L’idée géniale de Matra
Constructeur de petits coupés sportifs légers à ses débuts, tout en ayant connu une aventure en sport automobile incroyable matérialisée par plusieurs succès au Mans et en Formule 1, Matra connaît un succès étonnant en 1977 avec le Rancho, ancêtre de nos ludospace actuels, fuit d’une collaboration entre Matra et Chrysler France.
Dès 1979, Philippe Guesdon, le pdg de Matra, réfléchit à une suite. Convaincu que l’avenir de l’automobile passera par des véhicules de plus en plus tournés vers les familles et la polyvalence, et conforté dans cette approche par le succès du Rancho, son souhait est d’adapter au marché européen le principe du van américain, ayant pris conscience du succès et de la pertinence de ce segment lors d’un séjour d’études aux Etats-Unis.
Tout part d’un premier croquis, le « dessin orange », première ébauche dans laquelle on reconnaît déjà les futurs traits de l’espace, avec un profil élégant, élancé et haut sur pattes, en tous cas bien plus dynamique que les « camionnettes » que le marché de l’époque propose comme véhicules familiaux d’escapade. Le modèle n’a que trois portes et une conduite très avancée dans l’habitacle, élément qui ne sera finalement pas retenu pour des raisons de sécurité.
PSA dit non, Renault oui
Fin 1979, un concept retravaillé en maquette pleine, ayant pour base une Talbot Solara, est présenté à l’état-major de PSA. Pendant encore deux ans, le projet est affiné, mais finalement PSA tranche et refuse d’aller plus loin. Alors que les finances sont fragiles avec l’absorption délicate de Chrysler, Peugeot mise tout sur l’imminente 205 et ne valide pas un projet trop décalé. Matra se tourne vers Citroën, et développe rapidement un concept sur base BX, mais avec le même résultat.
Pas résigné, Philippe Guesdon se tourne vers Renault. Le projet évolue beaucoup : la base utilisée est celle de la Renault 18, une traction avant à moteur longitudinal (la Solara a un moteur transversal). L’empattement est réduit à 2,55 m, le porte-à-faux avant est allongé. Le P23 emprunte son train avant à la Fuego. Il est présenté à Bernard Hanon, PDG de Renault, au directeur technique et au directeur du produit de la régie par Philippe Guédon en décembre 1982. C’est le tournant décisif.
Bernard Hanon est également convaincu que l’évolution du marché automobile donnera une légitimité et le succès à ce type de véhicules, alors même que a Régie théorise son concept de « voitures à vivre ». En décembre 1982, le feu vert est donné.
Les prototypes d’avril 1983 arborent les formes quasi définitives. L’étude d’une version utilitaire donne l’idée de valoriser ce plancher plat en utilisant des sièges démontables, alors que les autres études avaient une banquette classique. Ainsi apparaît la caractéristique la plus révolutionnaire de cette automobile : la modularité de son habitacle. La Matra P23 devient Renault Espace
En juin 1983, Renault et Matra signent un accord de coopération prévoyant « l’étude et la fabrication par Matra, à partir d’organes mécaniques Renault, de véhicules commercialisés par le réseau européen de Renault ». En janvier 1984, les modèles de présérie sortent des chaînes Matra à Romorantin. Les modèles de série sont fabriqués à partir de mars 1984.
La révolution de la modularité
Modulable à souhait, l’Espace peut aussi bien jouer la fonction transport – jusqu’à 7 personnes grâce à ses 2 ou 3 rangées de sièges indépendants -ou changer en configuration de salon confortable avec sièges pivotants. Les 2e et 3e rangées étant totalement amovibles, la partie arrière peut se transformer en quelques instants en vaste surface de chargement.
Fabriqué par Matra, et commercialisé par Renault sous le nom d’Espace, le véhicule cumule les avantages de l’utilitaire léger et de la berline de tourisme. Deux finitions sont proposées au lancement avec le « moteur Douvrin » de 1 995 cm3 110 ch à carburateur : la 2000 GTS et la 2000 TSE, qui ajoute un spoiler avec antibrouillards, des jantes en alliage léger 14 pouces, des rétroviseurs électriques, la condamnation par commande à distance, ainsi qu’une une moquette de plus belle qualité.
La presse est enthousiaste pour ce véhicule novateur, polyvalent et aussi nettement plus performant que les camionnettes habituelles. Emmener toute une famille à plus de 170 Km/h (oui, l’époque permet encore de dire ce genre de choses !), dans un grand confort, et avec une consommation maîtrisée grâce au poids contenu du véhicule. Des versions turbodiesel arrivent dès décembre 1984, puis une version haut de gamme courant 1985.
Un succès qui a démarré comme un diesel
Après des débuts très discrets (9 commandes lors du premier mois !), L’Espace P23 se vendra finalement à 191 674 exemplaires jusqu’en 1991. Ses ventes seront passées de 2 703 en 1984 à 46 257 en 1990. Sa production sera passée de 23 par jour à plus de 210, en comptant l’usine Alpine de Dieppe qui vient en renfort pour soutenir les cadences à partir de juin 1987.
C’est le début d’une aventure qui, pour Matra et son usine de Romorantin, se poursuit jusqu’en 2002, avant le couperet brutal de Renault, qui décide de transférer la production de l’Espace 4e génération à Sandouville. En contrepartie, l’usine prend en charge le coupé Avantime mais son échec commercial signe l’arrêt de mort de l’entreprise, qui ferme dès 2003.
Voiture de cadre à l’époque : il était cher mais il permettait d’afficher sa « différence » avec les adeptes de la voiture sportive.
Voiture bruyante, très mal finie et vieillissement spectaculaire – comme toutes les Renault de cette époque…
Les monospaces ont disparu mais pas les ludospaces : il y avait bien quelque chose de pourri dans ce royaume. Finalement, à quoi la modularité quand une simple banquette rabatable suffit largement ?
Matra, quelle belle boite multi-secteurs du temps de Lagardère père (le fils, vaut mieux oublier d’en parler, on risquerait la censure 🙂
Toujours très innovantes ces boites aux multiples activités, capables d’être dans des domaines aussi différents.
Je suis intervenu chez Matra Romorantin à l’occasion de modifications techniques, c’était le poumon de cette petite ville et de ses alentours. Grosse catastrophe sociale et ses conséquences multiples à la fermeture.
La désindustrialisation, c’est un impact énorme qui va bien au delà de l’emploi. Il suffit d’imaginer sa propre petite ville ou son petit coin de France en dehors des métropoles avec une usine de 2000 personnes : quelles seraient les répercussions ?