Cette annonce de la Première Ministre Elisabeth Borne a surpris un peu tout le monde. Bruno Le Maire, le Ministre de l'Economie, avait invité à Bercy les distributeurs pour leur demander de faire un geste. Or, selon eux, ils n'avaient pas de marge. Visiblement, Madame Borne estime que certains sont prêts à sacrifier leurs marges et plus puisqu'elle veut autoriser pour plusieurs mois la vente à perte de l'essence et du gazole.
La vente à perte, c'est quoi ?
Comme son nom l'indique, la vente à perte consiste à vendre un produit moins cher que son coût de revient. Ce coût de revient, c'est le prix d'achat auquel s'ajoutent les frais de fonctionnement de la station service (salaires, infrastructure, immobilier, etc.). En France, la vente à perte est interdite par le Code du commerce du 2 juillet 1963.
Il existe néanmoins deux cas exceptionnels qui l'autorisent : une fin de saison pour s'aligner sur un concurrent de la même zone de chalandage, ou pour éviter un gaspillage. Ce dernier cas, on le croise tous les jours dans les magasins avec les produits frais périssables vendus avec un gros rabais (relevé en 2018) car sur le point de périmer.
Les prix vont-ils vraiment baisser ?
Peut-être bien que oui, peut-être bien que non. Derrière cette réponse de Normand, il y a différentes situations à considérer. La grande surface, pour qui le carburant est un produit d'appel, demandait depuis très longtemps cette possibilité de vendre à perte. Pour les hypers et supers, cela permet d'attirer la clientèle qui une fois présente pour faire le plein de carburant, va aller faire ses courses sur place. Et la surface de se rattraper sur les marges alimentaires et autres. Pour eux, ce sera un grand OUI.
Il y a également les grands pétroliers, comme TotalEnergies, qui a déjà bloqué les prix à 1,99 €/l dans ses stations. Pour eux, les marges de distribution sont moins importantes que les marges de raffinage. Il pourrait donc y avoir des opérations ponctuelles avec vente à perte du carburant.
Et à l'opposé, il y a les indépendants. Ceux dont le seul métier est la vente de carburant, et non le raffinage, ou la vente de denrées. Pour eux, la vente à perte est impensable. Le président du syndicat professionnel Mobilians, Francis Pousse, qui représente 5800 stations-service traditionnelles réagit vivement : "Nous pompistes, il est hors de question qu'on vende à perte. Mes adhérents vivent à 40, 50 % voire plus de la vente du carburant, donc s'ils vendent à perte, je leur donne trois mois".
Fausse bonne idée ?
Il va même plus loin en agitant un danger : la fermeture des stations indépendantes. En effet, face à des prix de grandes surfaces déjà plus bas, les "pompistes traditionnels" risquent de voir cet écart grandir encore plus. Après quelques mois, ils seront désertés et cela pourrait créer des "déserts de carburants".
Pour autant, faut-il jouer les Cassandre ? Certains villages ont déjà des stations-services automatiques indépendantes qui affichent des prix proches de la grande surface du coin. Toutefois, si elles rendent un très grand service, ces stations de campagne ne créent pas d'emploi localement.
En revanche, les Leclerc et consorts se frottent les mains. S'ils pouvaient vendre du carburant depuis les années 60 (premier Hyper Carrefour avec station en 1963 NDLA), les grandes surfaces ne s'y sont vraiment mises qu'au début des années 80. D'une poignée de stations (4% à peine), la grande distribution représente désormais 45% des stations et plus de 60% des carburants vendus.
Pour les Français, cela serait donc une bonne nouvelle d'un côté, mais aussi le risque de voir le nombre de stations être encore réduit. Cela créerait forcément des zones blanches de carburant avec comme seul distributeur le supermarché du coin. C'est sans doute ce qu'ils cherchent. De toute manière, les grandes surfaces se rattraperont sur les autres produits.
Et un geste de l'Etat ?
Ne comptez pas sur un geste de l'état qui a pourtant plusieurs leviers pour faire baisser les prix. Premier d'entre eux, la TVA. Elle est de 20% et concerne le produit mais aussi la taxe TICPE. En enlevant la taxe sur la taxe, ce serait une baisse immédiate de plus de 12 centimes à la pompe. La TVA pourrait même passer de 20% à 5,5% si on considérait le carburant comme un produit de première nécessité. Là ce serait une baisse de 15% soit plus de 20 centimes à la pompe.
Enfin, l'état pourrait jouer sur la TICPE. Dans l'histoire, il y a déjà eu une taxe dite flottante. A l'époque elle s'appelait TIPP. Le principe était de la moduler pour amortir la hausse du carburant. Sauf que les finances de l'Etat sont dans le rouge et que le Ministre Le Maire, et la Première Ministre préfèrent solliciter le privé et les marges du privé. Cela se comprend.
2 centimes de taxe en moins par litre représentent de 900 millions à 1 milliard d'euros de perte.