Après le "Dieselgate", un petit "Nazigate" ? Mardi dernier, lors d'une conférence interne du groupe Volkswagen sur le bilan financier organisée devant plusieurs centaines de cadres, le directeur général du groupe Herbert Diess a "plaisanté" en s'inspirant d'une phrase tristement célèbre...
EBIT, si vous ne le savez pas, est un acronyme anglais signifiant Earnings before interest and taxes : cela correspond dans le jargon financier au bénéfice d'une entreprise avant déduction des charges, des produits d'intérêt et des impôts. En commentant les résultats mitigés du groupe et les cours de la bourse en berne, Herbert Diess a utilisé à plusieurs reprises la phrase "Ebit macht frei", qui, phonétiquement (et en le prononçant à l'Allemande) rappelle furieusement "Arbeit macht frei"(le travail rend libre), le tristement célèbre "slogan" qui surplombait le portail d'entrée du camp d'Auschwitz-Birkenau, qu'empruntaient tous les jours les déportés des commandos de travail...
Cette allusion douteuse, qui n'a rien à envier à notre "Durafour crématoire", a provoqué immédiatement un immense tollé en Allemagne, dans un pays qui est évidemment très pointilleux sur ce genre d'écarts de langage, mais aussi aux États-Unis. Pis qu'une simple blague bête d'ado, cette phrase, en sortant de la bouche d'un haut dirigeant de Volkswagen, est d'autant plus maladroite qu'elle ravive le souvenir de son obscur passé sous le troisième Reich. Rappelons, pour les plus jeunes surtout, que Volkswagen est fondée en 1937 sous l'impulsion d'Adolf Hitler et de Ferdinand Porsche, proche du Führer, afin de produire la fameuse "voiture du peuple". Celle-ci porta à l'origine le nom de Kdf-Wagen pour "Kraft durch Freude Wagen", c'est à dire la "voiture de la Force par la joie", une appellation qui faisait directement allusion à l’organisation nazie du travail qui avait supplanté les syndicats traditionnels. Pendant la Seconde guerre mondiale, Volkswagen, qui fait partie des nombreuses entreprises Allemandes intégrées au complexe militaro-industriel nazi, exploite sans sourciller de la main d’œuvre déportée au sein de son usine de Wolfsburg.
A l'insu de son plein gré
Depuis cette gaffe monumentale, plusieurs investisseurs indépendants du groupe ont fait entendre leur voix, estimant ces propos "inexcusables". Ulrich Hocker, dirigeant d'un groupe de petits investisseurs, a jugé cet écart "ridicule", ajoutant que "ce n'est pas une phrase que l'on peut se permettre de dire en Allemagne" (ailleurs non plus, d'ailleurs). D'autres encore, tout en saluant la vision stratégique de Diess, ont émis des doutes à propos de son leadership. Le cabinet d'analyse Bernstein a même jugé "élevé" le risque de changement managérial au sein du groupe, ce qui paraît tout de même excessif.
Face à la tempête, Diess a présenté ses excuses, assurant que ce n'était "en aucun cas son intention" de faire une allusion aux Nazis (nous prend-il pour des jambons ?) et rappelant aussi qu'il a été très marqué par sa récente visite à Auschwitz en compagnie d'un ancien rescapé - pratique que VW a développé ces dernières années avec son personnel. "C'était en fait un choix de mots très malencontreux et je suis profondément navré pour la souffrance que j'ai pu provoquer non intentionnellement" a-t-il ajouté.Pour sa défense, Diess a plaidé la bonne foi en expliquant que ses propos étaient à replacer dans le contexte de son argumentation, qui consistait à expliquer qu'une marque dégageant des marges opérationnelles importantes était plus libre que d'autres.
« Volkswagen a démontré à travers de nombreuses activités que l’entreprise, ses collaborateurs et moi-même, sommes conscients de la responsabilité historique particulière de Volkswagen pendant le Troisième Reich" peut-on lire dans un déclaration publiée dans la presse Allemande. En effet, rappelons que VW a ouvert ses archives aux historiens dès les années 90 et a créé un fonds d'indemnisation des travailleurs forcés.
Le manager, qui a fait parler de lui ces derniers temps pour son plan de réduction drastique des coûts, conserve néanmoins le soutien d'une majorité de personnes, qui s'associent évidemment au "choc" suscité par la phrase, mais tout en renouvelant leur confiance à un Pdg loué pour le nouveau dynamisme insufflé au groupe. Peut-être faudra-t-il rajouter quelques cours de communication...
L'avis de leblogauto.com
La polémique n'impactera sans doute pas les ventes, mais elle fait tâche et pourra donner du grain à moudre au "German bashing". N'empêche, c'est tout de même incroyable qu'un si haut responsable n'ait pas anticipé la portée et l’interprétation de ses propos, après les efforts fournis par VW pour redorer son blason et affronter lucidement son passé. Surtout dans un contexte assez tendu pour Volkswagen où, sur fond de "cost killing", de tensions avec les syndicats et des interminables soubresauts du Dieselgate, le management n'a vraiment pas besoin de ce genre de bêtise susceptible, à défaut de le placer sur siège éjectable, au moins de fragiliser son leadership.