le blog auto : Comment aborde-t-on cette course très particulière des 24 heures ?
Pascal Vasselon : « Dans notre approche du Mans on essaie de calmer un petit peu le jeu après la course de Spa. Par exemple après Spa on ne planifie pas de tests d’endurance, qui sont toujours très exigeants pour le team. La façon dont on le fait mobilise beaucoup de membres du team, avec des sessions de 30 heures qui obligent à beaucoup puiser dans les réserves physiques. De plus, si on veut bien faire les choses, cela nécessite des activités de suivi entraînant en catastrophe des évolutions. Alors, depuis un petit moment on s’est dit qu’on ne voulait plus tout ça ».
lba : Quel fut donc votre programme entre les deux courses ?
PV : « Après Spa, on ne fait qu’une séance légère où l’on procède à l’installation de toutes les pièces détachées du Mans. On commence à entraîner le team à faire des changements de pièces. On réduit un peu la voilure. On arrête l‘assiette de la voiture, on laisse le temps de produire les pièces, pour que le team se prépare pour le Mans avec une réelle sérénité et ne continue pas à puiser dans ses réserves et ainsi arriver épuisé au moment de la course.
Cette année on est plutôt bien, mieux qu’attendu compte tenu du fait que la voiture est arrivée très tard dans sa version définitive. On a une plus grande sérénité. Le team a des horaires très normaux, les mécaniciens ont le temps de faire du sport… »
lba : Vous avez arrêté la définition de la voiture avant Spa ?
PV : « Oui un peu avant ».
lba : Vous avez confirmé à Spa ?
PV : « Oui nous avons confirmé que nous cassions à Spa. Trêve de plaisanterie. La conclusion de cette casse, c’est qu’elle était spécifique à Spa. On avait beaucoup roulé avec ce moteur -2 fois 10 000 kilomètres sur la piste-, mais le problème que nous avons eu à Spa tient au cas très particulier du virage de l’Eau rouge (compression et virage en même temps). En conséquence, nous n’avons pas sur-réagi par des contre-mesures qui auraient été inutiles pour le Mans, mais nous mettrons en chantier une évolution pour éviter ce problème l’année prochaine ».
lba : Quel était votre objectif pour la journée test ?
PV : « Alors l’objectif, il était de finaliser notre carrosserie Le Mans, nous avons quelques options que nous devions tester. Ensuite, c’est de commencer les choix pneumatiques et surtout, de se situer en compétitivité ce qui va un peu décider de notre stratégie globale d’approche de la course ».
lba : Vous en avez déjà une idée ?
PV : « Il n’y a plus de stratégie du Mans 1960 avec la voiture qui part devant et qui va casser. Maintenant, la plupart du temps on part sur un rythme pas déraisonnable mais élevé et après, on commence à gérer quand on a une avance. La journée test doit permettre d’identifier des éléments afin de construire une stratégie. Fondamentalement, certes nous ne pouvons plus changer grand-chose mais nous disposons d’un catalogue d’options dans lequel nous pouvons piocher.
La spécificité du Mans c’est de comprendre l’aéro. Lors de la journée test on découvre l’efficacité du package aéro que l’on a dessiné. On prévoit de mieux en mieux et de plus en plus mais il y a toujours une marge de non prédiction. On va réellement découvrir comment se comporte cette carrosserie sur un tour de circuit et à quel niveau de compétitivité elle nous positionne.
On ne découvre pas ici notre puissance moteur, ni ce qu’on peut attendre du système hybride. Par contre, le couplage aéro/pneumatiques n’est pas complètement prédictif, et donc cela reste à évaluer.
Le Mans est un circuit également spécifique au niveau des pneus car l’énergie de glissement sur les pneus est relativement faible, donc les pneus, que l’on connait bien sur d’autres pistes, se mettent à se comporter différemment ici. Bien sûr on dispose de règles d’extrapolation et l’on sait dans quelle direction ça va aller qualitativement, ce qui nous manque c’est la quantification ».
lba : A Spa vous avez surpris par une gestion osée des pneumatiques ?
PV : « La gestion des pneus est intégrée dans les objectifs de design de la voiture, c’est un point fondamental. C’est vrai que l’on se préoccupe peut être plus que les autres d’anticiper les choix pneus. Je sais que certains de nos concurrents considèrent que nous avons pris un risque énorme à Spa. Nous n’avons pas pris de risque du tout. Compte tenu des statistiques des années précédentes et de notre bonne connaissance du profil du pneu Michelin, notre approche comportait zéro risque. Par contre, elle avait le mérite de pouvoir nous offrir un joker en cas de pépin ».
lba : Nous avions parlé de votre handicap de ne pas avoir trois voitures. Quelles difficultés peuvent connaître Audi et Porsche en passant de trois à deux voitures ?
PV : « Rien d’extraordinaire, simplement l’impact des risques inhérents à la course. Quand on a deux voitures et que l’on en perd une au bout d’une heure…il n’en reste plus qu’une ! C’est tout bête simplement en fait, c’est une plus grande fragilité face aux risques de la course. Si vous prenez Audi en 2011, ils perdent assez rapidement, vers 11 heures du soir, deux voitures. Avec la seule auto restante est-ce qu’ils ont changé la gestion des risques sur l’autre ? Pas du tout, ils sont restés ‘full attack’. Maintenant c’est plus quitte ou double mais on est rarement conservatif dans l’approche de la stratégie de course ».
lba : Mais demeure la question de la fiabilité ?
PV : « On va peut-être connaitre des problèmes de fiabilité qui vont nous surprendre. Si nous avons un problème de cet ordre, ce sera quelque chose de nouveau. Tous les problèmes que nous avons rencontrés ont été solutionnés, on arrive au Mans avec aucun élément qui est supposé ne pas faire 5 000 kilomètres ».
lba : Finalement deux voitures pour tout le monde c’est une bonne chose ?
PV : « Oui c’est mieux, bien sûr, ça met Audi et Porsche au même niveau de risque que nous ».
lba : Comment vit-on cette situation de se dire tout peut-arriver ?
PV : « Il y a tout ce qui est approche qualité objective et là, c’est notre boulot de l’approche ingénierie. Mais ce qui fait que les ingénieurs n’aiment pas Le Mans, c’est qu’en plus de tous ces aspects d’ingénierie maîtrisés, il y a des facteurs complètement incontrôlables, qui font que l’on peut avoir la voiture la plus rapide et la plus fiable sur le papier avec les meilleurs pilotes et quand même perdre Le Mans. On ne peut pas décider de gagner Le Mans. On peut avoir la meilleure approche possible et atteindre le meilleur niveau possible faisant de toi le vainqueur logique et, ne pas gagner et ça, pour un ingénieur, ce n’est pas bien ».
lba : On parle du sortilège du Mans, non ?
PV : « Le sortilège ou le fait que sur 24 heures un certain nombre d’éléments comme le trafic font que n’importe quel pilote, fut-il le meilleur, va emplafonner la voiture qui se trouve malencontreusement sur sa trajectoire. Ce genre d’événement va se produire ou pas. Je reste pour ma part frustré par ce qui nous est arrivé sur la voiture N° 7 du Mans 2014, qui finalement s’arrête sur la piste avec une succession de faits incroyables, surtout quand on les met bout à bout ».
Nous savons, pour l’avoir constaté tout au long de la journée test, que Pascal Vasselon n’est pas resté sur cette frustration pour diriger la manœuvre du team Toyota Gazoo Racing.
Ainsi, l’équipe a pu dérouler le plan d’action prévu, que rien n’a semblé pouvoir contrarier. Alexander Wurz, normalement pilote retraité, a apporté son expertise en pilotant successivement les deux autos N° 5 et N°6, permettant sans doute au directeur technique de récolter de précieux éléments supplémentaires pour établir stratégie de l’équipe.
Les essais libres et qualificatifs à venir serviront à peaufiner les choix de pneus. Ensuite, ce sera cette fabuleuse course de 24 heures avec ses incertitudes dues au trafic, qui déplaisent tant à Pascal Vasselon.
Crédit Photographique : Gilles Vitry et Team Toyota Gazoo Racing