Jaguar à la croisée des chemins
par Joest Jonathan Ouaknine

Jaguar à la croisée des chemins

Jaguar est le plus petit des constructeurs premium. Il n'a qu'un seul mot à la bouche : grandir. Il doit faire face à un triple défi : gérer sa croissance, se détacher de Ford et ne pas vendre son âme au diable...Microcosmos

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Jaguar est le plus petit des constructeurs premium. Il n'a qu'un seul mot à la bouche : grandir. Il doit faire face à un triple défi : gérer sa croissance, se détacher de Ford et ne pas vendre son âme au diable...Microcosmos

Jaguar va très bien, merci. En 2012, pour la première fois, il a dépassé les 50 000 ventes. Sur les 7 premiers mois de 2013, il est déjà à 31 611 unités (soit 21% de croissance par rapport à l'an dernier.) Un score dopé par les ventes en Chine (9 316 unités, toujours sur les 7 premiers mois de 2013.) L'avenir s'annonce rose. En Chine, par exemple, son nombre de points de vente va passer de 124 à 177. Il ne faut pas oublier l'Inde, où la XF est assemblée depuis l'an dernier. Sans oublier, bien sur, les futurs modèles (sur lesquels on reviendra.)

Tout cela, alors que du temps de Ford, le "Big cat" osait à peine rêver de 40 000 voitures par an...

Sauf que ses rivaux allemands oscillent entre 1,3 et 1,5 millions de voitures écoulées chaque année ! Certes, Jaguar fait parti du groupe Tata. Mais en additionnant les ventes de Tata (hors poids-lourds), de Jaguar et de Land Rover, on dépasse péniblement les 650 000 unités en 2012. Jaguar est donc un nain dans le marché mondial du premium. Une position très fragile.

Une histoire faite de hauts et de bas

L'histoire de Jaguar est assez tortueuse. Il débute en fabricant des sidecars (sous le nom de Swallow.) L'arrivée de l'Austin Seven tue le marché des sidecars. Swallow se reconverti comme carrossier, essentiellement sur base Seven. Dans les années 30, il transforme les Standard en clone de Bentley (cette fois sous l'enseigne "SS", puis "SS-Jaguar".) La SS 100 est une première tentative plus personnelle de roadster. En 1946, il redémarre sous le nom de Jaguar "tout court". Il s'éloigne de plus en plus de Standard et construit des berlines. A l'approche du salon de Londres 1948, la Mark VII n'est pas prête. Pour avoir quelque chose à exposer, William Lyons, l'omniprésent PDG, utilise l'un des châssis et y fait carrosser un roadster. A la surprise de Lyons, l'accueil est favorable. Le roadster "improvisé" est produit, sous le nom de XK 120. Par rapport aux nombreux constructeurs premium, il propose des produits plus aboutis, plus modernes et moins chers. Les  quatre victoires au Mans lui apportent notoriété et crédibilité. Au début des années 60, avec la Mark II et la Type E, Jaguar balaye définitivement ses rivaux.

L'époque est au "big is beautiful". Lyons rachète son rival Daimler et les camions Guy, pour se créer un groupe. British Leyland lui propose de s'intégrer à un ensemble plus grand et a priori cohérent. Mais l'état britannique pousse BL à fusionner avec BMC. Au milieu de cette jungle, Jaguar est bien le seul à ne pas avoir de doublons. Il reste un peu à l'écart des mauvaises idées de BL. Un projet d'intégration avec Rover et Triumph fait long feu. Par contre, Jaguar n'échappe pas au laisser-aller général. Malmenée par les nouvelles normes US de sécurité et de pollution, la Type E doit partir. La XJ-S est une remplaçante qui ne dit pas son nom. En plus, sa fiabilité et sa finition sont désastreuses.

Au milieu des années 80, à la faveur d'un énième plan de restructuration, Jaguar est vendu. Ford le rachète quelques années plus tard. Le constructeur revient en compétition, en tourisme, puis au Mans. La gamme évolue lentement : la XJ40, censée remplacer la XJ6, a un compartiment moteur trop petit pour le V12. Du coup, l'ancien modèle poursuit sa carrière ! Quant à la XJ-S, elle a enfin droit à une version cabriolet. A cause de ce manque de développement, l'ex-roi du premium se fait rattraper, puis dépasser par les Allemands.

A la fin des années 90, Ford se réveille d'un seul coup. Il rachète Land Rover et Volvo, qu'il regroupe dans le Premier Automotive Group, avec Jaguar, Aston Martin et Lincoln. L'écurie Stewart Grand Prix est renommée Jaguar Racing. Dans les show-rooms, la XJ (type X308) et la XK8 (qui remplace la XJ-S) débarquent. L'objectif avoué est de faire de la marque une espèce de "BMW anglais". Pour augmenter les ventes, la gamme est étendue vers le bas avec la S-Type, puis la petite X-Type.

Cette dernière cristallise le pire du Premier Automotive Group. Traction, diesel, break... C'est trop de nouveautés d'un seul coup pour la clientèle traditionnelle de Jaguar. Quant aux autres, ils ne sont pas dupes: c'est une Mondeo recarrossée. Comble de malchance, l'écurie de F1 est aussi un flop. Après une valse des pilotes et des directeurs techniques, plusieurs voitures loupées et des coupes drastiques dans le budget, Jaguar Racing ferme ses portes. Red Bull rachète l'équipe, embauche Adrian Newey (qui avait failli rejoindre Jaguar) et aujourd'hui, elle se bat pour un 4ème titre consécutif.

L'héritage encombrant de Ford

Vers 2006, Ford connait des difficultés financières. Il doit lâcher du lest. Jaguar est vendu avec Land Rover. Après des mois de suspens et de fausses pistes, Tata remporte le morceau. Les premiers produits de l'ère Tata sont la XF et le Range Rover Evoque. Les fans se réjouissent. Le nouveau propriétaire donne davantage de latitude aux marques. Terminées, les économies de bout de chandelle et les Ford replâtrées!

Sauf qu'en pratique, JLR reste très dépendant de Ford. La nouvelle entité continue de se fournir chez l'ovale bleu en plateformes, en moteurs, en comodos, etc. Voici par exemple, une vue de l'usine où sont fabriqués les diesels. L'ouvrier porte logiquement un tee-shirt "Ford": et pour cause, on est chez Ford, à Dagenham.

D'une part, cela pose un problème de noblesse. Là où Audi, BMW et Mercedes investissent des millions de marks pour développer de nouvelles pièces, JLR se contente de carry-over des Ford des années 2000. Surtout, cela pose des questions sur le moyen terme. Car Ford ne voudra pas éternellement fournir des éléments à son ex-filiale. A fortiori si Tata commençait à capter des plans pour les expédier en Inde (cf. ce que fait SAIC avec GM et VW, au profit de Roewe-MG.) C'est une épée de Damoclès : si Ford ferme le robinet, JLR meurt.

Un futur incertain

Le premier problème de JLR, c'est donc l'ingénierie. Si l'entité multiplie les campagnes de recrutements massives (la prochaine est programmée pour septembre), c'est parce qu'il doit "défordiser" ses prochains véhicules. Plus d'épée de Damoclès! Pour les moteurs, par exemple, il va disposer de son propre site, à Wolverhampton.

Mais tout ces investissements ne seront rentable que si JLR grossit. Pour Jaguar, il ne s'agit pas d'atteindre 60 000 ou 80 000 unités, mais plutôt de viser les 200 000 (soit 4 fois son record de 2012!)

Pour commencer, il faut prospecter de nouveau marchés. Jaguar est jusqu'ici trop dépendant des Etats-Unis et de la Grande Bretagne. Depuis peu, il cherche à s'implanter en Asie (ci-dessous, l'ouverture de la filiale de Singapour.)

Mais il faudra surtout étendre la gamme. Le SUV et la "petite" berline permettront de toucher une clientèle plus large. Donc de faire du volume.

Jaguar est une belle marque. Malgré ses aléas, elle conserve une notoriété et une opinion globalement positive. Avec le SUV et la berline, on atteindrait 6 modèles (les 4 modèles actuels étant la XF, la XJ, la XK et la F-Type.) Cela laisse encore une belle marge par rapport aux gammes pléthoriques d'Audi, BMW et Mercedes...

Mais est-ce que le public serait prêt, le cas échéant, pour un monospace ou une compacte frappée du félin? Est-ce que sa notoriété ne repose pas justement sur l'élitisme et l'absence de compromissions ? Les plus cyniques répondront qu'après la X-Type, il sera difficile de faire plus illégitime ! Effectivement, lorsque la XF s'est déclinée en diesel 4 cylindres ou en break, personne n'a réagit.

Quoi qu'il en soit, la marque a beaucoup évolué et elle s'apprête à évoluer encore. C'est le seul moyen d'éviter la spirale infernale de la marginalisation (comme Saab ou le groupe De Tomaso.)

Jaguar essaye de se protéger d'un procès en sacrilège en n'oubliant pas le haut de gamme. Après le projet mort-né de supercar, il lance la F-Type (bientôt disponible en coupé) et on attend une nouvelle XJ.

Crédits photos: Jaguar, sauf photo 7 (Ford)

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Pour résumer

Jaguar est le plus petit des constructeurs premium. Il n'a qu'un seul mot à la bouche : grandir. Il doit faire face à un triple défi : gérer sa croissance, se détacher de Ford et ne pas vendre son âme au diable...Microcosmos

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