On ne reviendra pas sur l’histoire du Groupe S. Nicolas l’a déjà très bien évoqué dans « Elle n’a jamais couru, épisode 1 : Lancia ECV Groupe S ». Grâce à un règlement de la FISA (pas encore absorbée par la FIA) un peu plus « laxiste », et surtout à la fin de l’homologation d’une série de 200 véhicules, les constructeurs de tout bord se sentent pousser des ailes et « veulent en être ».
S’il est un acteur des années Groupe B avec Lancia et Peugeot, c’est bien Audi. Le constructeur aux anneaux et sa Quattro ont signé 2 secondes places et un titre constructeur sur les trois années complètes d’exploitation de la bête et de ses évolutions. En 1986, l’ultime version de la Quattro entre en piste. Elle doit permettre à Audi de reconquérir le titre que Peugeot, avec sa 205 T16 et Timo Salonen, leur a soufflé en 1985.
1986 doit être l’avènement du Groupe B. De nombreux constructeurs ont rejoint le rallye mondial et on travaille déjà sur l’étape d’après : le Groupe S. La « règle » des 300 chevaux pour le groupe B a volé en éclat depuis longtemps et les voitures de 1985 font plus de 500 chevaux, gavées par des turbocompresseurs.
La préparation de l’Audi Sport Quattro RS 002
Après avoir lancé la Quattro E2, Audi se tourne complètement vers ce nouveau format du rallye, le Groupe S réservé au rallye et plus commun à plusieurs championnat. La décision arrive après le rallye du Portugal début mars 1986. Joaquim Santos et sa Ford RS200 percute une foule dont les effectifs ont considérablement augmenté depuis le Groupe B. Effet de troupe, les gens prennent des risques inconsidérés pour voir les monstres de la route et leur gladiateurs de pilotes et copilotes les faire virevolter avec maestria.
Cet accident, qui fait trois morts et beaucoup de blessés, est le signal pour Audi. L’équipe se retire et va consacrer toutes ses forces dans son véhicule Groupe S pour la saison 1987. Pour son prototype, Audi ose un design totalement décalé. La FISA vise des véhicules spécifiques au rallye et pour le coup, on a là tout sauf ce que l’on pense être un véhicule de rallye.
Il faut dire que le projet RS 002 est confié à Roland Gumpert. Oui oui, le Gumpert qui fera après l’Appolo sous sa propre marque. Repartant d’une feuille blanche et ne devant homologuer que peu de modèle, la liberté réglementaire est presque totale. La liberté de la part de la direction, c’est autre chose. Déjà, on vire le gros moteur 5 cylindres de l’avant. Il est peut-être mythique (enfin pas encore complètement), mais c’est un gros (lourd) handicap face aux modèles sortis avec un moteur à l’arrière.
Audi veut tout arrêter
Tout se fait plus ou moins en secret de la direction d’Audi. Cette dernière veut absolument que la voiture rappelle les voitures de série. Au catalogue, aucune n’a de moteur à l’arrière. Mais, l’architecture avant est dépassée et l’équipe continue sans rien dire avec un moteur en position centrale arrière. Le moteur, toujours le 5 cylindres gavé par turbo est encore amélioré et atteindrait 700 chevaux. Il faut bien cela puisque en Groupe S, les protos devront faire 1000 kg minimum.
Pour le look, difficile de voir une voiture de rallye comme on l’évoquait. La voiture est lisse là où la Quattro RS était carrée. Les phares sont carénés derrière une glace et même l’entrée d’air basse a des contours arrondis. Les contraintes du groupe S font que la voiture semble ramassée sur elle-même. Elle est pourtant de la taille de la Quattro à peu près.
Et cet aileron arrière ! Déporté vers l’arrière, il surplombe une carrosserie façon « longtail » en endurance. Planqué dans les dessous, on trouve un immense diffuseur censé compenser l’interdiction des jupes latérales. On peut d’ailleurs remarquer que l’arrière est dessiné de manière a prolonger ce diffuseur au niveau de la carrosserie pour en accentuer l’effet de succion.
Sans doute trop haute et pas assez longue pour l’endurance, elle n’aurait quand même pas déparé la discipline. On l’imagine plutôt à l’assaut des 24 heures du Mans que d’une spéciale de rallye. La voiture est développée en secret en Tchécoslovaquie (n’oublions pas que nous sommes encore en pleine Guerre Froide et que ce pays est derrière « le rideau de fer ».
L’accident de Toivonen et Cresto met un coup de frein définitif au Groupe S
Enfin, sans doute pas assez pour garder le secret jusqu’au bout puisque le prototype se fait photographier. La direction d’Audi est furieuse et ordonne à Piëch de tout arrêter. Il n’en aura même pas besoin.
Au Tour de Corse, le 2 mai 1986, Henri Toivonen et Sergio Cresto sont en tête d’un rallye pourtant dominé au début par les Peugeot 205 T16 et Bruno Saby. Toivonen est en retard au championnat depuis sa victoire en ouverture au Monte Carlo. Il compte sur la 5e épreuve de cette saison pour se relancer et donne tout. Il enchaîne les temps scratch.
Tous les passionnés de rallye connaissent la suite. La Lancia sort de la route dans la 18e spéciale, tombe dans un ravin et s’embrase. Les deux occupants meurent dans l’accident. Lancia se retire de la course qui continue. Mais, cette double mort, après celle des spectateurs, ainsi que du pilote Attilio Bettega en 1985, déjà sur Lancia, déjà au Tour de Corse signe définitivement l’arrêt du Groupe B. Cela signe aussi l’arrêt du Groupe S et le démantèlement de tous les programmes déjà lancés des constructeurs.
Le retour à la lumière en 2016
L’Audi Sport Quattro RS 002 restera cachée un bout de temps, échappant au pilon. Elle rejoindra le musée Audi quelques temps plus tard avec à peine quelques kilomètres car jamais testée. L’Audi RS 002 est ressortie des placards d’Ingolstadt Techno Classica Essen 2016. Las, elle n’est alors présentée qu’en statique. Mais, la légende Walter Rörhl aura la chance de la faire rouler (un tout petit peu) à l’occasion d’un autre festival automobile, l’Eiffel Rallye Festival, ainsi qu’au Festival of Speed de Goodwood (voir ici).
On remarquera que le véhicule qu’Audi voulait entièrement démonter et faire disparaître à l’époque arbore désormais fièrement un « Audi Tradition » sur sa carrosserie toujours aussi spéciale. Un ORNI cette Audi Sport Quattro RS 002.
Illustration : Audi
Super article, la série rencontre un certain succès je crois 😉
Oui, on lit avec intérêt cette très bonne série. Merci.
évidemment : d’abord ce genre d’engin qui fascine encore les gosses d’aujourd’hui: Zéro assistance à la conduite du bolide fort motorisé et puis là, en + un Pilote, un qui a fait preuve de la plus grande vélocité du moment et de ceux qui n’ ont pas empilé les caisses chiffonnées.
Super sympa l’article
?
celle-la je la connaissais, mais je ne me rappelais plus du tout que c’etait un proto de rallye : d’ailleurs son style est tres loin des autos de rallye de l’époque et meme de n’importe quelle époque, ca fait plus proto du mans miniature que rallye…
en terme de style, j’accroche pas du tout, un peu comme pour les autos actuelles, mais merci de nous sortir/ressortir ces autos de la naphtaline
Sympa cet article 🙂
De ce que j’avais un peu lu, il me semble que la construction de ce proto n’était pas vraiment voulu par Audi, malgré que GUmpert soit impliqué. Si quelqu’un pouvait confirmer ceci.
@Goods’ : Il semble que la direction d’Audi voulait totalement se retirer du rallye après l’accident au Portugal. Mais Piech les aurait convaincu de rester vu les retombées en termes d’image.
Le compromis fut de se retirer de la saison 1986 et de lancer le projet Groupe S.
Mais là encore, les premiers protos étaient des Quattro groupe B de l’extérieur pour tromper le monde.
La direction d’Audi considérait que la voiture devait ressembler à une voiture de série (même si réglementairement la FISA s’en fichait) et devait conserver le moteur à l’avant.
C’est ce qui fait que ce proto a si peu de km au compteur.
Ce n’est qu’une fois pas mal de tests effectués avec des mulets qu’il fut assemblé et pris en photo rapidement.
C’est un coup de bol qu’il n’a pas été démonté en pièces.
Un p’tit article sur la 288 GTO groupe B ? ;))
Super série, auto que je ne connaissais pas par ailleurs 🙂
Pourrons nous avoir un similaire sur l’Alfa se 048sp SVP ?
c’est prévu 😉
Ooooh yeah ! Merci d’avance pour les heures de documentation, tant j’en ai peu vu sur cette auto !
Bravo pour ce troisième volet. Quel dommage de n’avoir vu rouler ces groupe S sur une saison. Malgré tout l’Audi Sport Quattro S1 E2 qui s’est imposée au San Remo en 1985 reste ma Quattro de référence, même si la Quattro RS 002 aurait été plus rapide…