A Cuba, le paysage automobile témoigne des tiraillements d’une société toujours à cheval entre la tradition révolutionnaire et le libéralisme absolu. Un tour de La Havane en vieille Cadillac Eldorado permet de prendre la mesure des paradoxes qui règnent dans cette île paradisiaque.
Depuis la chute de l’Union Soviétique et la perte de son principal soutien, Cuba ne doit son salut économique qu’au développement du tourisme sur son territoire. Pour cela l’île des Caraïbes peut compter sur ses plages de rêve, ou sur l’essor des voyages « éco-responsables » qui cadrent parfaitement dans ce pays où les tour-operators internationaux restent plus strictement encadrés qu’au Mexique ou en République Dominicaine. Mais Cuba encourage avant tout l’hospitalité de ses habitants, pour lesquels le tourisme représente un bon moyen d’augmenter les fins de mois. De plus en plus de Cubains accueillent ainsi des touristes chez eux, parfois même via Air Bn’B. Ils doivent encore reverser -officiellement- environ 90% de leurs gains à l’état, mais avec une monnaie de touristes (le « Peso convertible ») 25 fois supérieure à la devise locale (le Peso cubain), l’opération semble malgré tout largement rentable pour eux.
Pour ces Cubains, l’essor du tourisme conduit même à de véritables changements de vie. Dans un pays aux salaires fixés par l’état, et où un médecin gagne l’équivalent de 35 euros par mois, on assiste à de drôles de reconversions depuis quelques années. Quelle surprise, par exemple, de découvrir que votre chauffeur de taxi a remisé au placard sa blouse de radiologue diplômé. « Les études sont gratuites à Cuba, mais devenir taxi et conduire les touristes paye beaucoup mieux que de rester médecin ou avocat« , précise Raul qui ausculte désormais la mécanique de sa Peugeot 405 de fonction plutôt que l’anatomie des patients.
On trouve vraiment de tout à Cuba.Outil important du tourisme cubain, le paysage automobile local fait précisément partie des curiosités légendaires du pays. Soumises à des taxes délirantes, les voitures modernes s’importent au compte-goutte par le gouvernement. Pays ami, la Chine y écoule ses modèles low-cost qui remplacent progressivement les Lada de l’ère soviétique. Quant à l’élite du régime cubain, elle peut jouir du confort des nouvelles Peugeot, Audi ou Mercedes. Et dans tout le pays, les vieilles voitures américaines pré-révolution continuent de rouler après plus de soixante ans de vie. A La Havane, ces antiques Américaines font très souvent de l’oeil aux touristes. Elles masquent leurs carcasses pourrissantes sous une peinture impeccable, que les Cubains refont parfois chaque année. On en croise régulièrement en panne sur la route, capot ouvert, un Cubain en train de rafistoler le moteur en urgence. Car dans un pays toujours soumis à un strict embargo par les Etats-Unis, se fournir en pièces de rechange américaines demeure rigoureusement impossible. La plupart des vieilles Chevrolet, Buick et autres Cadillac qui décorent les rues de Cuba utilisent donc désormais des moteurs japonais ou chinois, carburant parfois au diesel.
Ok, c’est celle-là qu’il nous faut.Après une longue exploration de la Havane, je trouve une perle rare dans cet océan d’Américaines retapées, généralement mises au service de la balade touristique par des hôtels ou des sociétés spécialisées. Un cabriolet Cadillac Eldorado Biarritz de 1959, précisément l’année de la révolution Cubaine : le summum du luxe à l’époque de sa sortie aux Etats-Unis, et le symbole absolu de la décadence stylistique américaine des années 60. Je remarque une carrosserie patinée par le temps sous sa nouvelle couleur violette, mais son capot cache le V8 d’origine et non pas un bloc chinois moderne. Moyennant un prix de 120 Peso Convertibles (100€) me voilà parti dans une balade de trois heures, conduit par son chauffeur aux alentours de la Havane (en passant par la fameuse maison d’Hemingway). Icône capitaliste échouée en plein régime communiste, l’Eldorado en impose sous le soleil des tropiques. Mais la flamboyance de sa prestigieuse carcasse ne suffit pas à masquer le triste état de ses dessous usés jusqu’à la moelle. La plupart des cylindres de son V8 manquent aujourd’hui à l’appel, et dans les côtes la grande Cadillac se fait klaxonner par les nouvelles voitures chinoises. L’amortissement n’a plus rien de confortable, le plein d’essence se fait via un bidon dans le coffre (raccordé à la mécanique par un tuyau d’arrosage !), et il faut rajouter de l’eau toutes les 20 minutes dans le moteur. Pire, un passage derrière le volant vous donne la désagréable sensation d’avancer vers une mort certaine : le jeu dans la direction est tel que rouler droit devient vite impossible, l’absence de direction assistée rend les virages éprouvants et le freinage fonctionne aussi bien que l’Internet cubain. Après de grosses sueurs froides, vous rendez donc le volant à son chauffeur expérimenté en contemplant, arrêté près de la mer, une scène absolument surréaliste. Celle d’un monument de l’ostentation américaine pré-choc pétrolier, posée juste devant l’ancienne ambassade de l’URSS construite au plus fort de la guerre froide.
Une Américaine devant l’ancienne ambassade de l’URSS. On rejoue la guerre froide ?Cuba se rapproche inexorablement d’une nouvelle révolution économique, enclenchée il y a vingt ans par l’ouverture au tourisme. Mais les vieilles Américaines lui survivront. « Ces autos sont éternelles. Comme la salsa ou les cigares, elles portent nos couleurs et représentent de parfaites ambassadrices », me lancera un autre chauffeur de taxi un peu plus tard. Nés purs produits de consommation individuelle américaine, ces autos profitent désormais à l’Etat Cubain qui taxe lourdement les bénéfices réalisés par leurs nouveaux exploitants privés au contact des touristes. Mais, ironie du sort, l’émergence même de ces exploitants privés contribue à précipiter cette nouvelle révolution économique. Après avoir servi les icônes de la révolution communiste, les Américaines immortelles de Cuba verront sans doute bientôt sa chute. Mais elles continueront de rouler…
Une Cadillac dans la jungle caribéenne, pas loin de la maison d’Ernest Hemingway.
Ce cabriolet 59 vaut, même dans son jus, à peu près 100 000 dollars. Certes, les voitures n’ont pas le droit de quitter Cuba. Pour le moment !
Vu le point auquel ces voitures ont été modifiées loin de leur caractéristiques d’origine (bricolées serait davantage correct), et vu comme elles semblent davantage tenir ensemble grâce à la peinture et au mastic que le métal, je doute qu’elles valent quoi que ce soit. Si ce n’est par leur statut de voitures cubaines.
je vois que Barbie sévit toujours aux mêmes endroits, avec la même voiture ;-). Le circuit de rêve des taxis au volant des belles anciennes. Quartier relativement aisé, d’ailleurs qui abritent de belles demeures de la famille Castro.
Cool !!!!
?
Excellent article ! ?? Ca fait quelques temps qu’un voyage à la Havane est dans un coin de ma tète et il serait temps de le concrétiser ! Malheureusement je pense que cette époque bénie ( ceux qui connaissent l’histoire de Cuba vont probablement me huer .. ) ou Cuba était recouvert de belles Américaines des années 50/60 , avec la réouverture du pays au reste du monde , la fin des hostilités avec les Americains ect .. Le paysage automobile du pays risque d’évoluer petit à petit vers des voitures neuves et du même coup , enlever énormément de ce qui faisait le charme de la capitale … ?
comme il est écrit, les voitures neuves remplacent des ladas pourries que personne ne regrettera
Reste Santiago et tout l’oriente à 1000 km de la Havane et encore préservé… A profiter tant qu’il est temps. La bas les vieilles voitures ne sont pas que des taxis pour des touristes ….mais aussi ce qui leur reste pour pouvoir se déplacer
Et bcp de taxis 404 !
Beaucoup ayant un moteur qui a été changé pour du « moderne ». 🙂
Ce qui m’a frappé c’est le prix des voitures, quand ils ont le droit d’en acheter une (refus dans 95% des cas), ils sont obligés de l’acheter à l’état cubain.
La voiture de luxe pour les taxi & co c’est la Peugeot 405 (qui sont d’ailleurs dans un superbe état) et elle vaut 35 000 dollars !
Au marché noir, de gré-à-gré donc, sa valeur double quasiment (60k$).
Bel article, merci – il ne faut pas évoquer la valeur de l’argent dans un tel décalage des coûts tant du travail non rémunéré que celui de la monnaie.
c’est un choix politique, absolument pas rationnel. Les touristes y vont comme on visite un zoo
Sur qu’un moteur de Lada dans une cadillac ne valorise pas la machine. Rapportons toutefois mérite aux ingénieux mécaniciens qui avec l’embargo ont su , à moindre frais faire durer ces autos après le témoin d’usure. Ici en occident moderne et au dessus de tout technologiquement parlant :
« Saint Hoffer » : priez pour nous ! Chacun connait le cantique ! On voit nombre de carrosseries encore sortir des « grandes enseignes » bien chargées …
A Cuba il y a des artisans qui n’ont rien à apprendre du savoir faire européen TRES CERTAINEMENT. Les toliers-formeurs savent jouer du marteau et les mécanos ont tous un nombre de moteurs, boites de vitesses ouverts, dépannés, remontés au compteur. Ici Pour faire un moteur, ouvrir une boite: hop! direction le spécialiste. D’ailleurs si on a pas réussi à vous convaincre de changer de véhicule, le moteur, la boite neuf ou échange standard arrive dans la semaine prochaine sur palette à l’atelier.
A Cuba, c’est système D pour tout. les gens sont « démerde toi ». C’est une qualité .
par contre , descente au point mort pour réduire la conso … et reprise en secondes par la suite. Aie la boîte !
Apparemment , « petite manip » du gouvernement pour limiter au max l’importation de voitures … mais permettre d’installer de nouveaux moteurs sur les anciens véhicules, en faisant certes marcher les garagistes , tout en arrangeant les caisses de l’Etat et/ ou de la famille Castro …. via un système un peu obscur d’approvisionnement de moteurs et pièces « modernes ». l’embargo ne profite pas qu’aux Etats-Unis …. Sujet abordé / effleuré dans l’émission https://www.france.tv/france-5/des-trains-pas-comme-les-autres/saison-1/608391-cuba.html A creuser pour plus de plus précisions … Difficile d’avoir des réponses des Cubains…