Dès l'annonce de la mesure entrée en vigueur le 1er juillet 2018, le gouvernement s'était dit prêt à abandonner la mesure dans deux ans, si elle s'avérait sans effet notable contre la mortalité sur les routes. Mais Édouard Philippe, initiateur de la mesure malgré l'opposition de plusieurs ministres et le peu de soutien du président de la République, avait toujours écarté depuis un an les appels, notamment de présidents de conseils départementaux mais aussi de députés En Marche, à des "aménagements locaux" risquant de vider la mesure de sa substance.
"J'avais prévenu le Premier ministre, +nous sommes là pour vous aider, pas pour vous enfoncer+. Il ne m'a pas cru. Aujourd'hui c'est lui qui se retrouve vraiment affaibli par le président", juge le sénateur LR de Haute-Saône Michel Raison, avocat d'un 80 km/h "décentralisé" au cas par cas, à la main des départements. "Il faut faire confiance aux territoires, aux élus locaux, aux préfets pour faire du cas par cas", plaide le député LREM de Gironde Benoît Simian, selon qui "infléchir des décisions contestées par le plus grand nombre, c'est tout simplement mettre de l'huile dans les rouages de notre démocratie".
Mardi soir, lors du lancement dans l'Eure du grand débat national destiné à répondre à la crise des "gilets jaunes", Emmanuel Macron s'est dit pour la première fois ouvert à ces aménagements locaux. "Il faut ensemble que l'on trouve une manière plus intelligente de le mettre en oeuvre. Il n'y a pas de dogme", a déclaré le président. Le Premier ministre est "parfaitement aligné" avec le chef de l'État, a assuré mercredi le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux, refusant de préciser les intentions de l'exécutif.
Source d'une vague de mécontentement, notamment en zone rurale, la mesure est accusée d'incarner la déconnexion des villes avec les campagnes. Pour nombre d'analystes, cette fronde palpable préfigurait le mouvement des "gilets jaunes", né de l'opposition à la hausse des taxes sur le carburant.
"Sortie honorable"
"Emmanuel Macron peut d'autant plus facilement reculer sur les 80 km/h qu'il avait exprimé des doutes en +off+ et laissé son Premier ministre porter quasiment seul la mesure", observe la politologue Chloé Morin (Ipsos). "C'est un des points de départ de l'incendie des +gilets jaunes+. Elle touche au même point sensible: la voiture, et donc la liberté, le statut et l'accès au travail". Le changement de pied intervient alors que l'exécutif doit convaincre que le grand débat de deux mois est "sans tabou". Et qu'il se traduira par des mesures concrètes et une écoute d'un "terrain" qui crie à la déconnexion des élites.
Parmi les opposants aux 80 km/h, la très active association 40 millions d'automobilistes a salué le "pragmatisme" du chef de l'État, voyant dans ses propos une "porte de sortie honorable". "Il n'y a aucun débat interdit, on peut parler de tout, y compris des 80 km/h", a pour sa part réagi Matignon, évoquant les résultats de la mortalité routière pour 2018, attendus d'ici la fin janvier, pour "nourrir le débat". Car ce bilan s'annonce positif: avec 3.176 morts sur les onze premiers mois de l'année, la France comptait en novembre 193 tués de moins qu'en novembre 2017, ce qui devrait permettre d'atteindre un niveau proche du plus-bas historique de 2013 (3.427 tués). Un argument pour les défenseurs de la mesure. Un 80 km/h confié aux départements, "c'est comme si on avait individualisé l'obligation du port de la ceinture, comme si on avait obligé les gens à mettre la ceinture au nord et pas au sud", s'émeut Chantal Perrichon, présidente de la Ligue contre la violence routière. "La sécurité routière, c'est une affaire d'experts. Va-t-on ensuite demander à ces élus leurs avis sur la vaccination obligatoire ?", fulmine la dirigeante de l'association.
Par AFP