WASCAP
Pas facile de démêler le vrai du faux dans l'aventure Jiotto. Beaucoup ont revendiqué un rôle lorsque le projet décolla et lorsqu'il s'effondra, beaucoup gommèrent Jiotto de leur CV...
L'histoire de Jiotto débute chez un bonnetier. Wacoal est une entreprise fondée au lendemain de la guerre par Koichi Tsukamoto. Dans les années 80, il prend progressivement sa retraite, passant le témoin à son fils, Yoshikata Tsukamoto.
Tsukamoto Jr veut voir plus grand. On est dans les années 80 et l'argent pleut du ciel sur le Japon. C'est sous son impulsion que Wacoal débarque en Chine, puis aux Etats-Unis. Pour faire connaitre sa marque, il sponsorise des expositions d'art contemporain et surtout, c'est le sponsor-titre de Dome en endurance et dans le championnat japonais de F3000. C'est ainsi qu'il se lie au patron de Dome, Minoru Hayashi.
Vers 1988, Tsukamoto songe à produire une supercar Japonaise. Dome est le partenaire idéal sur l'archipel : avec le Groupe C, il possède une expérience des voitures haute performances. En prime, l'équipe avait tenté de construire une GT, à la fin des années 70, la Zero. Hayashi monte une équipe technique, baptisée WASCAP (WAcoal Sports CAr Project.)
Le bonnetier lui, apporte un jeune designer, Kunihisa Ito. Ancien de GM, Ito est rentré au pays et il cherche du boulot. Pour info, il est l'un des pères de la Camaro "F-Body" :
Wacoal crée une marque, Jiotto. Une seconde société, Jiotto Design (détenue à 60% par Wacoal et à 40% par Dome) s'occupe du développement. Ito est bombardé N°2 de Jiotto Design, alors qu'il n'était qu'assistant chez GM. La future supercar est baptisée Caspita (une exclamation italienne.)
Dome ne lésine pas sur les moyens. La carrosserie est passée à la soufflerie du JARI (Japan Automobile Research Institute.) Le châssis est composé d'un sandwich d'aluminium et de carbone. L'héritage des groupe C est évident.
Ils ont néanmoins un problème : ils n'ont pas de moteur.
Subaru Connection
Partons maintenant en Italie. Après des années de F1 turbo, la F1 s'apprête à revenir aux atmos en 1989. Cela donne envie à Carlo Chiti de replonger. Le motoriste s'est entouré de vieux grognards d'Alfa Romeo, comme lui (dont certains ont travaillé sur les monoplaces de Juan Manuel Fangio et Guiseppe Farina !). Gag : l'entreprise de Chiti s'appelle Motori Moderni.
La F1 impose un moteur 3,5l atmo, mais il n'en précise pas l'architecture. Ferrari et Lamborghini optent pour un V12. Renault, pour un V10. Hart débute avec un V10 avant de passer au V8. Honda fait exactement l'inverse. Quant à Ford et Yamaha, ils testent les trois architectures (bien que le V12 Ford n'ait jamais connu la compétition !) Dans ce cafouillage, Motori Moderni opte pour un 12 cylindres à plat. Minardi le teste et le trouve désastreux.
Subaru est un constructeur encore peu connu hors du Japon. Nous sommes avant les Impreza de WRC... Pour gagner en notoriété, il mise sur la F1. Le constructeur propose à Keke Rosberg de lui monter une équipe. L'ancien champion (alors retraité) serait patron et pilote d'essai. Son poulain JJ Letho piloterait la Subaru F1. Mais Rosberg Sr préfère signer avec Peugeot Talbot Sport et faire débuter la 905.
Le 12 cylindres à plat de Motori Moderni correspond plus ou moins à l'architecture "boxer" des Subaru de route. Les Japonais apposent leur nom sur les culasses et ils s'offrent la modeste équipe Coloni. Yoshio Takaoka, ancien pilote Sub' en rallye, est nommé team-manager. La saison 1989 s'annonce bien.
Jiotto Design
Retour au Japon. Tsukamoto approche Subaru et lui propose de devenir coactionnaire de Jiotto. En parallèle, il accepte de fournir son 12 cylindres à plat à la Caspita.
La Jiotto Caspita est dévoilée au salon de Tokyo 1989. Avec 450ch et 1 100kg, elle offre des performances dignes d'une Ferrari F40. En plus, elle dispose d'une suspension pneumatique et d'un moteur de F1. Prix : 100 millions de yens, soit l'équivalent de plus d'un million d'euros aujourd'hui !
La voiture n'est qu'un prototype (non-roulant), mais Tsukamoto annonce que deux voitures de test seront produites courant 1990. La production débutera dans la foulée. La Caspita se veut exclusive, avec une série de 30 unités, d'ici 1994. En parallèle, Jiotto s'engagera au Mans en 1992 ou 1993.
Hélas, en F1, la Subaru-Coloni est un bide. Bertrand Gachot n'arrive pas à la qualifier. En plus, il y a des tensions au sein de l'équipe. Enzo Coloni claque la porte. Subaru lui revend l'équipe quelques mois plus tard. Carlo Chiti prend sa retraite.
Peu après, Subaru se retire de Jiotto. Le constructeur perd une partie de son financement et surtout, son motoriste.
Deuxième souffle
Tsukamoto et Hayashi ne s'avouent pas vaincus. Ils se mettent en tête de construire eux-mêmes un second prototype.
Pour le moteur, Dome va voir l'un des fournisseurs de la F3000, John Judd. Il est justement en train de préparer un V10 F1 atmo.
Judd n'a aucune expérience de la série et Dome se charge de "civiliser" le bloc. Même adouci, il développe tout de même 585ch. De quoi atteindre 345km/h.
Pour se financer, Jiotto Design prévoit de commercialiser des produits de luxe. Ito se retrouve à dessiner des clubs de golf et des bagages. Le bureau propose également ses services à Suzuki et Honda.
Le temps passe et les mauvaises nouvelles s'accumulent. Yamaha rachète les activités F1 de Judd. Or, il a son propre projet de supercar. L'économie japonaise se contracte. En prime, la filiale Coréenne de Wacoal met la clef sous la porte.
Au salon de Tokyo 1993, la Jiotto Caspita "de série" est présentée. Mais d'aucuns savent que c'est un baroud d'honneur.
Game over
Après le salon de Tokyo 1993, Dome semble prendre ses distances avec Jiotto Design. Wacoal soutiendra néanmoins son projet mort-né de F1, en 1996.
Ito quittera Jiotto Design en 1999, lorsque Ford lui propose un poste. Wacoal existe toujours et il s'est recentré sur le textile.
Dome s'est gardé la Caspita roulante de 1993. Il la ressort de temps en temps. Celle de 1989 est exposée au Motorcar Museum of Japan.
Crédits photos : Dome (photos 1, 3, 8, 9, 12, 13 et 14), Wacoal (photo 2), GM (photo 4), Kunihisa Ito (photo 5), Coloni (photos 6 et 10), Subaru (photo 7), Goodwood Festival (photo 11) et Motocar Museum of Japan (photo 15.)