pour les 24H du Mans 1965 toujours avec un 4 cylindres en ligne. Chez Alpine, on sait que pour viser plus haut, il faudra passer par un plus gros moteur et on se tourne vers Amédée Gordini. Le V8 proposé est bien plus lourd que le L4 et l’A210 (M65) ne le supporte pas.

L’étude d’un nouveau châssis est lancée par Bouleau (ce sera l’A220 de 68) et l’idée de mettre le V8 dans une monoplace fait son chemin. L’appel du pied d’Elf tombe à point. Ce n’est pas la première fois que la F1 tente Rédélé. Déjà en 1963, il a présenté à Renault un projet à mener ensemble pour s’engager en Formule 1. Les dirigeants, trop frileux, refusent et Rédélé doit remballer son projet.

Pas assez de puissance, mais une suspension « à plat »

En F1, on est encore à l’époque des châssis tubulaires. Alpine n’y déroge pas et lui installe donc le moteur du préparateur Renault, Gordini. Ici, le V8 cube 2996 cm3 (la limite de cylindrée étant fixée à 3 litres) et est alimenté par 4 carburateurs Webber double-corps avec un allumage Magneti-Marelli.

Le V8 Gordini reste fidèle aux carburateurs quand d’autres se tournent vers l’injection. Le moteur a été conçu pour l’endurance et ne développe qu’environ 310 chevaux. La coque est en polyester et la bête ne pèse que 540 kg. C’est tout de même 40 kg de plus que les plus légères du championnat que sont les Lotus de Colin Chapman par exemple.

L’arme technique de l’Alpine A350, ce sera sa suspension ! En effet, Richard Bouleau conçoit une « suspension à plat » où les deux côté sont reliés. Quand on comprime le côté gauche, cela détend le côté droit. Cela permet à la monoplace de virer avec ses pneumatiques quasiment à plat. Ainsi la bande de roulement reste plus en contact avec le sol et cela permet d’avoir une tenue de route supérieure. Cela compense le poids plus élevé, autorise des « freinages de trappeurs » et des passages en virage plus rapides.

Michelin propose également de façon exclusive un nouveau pneu radial qui doit apporter son avantage. Les premiers essais sont concluants et le projet avance, en secret. Officiellement, Alpine travaille sur une suspension pour la Formule 2, dans un coin de l’atelier où on assemble des berlinettes A110 la semaine.

En secret de Renault

Rédélé sait que Renault ne veut pas que son nom soit associé à un projet sportif Alpine (ni sur les voitures de série à cette époque). Mais, il se dit que si la voiture peut rivaliser pour les points en F1, Renault ne pourra pas refuser. Après tout, en 1966, Brabham remporte le titre constructeur, et Jack Brabham le titre pilote, avec un « poussif » Repco 620 qui est donné pour 300 chevaux environ. Rédélé espère même que Renault pousse le développement du V8.

La voiture sort de l’atelier début avril 1968. Les premiers essais ont lieu à Ladoux, le circuit de test de Michelin, à la fin avril. Le projet avance tellement qu’Alpine a prévu de s’engager à Rouen-lès-Essarts pour le Grand-Prix de France 1968. Placé en juillet, à la mi-saison, le GP de France est plutôt rapide. On est sur un circuit routier à l’ancienne, et si les F1 n’atteignent pas la moyenne de 240 km/h comme à Spa Francorchamps ou à Monza, la pole se joue tout de même au-delà des 200 km/h.

L’Alpine A350 n’est pas aussi légère que ses futures concurrentes (pourtant c’est la philosophie de Jean Rédélé). Mais, c’est le moteur que Renault va mettre en accusation. Officiellement, la Régie Nationale trouve le V8 Gordini un peu faiblard. En effet, le moteur affiche 310 chevaux à 7500 tours/min quand les autres motoristes disposent de 100 chevaux de plus. Le V8 DFV de Ford Cosworth est LE moteur du moment. Il sort 420 chevaux. Forcément, le Gordini fait pale figure mais chez Alpine on pense s’en sortir avec la suspension et le talent de Mauro Bianchi. Officieusement, Renault a interdit l’utilisation du V8 en monoplace et s’y tient.

Renault bloque le projet et ordonne la mise au rebut de l’A350

Hélas pour la flèche bleue, Renault met son veto au dernier moment. Le projet doit être remisé. Pour éviter toute tentation de relance du projet, Renault impose aussi la destruction du prototype. Il faudra pratiquement 10 ans de plus – et une autre tentative d’Alpine – pour voir une Renault en Formule 1, la RS01, toujours avec Elf qui n’aura pas renoncer à son envie de F1 non plus. Alpine ne fera jamais de F1.

Quant aux gens de Dieppe, ils se consoleront avec les 24 heures du Mans. En 1968, l’entreprise signe une double victoire en catégorie avec l’indice du rendement énergétique (Therier-Tramont) et l’indice de performance avec Jean-Claude Andruet et Jean-Pierre Nicolas sur des A210 avec moteur L4. Le V8 Gordini pour sa part semble avoir été réutilisé pour l’A220, dérivée de l’A210. Si la performance globale est la meilleure des Alpine (8e place finale), André de Cortanze (nous y reviendrons…) et Jean Vinatier terminent tout de même à 34 tours de la Ford GT40 John Wyer aux couleurs Gulf.

Il y aura aussi l’épopée de la Berlinette en rallye WRC, toujours avec les fidèles Andruet, Nicolas ou Thérier, et l’apport de Bernard Darniche. La marque décroche le « Championnat international des marques » 1971 (le championnat du monde des rallyes d’existe pas encore) et le championnat WRC en 1973. Côté pilote, Jean-Luc Thériet aurait dû être titré champion du monde si le titre pilote avait existé en 1973.

Si vous voulez en savoir plus sur l’Alpine A350, nous vous conseillons le livre numérique « Alpine & Renault: The Development of the Revolutionary Turbo F1 Car 1968-1979 » de Roy Smith dont sont tirés certains détails de ce texte.

Illustration : AAA

(18 commentaires)

  1. Depuis toujours à la ramasse . C’est pas la stratégie qui est inquiétante mais le stratége chez Renault. Rien d’étonnant.

    1. Achete quelques livres sur l’épopée Renault en matière de sport, lis les si tu sais sinon va te coucher.

  2. Merci Thibault.
    Quand je lis que les dirigeants de Renault de l’époque ont sabordé le projet, ça me révolte : on connaît les noms … direction le tribunal pour saccage de savoir-faire et de patrimoine national.

      1. « les cheveux longs , les idées courtes »
        pour certains la tondeuse n’aurait pas été un mal ! 😉

    1. Cela aurait pu. La volonté de l’Etat France était d’avoir une écurie 100% française en F1.
      Il y avait même une aide d’état prévue pour le projet qui se lancerait.
      Matra s’est lancé avec le lourd V12, et une voiture lourde elle aussi malgré de l’aluminium (pas loin de 600 kg soit 100 de plus qu’une Lotus par exemple).
      La MS11 n’était pas 100% française car la transmission était de chez Hewland mais cela pouvait passer.
      Chez Matra on s’est rendu compte que le V12 maison était incongru dans la F1 de cette fin des 60’s et ils sont passés rapidement au moteur vedette, le Ford Cosworth DFV.

      Ah si Renault n’avait pas été si frileux, ou si conservateur…avec une première demi-saison « pour voir » et l’aide officielle du constructeur pour améliorer le moteur, on aurait pu avoir la première victoire d’une écurie française bien avant et l’avenir en eut été changé 😉
      Rédélé avait déjà dû faire des pieds et des mains (et des concessions) pour obtenir le L4 double arbre à came de Renault…alors un V8…
      Au début des années 60, la France est représentée au Mans par René Bonnet (Bonnet automobile) et Charles Deutsch (CD) qui viennent de se séparer. En effet, la marque Deutsch-Bonnet (ou DB) s’arrête après 15 années de collaboration conflictuelle.
      Les deux se battent pour les catégories d’efficience ou d’indice énergétique, qui était prestigieux, presque autant que la victoire au général.
      René Bonnet était le concurrent direct de Rédélé et Alpine. Sauf que Bonnet a obtenu de Renault le moteur Gordini L4 à double arbre à cames qui était plus performant que l’ancien L4 dont devait se contenter Alpine.

      Rédélé finit par obtenir le nouveau Gordini (quelles concessions faites ?) et c’est la M63 qui nait.
      Bouleau à la manoeuvre, Marcel Hubert (débauché de chez CD) à l’aérodynamique…et une voiture qui avec les environ 95 ch du moulin arrive à dépasser les 230 km/h 🙂
      Bonnet est dépassé, battu à plate couture par Alpine en 63. 1964 est l’année de trop…il doit céder son entreprise à son principal actionnaire qui n’est autre que Matra 🙂

      D’ailleurs, pour ceux qui connaissent la Djet, on la connait (un peu plus de 150 exemplaires) en tant que René Bonnet Djet, puis en tant que Matra Djet (un peu plus de 1500 exemplaires).
      Les René Bonnet Djet sont évidemment les plus recherchées.

      Beaucoup de ces marques auraient pu survivre. Mais Renault était dans une vision de marque unique. Alpine et Gordini seront fusionnés en 1976 dans Renault Sport, les autres marques ont été remisées, planquées, revendues, etc.

      1. Le V12 MATRA etait plus lourd que le V8 COSWORTH, tout comme les V12 FERRARI – BRM – ALFA ROMEO, mais les V12 développaient plus de puissancE

      2. « Chez Matra on s’est rendu compte que le V12 maison était incongru dans la F1 de cette fin des 60’s et ils sont passés rapidement au moteur vedette, le Ford Cosworth DFV. »
        Vous allez un peu vite en besogne il me semble Thibaut. La Matra a d’abord été équipée d’un moteur Ford, et a remporté le titre 69 avec Jacky Stewart et l’écurie de Ken Tyrrell sous le nom de Matra-International. Elle a ensuite été équipée du V12 maison,en 1970, dans lequel Ken Tyrrell ne croyait pas, ce qui a conduit à la rupture avec Matra, et la création de la marque Tyrrell.

  3. Quand Gordini a sorti son V8, on estimait à l’époque que ce moteur était déjà dépassé. 50 ans après on peut refaire l’histoire mais bon…
    D’autre part la F1 était loin d’avoir l’aura qu’elle a eu par la suite ( voir un de vos articles récents avec Balestre et Ecclestone), et si les championnats de voitures Sport-Prototype ont périclité, c’est bien la faute de l’ACO, qui a eu peur des vitesses atteintes au Mans, et qui a sabré les P4 et Ford GT40 en 67. Alpine aurait pu insister en proto 3 litres, mais ne l’a pas fait, c’est peut-être dommage mais quand les voitures Sport sont sortis ( des protos construits à 25 exemplaires , Porsche 917 puis Ferrari 512 S) la messe était dite!
    Quand je lis dans un autre commentaire que l’indice de rendement énergétique était – presque – aussi prestigieux que la victoire ….non, désolé, c’était le lot de consolation pour les constructeurs français avec leurs petits moulins de mobylette. Il y avait aussi l’indice de performances, là aussi pour récompenser les petits moteurs. Ce qui intéressait la foule c’était les luttes entre Ferrari, Maserati, Jaguar, puis Ford, Porsche etc…Quand ça a tourné à la formule monotype ou presque, Porsche contre Porsche, maison mère contre préparateurs, l’intérêt a fortement décru. Les victoires de Matra, Renault-Alpine, Peugeot, ont ranimé un peu la flamme, mais il a fallu attendre quelques beaux duels avec Audi, puis Toyota pour que Le Mans revienne au sommet. D’ailleurs les nouveaux changements de règlement vont probablement tout faire retomber à zéro.

  4. @Sigma : Non. En 1968, Matra Sports s’aligne en début de championnat avec le Ford Cosworth L4 (FVA) dans une MS7.
    Matra-International elle (Oncle Ken) avait choisi le V8 Ford qui s’est révélé LE moteur à avoir pour bien figurer. Les châssis développé pour Tyrell (Matra International) servent de base pour le MS11 que va aligner Matra Sport avec son V12 maison développé entre autre pour la F1. Met Matra Sports se rend vite compte que le V12 est à la rue. Trop lourd, dans un châssis pas fait pour en fait.

    En 1969, Matra Sports n’aligne qu’une ancienne mouture, la MS7 avec le L4 (et Pescarolo) et aide Matra International à développer la voiture avec le V8.
    Tout en développant son V12 sur le banc d’essai et en développant un châssis ad hoc.
    Matra ne revient vraiment qu’en 1970 avec l’aide d’Elf déjà, avec le V12 totalement revu. Et oui, c’est à cette époque que Tyrell est passé aux châssis March.

    Mais oui, le raccourci est sans doute trop abrupt 😉

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