C'est en 1976 qu'est lancé par Chrysler Europe le projet d'une grande berline haut de gamme, destinée à venir concurrencer les ténors de la catégorie. C'est le projet C9, conduit par le bureau d'études anglais de Rootes, marque anglaise également dans le giron de Chrysler Europe. Question architecture, on reste dans du classique. Trois volumes, à moteur quatre cylindres d'origine Chrysler et architecture propulsion. Mais la maison-mère a une exigence supplémentaire : le futur modèle doit pouvoir également accueillir un six cylindres. Dès 1978, les lignes définitives sont quasi-figées. Et les cotes intérieures, généreuses comme il se doit pour une berline haut de gamme, le sont également. De surcroît, le projet C9 embarquera un équipement complet à l'instar des modèles européens les plus huppés de l'époque. Mais, il y a un hic...
Car financièrement, en 1978, Chrysler va mal. Au point de devoir vendre sa division européenne. C'est le groupe PSA qui s'en portera acquéreur à la suite de longues négociations... Dès l'année suivante, Chrysler Europe, fraîchement rachetée, prend le nom de Talbot. Les projets internes sont maintenus, mais Peugeot s'aperçoit que le projet C9 concurrence immédiatement deux modèles de sa gamme, les 505 et 604. Trop tard, le projet est très avancé et il faut le mener à terme. Chrysler Europe avait demandé à Rootes que le projet C9 puisse accueillir un quatre cylindres et un six cylindres ? Le nouveau modèle embarquera dans un premier temps le quatre cylindres d'origine Chrysler (2.2 litres de 115 chevaux). Une version diesel complétera la gamme par la suite, puis sera commercialisée une déclinaison encore plus puissante et luxueuse, animée par le fameux V6 PRV.
Un quatre cylindres au lancement, en attendant mieux...
En octobre 1980, le nouveau modèle est présenté au salon de Paris. Il répond au nom de Tagora (NDLA : en référence à un certaine ville d'Afrique septentrionale?), et plaît immédiatement au public, notamment grâce à ses larges surfaces vitrées et son allure de limousine. La finition, en revanche, apparaît en deçà de ce qui se fait à l'époque. Et la nouvelle venue n'est pour l'heure disponible qu'en version quatre cylindres, qui plus est proposée à un prix plutôt élevé pour l'époque : 58 700 francs pour la version GL et 66 000 francs pour la version GLS, mieux équipée et qui se targue d'une dotation d'origine plutôt fournie, avec direction assistée, fermeture centralisée, vitres électriques et boîte cinq vitesses.
Il faut attendre 1982 pour que la Tagora se dote enfin d'une mécanique plus noble. Via une version nommée SX, la grande berline s'équipe du V6 PRV et devient la voiture de série la plus puissante en France avec 165 chevaux. L'équipement est des plus complets (quatre freins à disques, joncs de pare-chocs chromés, jantes en alliage, ordinateur de bord et même autoradio réglable depuis les places arrières en option), et le train arrière est emprunté à la Peugeot 604, et non à la 505 comme les autres versions à quatre cylindres. Mais l'addition reste salée : plus de 88 000 francs à l'époque...
Au mauvais endroit, au mauvais moment
Après des débuts modestes, avec à peine 500 exemplaires vendus les premiers mois de commercialisation, la Tagora monte en puissance en 1981 avec plus de 15 000 ventes. Hélas, dès 1982 et malgré la mise sur le marché de la version SX et de la version diesel dénommée DT, les ventes retombent comme un soufflé : à peine plus de 2 000 unités trouveront preneur. C'est encore pire l'année suivante, avec des ventes divisées par deux! A cela plusieurs explications. D'une part la concurrence interne chez PSA entre la Talbot Tagora et la Peugeot 604. D'autre part, les effets secondaires du second choc pétrolier de 1979, survenu en pleine gestation de la grande berline, et qui tempère les ardeurs des acheteurs potentiels de grosses autos. Enfin, le réseau de distribution PSA plus prompt à vendre des Peugeot et des Citroën que des Talbot ne contribuera pas à améliorer l'ordinaire de la marque au T cerclé... Tout ceci sans parler des grèves à répétition à l'usine de Poissy, où la Tagora est assemblée...
Au final, en trois ans de carrière, 20 133 exemplaires de la Tagora auront trouvé preneur. Sans que cela soit imputable à la grande berline, Talbot va alors périciliter pendant quelques années. En 1986, PSA lui donnera le coup de grâce en commercialisant la Talbot Arizona, remplaçante désignée de l'Horizon, sous le numéro 309 chez Peugeot... La messe est dite...
L'avis du Blog Auto
Ironie du sort ? Sur le stand de l'Aventure Peugeot à Rétromobile, la Tagora SX était exposée à quelques mètres d'une Peugeot 604 Ti (qui embarque le même six cylindres PRV que la Talbot)... Et à quelques mètres de là, sur le stand du magazine Youngtimers pourtant dédié cette année au six cylindres PRV, la Talbot Tagora est aux abonnés absents...
Cela dit, il est toujours plaisant de voir une auto injustement boudée être à l'honneur! Du peu que nous avons pu voir, la Tagora possède son fan-club, et nombreux ont été les visiteurs à l'examiner sous toutes les coutures... Sans pour autant parler de future classique, on peut quand même se réjouir du regain d'intérêt pour le modèle qui reste tout de même un maillon important dans l'histoire de Talbot sous l'ère PSA. D'autant qu'à la différence de la Peugeot 604, la Tagora se passe d'injection électronique. Eh oui, elle fait encore appel à des carburateurs (deux, à triple-corps), tandis que Peugeot et Renault étaient déjà passés à l'injection avec respectivement les 504 V6 (1977) et R30 TX (1979)...
Illustrations : Le Blog Auto