Les Chinois ont perdu leur pari (pour l'instant)
par Joest Jonathan Ouaknine

Les Chinois ont perdu leur pari (pour l'instant)

Les Chinois devaient envahir le monde. Comme les Japonais et les Coréens avant eux. Il ne fallait pas se moquer de leurs maladresses. "Vous verez, dans 10 ans..." Sauf que l'on a rien vu. En Chine, les marques "pures" sont minoritaires. Hors de Chine, elles sont carrément marginales. Et la situation ne semble pas prête de changer.

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Les Chinois devaient envahir le monde. Comme les Japonais et les Coréens avant eux. Il ne fallait pas se moquer de leurs maladresses. "Vous verez, dans 10 ans..." Sauf que l'on a rien vu. En Chine, les marques "pures" sont minoritaires. Hors de Chine, elles sont carrément marginales. Et la situation ne semble pas prête de changer.

La courte marche

C'était la sensation des années "00" : l'émergence des Chinois. Des marques inconnues au bataillon, venues de nul part, hors des grands groupes. Geely, doyen des constructeurs "purs" modernes à démarré son activité en 1998 ! Mais quelques années plus tard, des dizaines de constructeurs se bousculaient dans les salons internationaux. Ils lancèrent des modèles à tour de bras et affichent une croissance à 3 chiffres. D'abord condescendants, les observateurs paniquèrent.

Trop polluants, pas assez sûres, trop "inspirés" de modèles existants et surtout, peu conformes aux critères des acheteurs occidentaux, la première vague fut repoussée. Mais on pensait que ce n'était que partie remise. Que les Chinois s'installeraient dans le paysage automobile tôt ou tard.

Mais alors que 2015 débute, force est de constater qu'il n'y aucun acteur du Pays du Milieu d'envergure mondiale. Qui plus est, aucun ne sera en mesure de jouer un rôle à l'horizon 2020.

Tout ou rien

Ah, la naïveté des années "00"... Les PDG rêvaient tout éveillés. Ils étaient imprimeurs (Lifan), négociants en crevettes (Jinbei), arboriculteurs (Geely) ou chimistes (Byd.) Ils avaient connu l'époque du vélo et du costume Mao, où sortir de sa ville était une aventure. Puis il y a eu le boum économique. Maintenant, ils étaient toujours entre deux avions, à jongler avec les milliards de yuans ! A leurs côtés, des "vice-président" à peine trentenaires, débauchés à la sortie des écoles de commerce. Quant aux potentats locaux, ils leur prêtaient généreusement de l'argent. Chaque responsable de province rêvait d'être "le Detroit Chinois" (NDLA : celui des années 50-60, pas le Detroit d'aujourd'hui.)

Tous manquaient de recul et d'expérience. Pour calculer leur développement futur, ils se contentaient de prolonger les courbes. D'où un trop-plein d'assurance et d'ambitions. Faute de prévisions fiables, le moindre trou d'air se traduisait presque immédiatement en stock d'invendus immenses, en projets annulés par dizaines ou en usines rendues à la végétation.

10 ans plus tard, tout le monde a muri. Les fondateurs ont compris qu'ils étaient dépassés et ils ont pris du recul. Et l'ère des crédits illimités est terminée. Tels des chats échaudés, les constructeurs Chinois investissent peu. Il faut se préparer au pire. Usines, produits, réseau, exportation... Toutes les dépenses sont réduites au stricte nécessaire. Il est vrai qu'ils ont passé un cap ; l'heure n'est plus à la construction, mais à la consolidation.

Ce qu'il manque sans doute, c'est de la passion. La Chine a des constructeurs parce que l'automobile se vend bien et qu'elle est un symbole de modernité. En revanche, point de cadre dirigeant qui aurait un passé de pilote ou qui collectionnerait les anciennes. Côtés produits, ils se contentent de copier avec plus ou moins d'habileté les best-sellers Coréens ou Japonais. En revanche, tout projet un tant soi peu sportif (Chery M14, Riich Z5, JAC Heyue SC, Byd Han...) est envoyé aux orties. Or, c'est en sortant des sentiers battus que l'on peut se distinguer et bâtir une image.

Il y a beaucoup trop de marques

La théorie de l'innovation est simple. D'abord vous avez de nombreux petits acteurs. Puis, au fil des années, certains grossissent et ils prennent de l'avance. Les autres, marginalisés, finissent par disparaitre.

Dans l'automobile chinoise, il a effectivement eu des disparitions. Anchi, AVIC Auto, Chunlan, Fuqi, Hanjiang, Huali, Jiangling, JM Star, Polarsun, Shaolin, Soyat, Tongtian et bien d'autres sont tombés au champ d'honneur. Il y a eu quelques opérations de rachats. GAC, le plus glouton, s'est offert successivement ChangFeng, Gonow et Zhongxing.

Actuellement, il existe une quinzaine de marque pures ayant de l'importance. Terminés, les constructeurs monoproduits, au rayonnement local. Il y a eu beaucoup de ménage, notamment dans les minivans et les SUV, autrefois très atomisés. Néanmoins, le processus est gelé. Les "gros" ne sont pas assez incontournables. Avec des ventes annuelles entre 500 000 et 700 000 unités, ils ne peuvent pas faire la loi. Et certaines administrations locales tiennent à bouts de bras des "petits" afin de se maintenir une activité industrielle.

Les Chinois n'en veulent pas

Les Chinois ont un rapport complexe avec leurs produits. D'un côté, il y a un patriotisme, voir un nationalisme très présent. Il y a eux, au centre du monde et les autres. Le conflit autour des iles Senkaku/Diaoyu a réveillé la haine millénaire envers le Japon. Les présidents successifs leur martèlent qu'ils doivent acheter chinois pour assurer la croissance du pays. S'y ajoute une espèce de complexe de Massada, lointaine réminiscence de la Chine des "traités inégaux" (elle avait été dépecée au profit des Européens et des Japonais.) Les produits étrangers (y compris ceux fabriqués sur leur sol, comme les smartphones) seraient les chevaux de Troie d'une invasion culturelle, idéologique et économique de l'occident. Tout cela, des marques comme Lenovo ou Xiaomi (pour ne citer que les plus connues en occident) l'ont bien compris...

D'un autre côté, les Chinois se voient comme en retard, économiquement et technologiquement sur l'occident. Ils ont donc davantage confiance dans les qualités des produits étrangers. Les affaires de plastique dans le lait pour bébé, de larves dans les coussins ou de plomb dans les jouets ne les rassurent pas. Au point où certaines marques chinoises, comme Haier, se font passer pour "étrangères" !

Ainsi, force est de constater que les marques "pures" ne "prennent" pas. ChangAn, 1er constructeur "pur", ferme le top 10. Les Chinois ne les prennent que pour les produits bas de gamme (où seul le prix compte.) Dés qu'ils ont davantage de budget, ils misent sur les étrangers. Geely a pourtant employé le bestiaire de la mythologie chinoise. Byd baptise ses modèles hybrides avec des dynasties chinoises. Great Wall a un nom évocateur en soi. Quant à Lifan, avec sa 520, il a ciblé la passion chinoise des "jeux de chiffres" (NDLA : en mandarin, "520" est phonétiquement proche de "je t'aime".) D'autres jouèrent la carte "occidentale". MG se s'est vanté de venir du pays de Big Ben, des Beatles, de David Beckham et de U2 (!) Lotus-Youngman a recruté un faux "Prince William" et il a affiché des Caterham (!) sur son site pour montrer la filiation avec Lotus Cars. Sans oublier toutes les photos prises dans des salons ou des décors "étrangers" pour se donner un air "mondial".

Une déroute à l'export

Vers 2005-2010, les constructeurs Chinois rêvaient de conquérir l'Europe et les Etats-Unis. A chaque salon (Detroit, Genève, Paris, Francfort...), il y avait plusieurs exposants chinois. Des filiales étaient ouvertes et des contrats, signés. Mais, comme on l'a déjà évoqué, les voitures chinoises étaient à des années-lumières des standards occidentaux. Les adapter demandait du temps et de l'argent. Les Chinois ne voulaient pas payer la note. Les importateurs comme Asie Auto, Chamco, China Car Deutschland ou HSO se sont brûlés les ailes en s'acharnant malgré tout. Fin de l'acte 1.

Faute de points d'ancrage en occident, les Chinois ont donc mis le cap sur les pays émergents. En particulier les pays extrêmement pauvres ou instables. Des pays où les grandes marques sont rarement directement présentes. Parfois, les voitures Chinoises faisaient parti d'un "package" d'aides économiques du Pays du Milieu, en échange de ressources naturelles. Puis la géopolitique s'en est melé. Syrie, Cote d'Ivoire, Haïti, Lybie, Iraq, Egypte, Iran, Venezuela, Ukraine, Russie... Autant de pays de cocagne des voitures chinoises qui sont aujourd'hui malmenés. Du coup, seules 478 000 voitures chinoises ont été exportées sur les 11 premiers mois de 2014. Et avec toutes les calamités citées plus haut, 2015 s'annonce mal. Pire : au Brésil et au Chili, où les productions du Pays du Milieu sont nombreuses, les gouvernements veulent durcir les normes. Un moyen de les écarter. Les sites en plein développement (ceux de DongFeng et MG en Thaïlande, de Great Wall en Malaisie ou de Lifan en Ethiopie) ne peuvent compenser une tendance baissière.

Aucun projet en occident

Et l'Europe ? Des voitures chinoises, on en trouve quelques unes. MG se cantonne à la Grande-Bretagne et à Maltes. Great Wall assemble en Bulgarie et il vend (à doses homéopathiques) en Italie et en Grande-Bretagne. DR Motor, qui assemble des Chery ne songe plus à rayonner hors d'Italie ; depuis 2012, il cherche plutôt à survivre. Enfin, avec ses marchés de taxis et d'autobus électriques, Byd a posé un orteil en Europe. ChangAn expose à Francfort et GAC, à Détroit. A croire qu'ils se contentent de faire des photos. Quant à Qoros, habitué de Genève, on se demande d'abord si la marque à un futur !

Le fait est qu'aucun nouveau distributeur n'a manifesté d'intérêt pour les voitures chinoises. Les faibles ventes et l'absence de produits vraiment attractifs n'est guère encourageant.

Conclusion

Les années de croissance exponentielle et de rêve de domination mondiale sont loin. Aujourd'hui, les Chinois stagnent.

Les optimistes diront que l'automobile chinoise s'est engagée dans un marathon. Que malgré tout, tous n'ont pas les mêmes moyens. Certains finiront par s'essouffler et mécaniquement, les autres se renforceront. A l'export, la persévérance des uns finira par payer. Et l'on finira par voir émerger une poignée de marques chinoises au rayonnement mondial. Il faudra simplement patienter une ou deux décennies.

Néanmoins, il y a un risque de disparition. En Amérique du sud et dans l'ancien bloc communiste, il existait autrefois de nombreuses marques locales. Mais elles n'ont pas pu lutter face aux productions occidentales. Et elles se sont effacées. Un tel risque existe en Chine. D'ailleurs, déjà, dans les années 90, les joint-ventures avaient balayé la première génération de voitures chinoises (berline Shanghai, jeep Beijing, limousine Hong Qi...) Si cela se reproduisait, Pékin ne pourrait pas sauver tout le monde. Le plus probable est qu'il se contentera de tenir à bout de bras un constructeur (comme Moscou avec Lada.)

Crédits photos : Byd (photos 1 et 5 à 7), Geely (photos (2 et 4), Brilliance (photo 3), Qoros (photo 8) et ChangAn (photo 9)

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Pour résumer

Les Chinois devaient envahir le monde. Comme les Japonais et les Coréens avant eux. Il ne fallait pas se moquer de leurs maladresses. "Vous verez, dans 10 ans..." Sauf que l'on a rien vu. En Chine, les marques "pures" sont minoritaires. Hors de Chine, elles sont carrément marginales. Et la situation ne semble pas prête de changer.

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