Un électrochoc nécessaire ?
Pas encore officielle, mais relayée déjà de toutes parts, notamment par Motorsport et l’Equipe, l’information est donc tout à fait solide. Après le temps des rumeurs est venu celui des choix douloureux. Le constructeur français est en passe d’abandonner le moteur d’usine Renault, mettant fin brutalement à une aventure technologique et sportive qui a commencé dans les années 70. Bien qu’aucun contrat final n’ait été signé, des sources de haut niveau ont suggéré que les conditions générales d’un accord avaient été convenues en principe et que les détails spécifiques devaient maintenant être réglés.
Le dernier grand prix du Hungaroring a été un fiasco complet, avec une dernière ligne sur la grille, une course en fond de peloton de Ocon et un nouvel abandon de Gasly sur problème hydraulique. Trois ans plus tôt, Ocon s’imposait sur l’A521 en Hongrie, faisant naître de grands espoirs pour l’écurie française. Qu’en reste-t-il ? Plus grand-chose.
Depuis 2022, l’écurie française Alpine est dans une spirale descendante et infernale. Cela a commencé par le fiasco Piastri et départ d’Alonso, source de nombreuses moqueries, puis des licenciements en cascade, dont la vieille garde anglaise d’Enstone, des remaniements incessants, une rivalité interne entre pilotes français qui s’est cristallisée à Monaco avec un accrochage et aboutit au départ d’Ocon. Pour couronner le tout, l’A524 ratée, fait de 2024 la plus mauvaise saison depuis le retour du A fléché en 2021.
Constat d’échec, au bout de 10 ans d’hybride en F1
Mais le mal est aussi plus profond. Depuis l’entrée dans l’ère hybride en 2014, Renault est toujours à la traîne. Déficit de puissance, fiabilité aléatoire. Le bloc moteur du losange, pas aidé évidemment par le gel de développement astucieusement obtenu par Red Bull en 2022 – alors que les autrichiens étaient censés perdre Honda et développer tout seul le futur moteur – a essuyé de nombreuses critiques, surtout au temps du partenariat tendu avec Red Bull, qui a même obtenu de le rebadger Tag Heuer pendant plusieurs saisons. Résultat, personne n’en a voulu de ce fichu moteur.
Où était donc passé le savoir-faire incroyable de Renault, qui a relevé le défi du turbo en 1977, qui a construit le meilleur moteur V10 du monde dans les années 90 – tout le monde se l’arrachait – et qui a battu Ferrari et Schumacher en 2005 et 2006 ?
Les dissensions entre Enstone, la base britannique « châssis » et Viry-CHâtillon, le pôle moteur, ont semblé plus énormes que jamais et irréconciliables, chacun se renvoyant la responsabilité des problèmes et des échecs techniques.
Ce choix radical de mettre un terme au moteur F1 Renault est sans doute à mettre au crédit du nouveau conseiller d’Alpine F1, Flavio Briatore, recruté récemment par Luca di Meo pour donner un électrochoc à l’écurie. Briatore part du principe que l’équipe serait mieux servie en concluant un accord de moteur avec un client, d’autres constructeurs ont été interrogés pour voir s’il y avait un intérêt à ce qu’un accord soit conclu.
Ironie de l’histoire pour Briatore, qui avait racheté et siphonné Ligier en 1994 pour mette la main sur le V10 Renault et l’installer dans la Benetton de Schumacher, avant de revendre à très bon prix l’écurie à Alain Prost. Le même Briatore qui avait aussi créé la société Supertec en 1998, après le retrait officiel de Renault fin 1997, pour vendre le V10 français à plusieurs écuries. Un quart de siècle plus tard, est-ce lui qui a donc suggéré d’achever le moteur français ?
Le modèle McLaren en exemple ?
Si l’on met de côté la passion et les sentiments, le choix est évidemment très pragmatique. On constate – Luca di Meo a dû faire le même – que McLaren, avec un statut d’écurie cliente de Mercedes, a réussi à se hisser au sommet et peut maintenant jouer le titre, en ayant concentré ses ressources sur le développement de sa voiture autour d’un moteur réputé, fiable, puissant et fourni avec les mêmes spécifications que l’écurie Mercedes mère. McLaren fait l’économie d’un département moteur coûteux, et le calcul a été sans doute simple : pourquoi dépenser des centaines de millions d’euros dans un moteur 2026 qui n’a aucune garantie d’être brillant, alors qu’il est possible, en tant que client, de bénéficier d’un top moteur tout en faisant des économies substantielles qui pourront être affectées ailleurs ?
Après tout, il y a aussi l’exemple d’Aston Martin qui se procure également des blocs Mercedes, et n’oublions pas que les Aston de route carburent avec des blocs AMG. En plus d’accepter les moteurs des clients Mercedes, Aston Martin reprend également la suspension arrière et la boîte de vitesses actuelles de son rival, ce qui signifie que les deux équipes utilisent des arrières identiques. Financièrement, être client coûte bien moins cher que faire son propre moteur.
Parmi les cinq autres motoristes qui seront présents lors de la nouvelle règlementation technique en 2026, Mercedes semble être l’un des choix les plus logiques pour Alpine. De plus, Toto Wolff, directeur de l’équipe allemande, voit d’un bon œil la potentielle arrivée de l’écurie française en tant que cliente. En effet, à l’issue de la saison 2025, l’écurie basée à Brackley cherchera à combler le départ d’Aston Martin, qui rejoindra Honda.
Le choix de Mercedes s’explique sans doute aussi par la volonté d’être plus attractif sur le marché des pilotes. Le moteur Renault souffre de n’être fourni à aucune écurie cliente, ce qui est une perte de revenus mais aussi de datas pour le développement. Avec un blocs Mercedes, l’idée est aussi d’attirer un cador, d’où les approches de dernière minute qui ont été faites par Alpine auprès de Carlos Sainz, le plus courtisé du paddock en ce moment. Le passage à un moteur Mercedes, surtout avec la perspective de la nouvelle règlementation 2026, est susceptible de séduire l’espagnol.
Quel avenir pour Alpine, de moins en moins française ?
En effet, les discussions entre Alpine et Mercedes ont principalement porté sur un accord à partir de 2026, lorsque la F1 passera à de nouveaux groupes motopropulseurs turbo-hybrides avec une dépendance accrue à l’énergie électrique. Cependant, des sources ont indiqué qu’il existe une chance que le partenariat puisse même démarrer en 2025 si un accord est conclu suffisamment tôt, sous couvert que le bloc Mercedes soit adaptable à la voiture 2025 déjà bien avancée.
Une telle décision peut-elle de nouveau alimenter les rumeurs d’une cession complète de l’écurie Alpine et donc un retrait général du Groupe Renault, une posture démentie fermement par Luca de Meo ? Des rumeurs avaient évoqué une cession de Viry à Geely. On parle aussi beaucoup d’une vente à Andretti, qui veut entrer en F1 mais dont les portes sont restées closes via son projet de 11e écurie. Un retour d’un bloc au Losange est-il également envisageable à plus long terme ? Avec Alpine, Renault sera présent dans les réunions de préparation des futures réglementations, et on peut imaginer qu’une cellule de veille soit en place pour préparer le prochain grand changement, aux alentours de 2030, de la même façon qu’une cellule de veille avait été maintenue en 1986, à la fin de la première aventure Turbo, pour préparer un retour en 1989 avec le V10.
Le calendrier dépendra également de ce que Renault choisirait de faire avec le personnel de son usine actuelle de moteurs de F1 à Viry-Chatillon, les ingénieurs devant être affectés à d’autres activités pour la marque si un changement survenait au cours des prochains mois. Viry n’est pas mort, puisqu’il ne faut pas oublier le projet hypercar / WEC. D’après Motorsport.com, les salariés ont été informés ce mardi du lancement d’une étude pour garantir le maintien des emplois. Des réaffectations sur d’autres programmes sportifs, mais également sur des projets stratégiques tels que l’hydrogène et les batteries sont considérées.
Qu’en penser ?
D’un point de vue historique et symbolique, ça fait très mal. La F1 française est en quelque sorte morte, tant Renault a incarné, par ses innovations et ses succès, ce « défi » tricolore. Cette usine de Viry, c’est plus de 50 ans d’histoire, une épopée commencée par Gordini à la fin des années 60, puis reprise par le losange, qui a été au cœur de tous les défis du Mans, du V6 Turbo, du V10, etc. Deux ans après la fin de Renault Sport, la fin de l’aventure F1 à Viry sonne comme le glas. Un sentiment de gâchis et d’amertume sans doute.
C’est aussi un aveu d’échec pour un grand constructeur, qui n’a peut-être pas mis les moyens nécessaires. Renault s’est pourtant appuyé sur la F1 pour promouvoir ses motorisations e-tech hybrides et électriques. Quand on lit que la délégation d’Alpine est ressortie très impressionnée de leur visite des installations Mercedes de Brixworth, on se dit que les investissements n’ont visiblement pas été à la hauteur des ambitions. On ne gagne pas en F1 avec trois fois moins de budget et de personnel que la concurrence. L’état d’avancement du moteur 2026 a sans doute soulevé des inquiétudes, si un retard conséquent a été mis en évidence par rapport à la concurrence.
Quid de l’image de marque d’Alpine ? Le constructeur sportif joue beaucoup sur son identité française et sur l’héritage du savoir-faire sportif initié par Jean Redélé. Le moteur, c’est l’âme de la voiture. Comment sera perçue une Alpine propulsée par un bloc allemand ? Alpine ayant vocation à passer au tout électrique pour ses voitures de route, l’arrêt du développement de moteurs thermiques hybrides en interne pour la F1 sera donc délicat à gérer en termes de marketing et de communication. Mais à l’heure de la mondialisation, les décideurs considèrent sans doute ces préoccupations patriotiques et « chauvines » comme obsolètes.
Certains y verront peut-être une preuve de plus du déclin français. Quand on voit comment Peugeot galère en WEC et comment Viry n’a pas réussi à produire un moteur au niveau de Mercedes, Honda et Ferrari, certains se demanderont si on ne doit pas y voir une perte progressive de savoir-faire et de compétences qui affecte le monde de l’ingénierie tricolore. Où est passée cette capacité à innover, à révolutionner, à vaincre qui a si longtemps caractérisé les audacieux programmes sportifs nationaux ?