Les débuts d'Isuzu
Au commencement était Ishikawajima Shipbuilding & Engineering Co., Ltd., une grande entreprise de construction navale fondée lors de la restauration Meiji, au moment de l'envol industriel du Japon. Pour l'anecdote, cette société existe aujourd'hui sous le nom de IHI Corporation, fabriquant toujours bateaux, fusées, moteurs d'avion... et les turbos que l'on retrouve sous bien des capots.
En 1916, à la demande du gouvernement en quête de véhicules militaires, Ishikawajima s'associe avec Tokyo Gas & Electric Industries pour construire des camions (Le premier camion de TG&E, produit en 1917, est également à l'origine de Hino, mais c'est une autre histoire). La nouvelle entreprise se met en quête de licence à l'étranger, et après des négociations avec Fiat et les Anglais de Wolseley Motors, c'est Wolseley qui est choisi et les droits pour l'Asie de deux voitures et un camion sont acquis avec l'intention de les produire au Japon.
La première Wolseley A9 produite localement est terminée à la fin 1922 dans l'usine installée à Tokyo. Selon Isuzu, c'est la première voiture particulière produite au Japon, même si Nissan revendique aussi la chose, à quelques années près.
Le tremblement de terre de 1923 qui détruit Tokyo rase l'usine et il faut attendre 1924 pour que les premiers camions à destination de l'armée sortent des ateliers. En 1927, le contrat de licence n'est pas renouvelé, à cause de la faillite de Wolseley dont les actifs seront rachetés par Morris, mais Ishikawashima Motors a pris confiance et se lance dans la production de son propre modèle (le Sumida) et de moteurs Diesel dont le constructeur devient le spécialiste incontesté au Japon.
Dans les années trente, les militaires prennent le pouvoir et le contrôle de l'industrie qui est mise au service de la politique impérialiste de conquête de l'Asie. La division automobile de Ishikawajima est fusionnée avec une partie de DAT (l'ancêtre de Datsun, futur Nissan, mais c'est aussi une autre histoire) et la résultante continue à produire des camions Diesel.
Une nouvelle réorganisation mène à la création de Tokyo Motors, et un nouveau modèle de camion en 1938 prend le nom de Isuzu, du nom d'une rivière bien connue dans la préfecture de Mie. C'est la première mention de ce qui deviendra bientôt la marque. La guerre et les bombardements sur Tokyo détruisent l'usine et stoppent toute expansion.
La renaissance d'après-guerre
La capitulation et la paix arrivent à l'été 1945 dans un pays dévasté. Mais comme en 1923, les Japonais se remettent vite au travail et la vie reprend, y compris chez Ishikawajima Motors. Un nouveau type de camion sort de l'usine en 1946. En 1949, l'entreprise change son nom en Isuzu et devient fournisseur en moteurs et véhicules Diesel pour l'armée américaine qui a besoin de matériel alors que la guerre de Corée commence.
Isuzu s'y fait une santé et décide en 1953, lorsque l'administration MacArthur libère progressivement l'économie, de se (re)mettre aux voitures individuelles. Le gouvernement japonais veut favoriser le développement d'une industrie automobile locale, et pousse les entreprises japonaises à s'allier aux constructeurs occidentaux pour accélérer le mouvement.
Isuzu se souvient de ses débuts et se tourne à nouveau vers les Britanniques, comme en 1918. Un accord est passé avec le groupe Rootes pour fabriquer sous licence la Hilmann Minx Mark VI, alors que d'autre accords du même type se mettent en place entre Nissan et Austin, Mitsubishi et Jeep, et Hino et Renault.
Comme quarante ans plus tôt, le gouvernement japonais pousse à rapatrier au plus vite la production au Japon. Les constructeurs étrangers ne peuvent d'ailleurs faire commerce de leurs produits sans un partenaire japonais, pour éviter que les accords mis en place ne soient le prétexte à la mise en place de simples structures d'importation.
La première Hillman, qui garde son nom au Japon, est assemblée dans l'usine Isuzu à partir d'un kit CKD en octobre 1953. La transition va se faire rapidement. En 1955, 30% des pièces sont japonaises, en 1956 on monte à 50% et en 1957 la voiture est complètement originaire du Japon.
L'Hillman d'Isuzu suit la même évolution que sa cousine anglaise, même si les Japonais font de plus en plus d'améliorations dans la fabrication et le processus de production de leur propre chef, comme c'est également le cas de Hino avec la 4 CV. L'Hillman Minx made in Isuzu y gagne notamment des carrosseries break spécifiques.
En parallèle de la vente de la Minx, Isuzu développe son premier modèle en propre qui est dévoilé en 1961, la Bellel. Le nom est un jeu de mot sur les idéogrammes japonais du nom Isuzu, qui peut se lire "50 cloches" en référence au célèbre temple d'Isu.
La Bellel est plus grande que l'Hilmann et vient se placer au dessus d'elle dans la gamme. Elle a un style plus moderne que la Minx, bien dans la ligne des productions d'Europe continentale de l'époque. Autre particularité de la Bellel, l'existence d'une motorisation Diesel, spécialité de longue date d'Isuzu....
L'Isuzu Bellett
A la même époque, Isuzu décide pour la succession de la Minx de couper les ponts complètement avec le Rootes Group dont l'avenir s'assombrit et qui se dirige vers une reprise par Chrysler qui se concrétisera en 1967. En 1963, le constructeur japonais dévoile le modèle qui succède à la Minx C'est la Bellett, prête pour un marché japonais qui prend son envol.
Compacte avec 4,09 mètres, elle arbore des lignes modernes, bien plus que l'Hilmann Minx Series V qui arrive en même temps en Grande Bretagne. Elle est dotée de freins à disque à l'avant, une première pour le Japon, d'une suspension à quatre roues indépendantes et d'un nouveau 4 cylindres essence 1471 cc à arbre à cames en tête de 63 chevaux, et vise par sans complexe par sa conception technique ambitieuse les productions européennes les plus dynamiques de l'époque.
Les concurrentes japonaises qui, il est intéressant de le signaler, arrivent quelques mois après la Bellett, que ce soit la Toyota Corona ou la Nissan Bluebird, sont bien plus classiques dans leur approche technique.
A partir de 1964 la gamme de la Bellett s'élargit rapidement, avec d'autres motorisations, 1300 essence et, Isuzu oblige, Diesel, et d'autres carrosseries dont un pick-up, l'Isuzu Wasp, qui est l'ancêtre de la lignée des pick-ups qui ont fait la réputation du constructeur jusqu'à aujourd'hui.
Mais 1964 marque surtout l'arrivée de la vraie star de la gamme Bellett, le coupé 1600 GT. Dotée d'une carrosserie aux lignes résolument sportives qui se démarque de la berline, la 1600 GT est la première voiture japonaise à arborer les initiales du Gran Turismo. Le moteur est une évolution du moteur introduit l'année précédente. Réalésé à 1579 cm3 et doté de deux carburateurs SU, il développe 88 chevaux.
Le coupé va vite se faire une belle réputation, ce qui permet à Isuzu de capitaliser sur son image et d'étendre la gamme du coupé avec une version moins puissante, la 1500 GT. Une version fastback verra également le jour, avec moins de succès que le coupé trois volumes.
1969 : le second souffle
Les années passent, et Isuzu regarde du côté de la compétition pour donner un coup de fouet au nom de Bellett via le sport. Un sport-prototype, la Bellett R6, est développé autour du moteur 1600 qui a entre temps vu son évolution poursuivie pour le coupé 117 sorti en 1968. La voiture est engagée au Grand Prix du Japon 1969. C'est un coupé à l'aérodynamique sophistiquée qui n'est pas sans rappeler des autos européennes de la même époque.
En 1970, la voiture revient sous la forme d'une barquette, qui est engagée dans trois épreuves d'endurance japonaises, mais une fiabilité approximative empêche de concrétiser de belles performances aux essais qualificatifs. Une troisième Bellett de compétition est engagée en parallèle, la R7, mais, équipée d'un gros V8 Chevrolet, elle n'a rien à voir avec la voiture de série.
En parallèle, la Bellett coupé est régulièrement engagée en course de tourisme, et Isuzu décide de se lancer dans la course à l'armement avec une version d'homologation équipée du 1600 essence à double arbre à cames en tête de 120 chevaux extrait du coupé 117 sous le capot. C'est la Bellett GT Type R, ou plus simplement GT-R, le R étant là pour signifier Racing. L'appellation est en vogue : Nissan vient juste de mettre sur le marché la Skyline GT-R en février de la même année, et pour la même raison : la compétition.
La Bellett GT-R est une bête de course : suspension et freins renforcés, intérieur avec sièges baquets, et un style extérieur devenu immédiatement un classique : bandes noires sur les flancs et surtout capot noir pour supprimer les reflets gênants, et deux antibrouillards dans le pare-chocs avant. Dans sa couleur signature orange, la Bellett GT-R entre illico au panthéon des japonaises classiques malgré sa rareté : jusqu'en 1973, seuls 1400 exemplaires seront mis sur le marché.
Pour profiter de ce vent de performance qui souffle sur le modèle, le coupé GT reçoit un moteur de 1800 cc de 115 chevaux. Au Salon de Tokyo 1969, Isuzu présente un concept spectaculaire, la Bellett MX 1600, à moteur central (celui de la GT-R). Le style est signé par Tom Tjaarda, pour Ghia. Le styliste américain persistera avec, en 1971, un concept Sport Wagon annonciateur d'un renouvellement de la Bellett.
Mais les grandes manœuvres de l'industrie automobile japonaise du tournant des années 1970 en décident autrement. Après avoir flirté avec Subaru puis Mitsubishi, Isuzu tend les bras à General Motors, qui prend 34% du capital du constructeur japonais. Si l'accord ouvre à Isuzu le marché américain pour ses pickups, il signifie aussi la fin de la Bellett en tant que modèle original. Rationalisation oblige, la deuxième génération de la Bellett qui arrive en 1974 est essentiellement une Opel Kadett qui reprend la mécanique Isuzu. De Bellett Gemini, son premier nom, elle passera bientôt à l'appellation Gemini tout court.
La première Bellett aura tout de même eu une carrière honorable avec 172 000 voitures produites en douze ans, dont 17 000 coupés. Par la suite le constructeur reportera ses efforts sur ses utilitaires et poids lourds, délaissant progressivement les voitures individuelles, non sans quelques autres coups d'éclat comme le coupé Piazza.
On reparle ces temps-ci d'Isuzu revenant dans ce segment. Reverra-t-on le nom de Bellett un jour ? Si c'est avec une auto aussi intéressante que l'"Alfa Romeo japonaise", on ne peut que l'espérer.
Crédit images : Isuzu et PLR/leblogauto