Décryptage: les citadines sud-coréennes mangent-elles vraiment le pain des constructeurs français?
par Joest Jonathan Ouaknine

Décryptage: les citadines sud-coréennes mangent-elles vraiment le pain des constructeurs français?

Mercredi, le ministre du redressement productif a dénoncé la "concurrence déloyale" des constructeurs sud-coréens. D'après lui, grâce à l'accord de libre-échange signé en 2010, les ventes de citadines diesel ont augmenté "de 1000%." De quoi miner les constructeurs français. Et le ministre de promettre qu'il fera déclencher "une clause de sauvegarde" à Bruxelles. Pure démagogie ou pure démagogie?

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Cette saillie cocardière est typique. Si les ventes des produits français baissent, c'est forcément la faute des Asiatiques!

Hier, on accusait les Japonais de dumping. Aujourd'hui, ça serait plutôt les Chinois ou les Indiens.

Au moins, on ne peut pas accuser les Sud-Coréens de dumping social: un ouvrier sud-coréen est payé autant, voir un poil plus, que son homologue français. C'est pour cela que Valéo a violemment délocalisé ses usines sud-coréennes en Chine (sans que personne ne s'en émeuve.)

Vrai: le marché coréen est très fermé

Les Sud-Coréens achètent des voitures sud-coréennes, point.

La raison géopolitique, c'est le nationalisme farouche des Coréens.

La péninsule est cernée par la Chine, la Russie et le Japon. D'où des invasions récurrentes. L'épisode le plus sanglant est l'occupation japonaise, au cours de laquelle l'aristocratie coréenne est décimée.

Aujourd'hui encore, la péninsule est au confluant des zones d'influences des trois puissances. D'où sa partition en deux.

Ainsi, les Sud-Coréens sont fiers de leur pays, de leur langue et de leur culture. Ils veulent donc des produits nationaux!

L'autre raison, c'est le cynisme des constructeurs.

Pendant longtemps, la Corée du Sud est un pays pauvre, ravagé par la guerre, dirigé par des généraux en lutte permanente. Au point que la Corée du Nord se développe plus rapidement que sa sœur-ennemie!

Ford, GM, Fiat, Peugeot et plus tard Mercedes, y tentent leur chance. Mais le marché local est trop petit et il est impossible d'exporter dans les pays limitrophes. Ils vont donc faire leurs valises et revendre leurs usines aux constructeurs locaux.

Le marché finit par croitre et les constructeurs locaux de se partager le gâteau.

Vrai: ils ont une stratégie agressive

En France, les marques sud-coréennes arrivent en 1992.

Pendant longtemps, elles font sourire: des modèles japonais ou européens restylés plus ou moins maladroitement, des moteurs poussifs, une finition très moyenne...

L'unique avantage, c'est des prix bas. On les compare donc aux productions de l'ex-bloc de l'est.

Aujourd'hui, Kia-Hyundai se vante d'être le quatrième constructeur mondial.

En Russie, Hyundai est 4e et Kia, 5e.

Aux Etats-Unis, ses ventes ont doublé depuis l'affaire Toyota. Hyundai est désormais 6e et Kia, 7e.

En Chine, où il n'est même pas implanté depuis 10 ans, Beijing-Hyundai est 4e du marché.

En France, on constate que le différentiel de finition et de motorisation s'est amoindri. Les sud-coréennes n'ont plus à rougir face à leurs rivales.

Mais l'atout de Kia et Hyundai, c'est une stratégie commerciale agressive: modèles suréquipés, garantie 7 ans, satisfait ou remboursé...

Dis Arnaud, c'est quoi, une voiture sud-coréenne?

Avant de s'attaquer aux voitures sud-coréennes, il faut d'abord cerner l'adversaire.

Qu'entend le ministre du Redressement Productif par "voitures [sud-]coréennes?"

Pour Hyundai, Kia et Ssangyong, c'est a priori simple.

Mais quid de Chevrolet? Où s'arrête l'ex-Daewoo et où commence le General Motors historique?

Et surtout, peut-on considérer qu'un Renault Koleos ou une Latitude, produits à Pusan et vendus essentiellement sur place, sont français?

Et même pour Kia et Hyundai, il y a des exceptions.

Comme tous les constructeurs, ils possèdent des usines un peu partout dans le monde. Pour des questions de logistique et d'image.

Hyundai possède ainsi une usine à Nosovice, en République Tchèque.

Quant à Kia, il diffuse volontiers des images de son site de Zilina, en Slovaquie. Un pays où est également produit la Peugeot 208...

+1000% de citadines diesel?

Toujours d'après le ministre, le marché français est envahi de citadines sud-coréennes.

En fait, dans le classement des ventes de juin, la première voiture venue de la péninsule est le SUV Hyundai ix35. Il ne pointe qu'en 56e position, avec 926 unités. En plus, il est produit à Nosovice.

La première citadine est la Chevrolet Spark, au 69e rang, avec 802 ventes. Ce qui ne représente même pas un dixième des ventes de Renault Clio (9 109 unités en juin.)

Et au niveau Européen? Depuis la fin des barrières, les ventes ont explosé, non? Non?

En juin 2011, il s'était vendu 36 811 Hyundai dans tout le continent. Ce qui lui valait la 14e place. En juin 2012, le constructeur a écoulé 44 803 véhicules, ce qui lui permet de gagner un cran.

Le tout dans un marché plutôt stable (1 272 904 unités en juin 2011 et 1 275 734 en juin 2012.)

Le marché sud-coréen n'est pas fermé aux étrangers

Certes, Hyundai et Kia représentent peu ou prou les trois quarts du marché.

Mais Chevrolet est 3e et surtout, Renault-Samsung est 5e!

Arnaud Montebourg pense qu'à Bruxelles, les autres pays le suivront comme un seul homme.

Sauf que parmi les importateurs, certains y trouvent leur compte. Qui trouve-t-on juste après Renault-Samsung, dans le classement sud-coréens? Mercedes, BMW, Audi et Volkswagen, dans cet ordre, de la 6e à la 9e place.

Les jeunes sud-coréens ne sont plus autant attachés au "made in Korea" et ils se tournent vers les étrangères. La BMW série 5 et la Mercedes Classe E s'offrent même une incursion dans le top 30 des modèles (avec les 24e et 28e rang respectifs.)

Et ce n'est qu'un début...

En fait, parmi les généralistes étrangers, l'un des seuls qui tire la langue, c'est Peugeot (16e avec 255 ventes; tandis que Citroën est 26e -sur 29- avec 30 ventes.)

Pas sur que les autres pays européens aient envie de se mobiliser uniquement parce que PSA ne vend pas assez en Corée du Sud...

Les solutions?

Le plan du ministre est très franco-français et surtout, il ne répond qu'au court terme.

Pour éviter d'être trop dépendant du marché européen, il faudrait que PSA soit davantage mondialisé. Qu'il aille en Amérique du Nord (où Kia-Hyundai est présent, mais pas lui), en Inde (où Kia-Hyundai est présent, mais pas lui), etc.

Il faudrait peut-être aussi songer aux solutions énergétiques d'après-demain. PSA a manqué le coche de hybrides et il se contente de rebadger des Mitsubishi électriques.

Il serait dommage qu'il rate également la pile à combustible, sur lequel Hyundai est déjà présent...

Et plus généralement, les cerveaux de PSA pourraient se demander comment un constructeur qui lançait ça il y a 10 ans est aujourd'hui le 4e constructeur mondial...

Crédits photos: Kia (photo 1, 6, 7 et 9), Peugeot (photo 2), Busan Motor Show (photos 3, 5, 12 et 13), Hyundai (photo 4, 10, 14, 15 et 16), Renault (photos 8 et 11)

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Pour résumer

Mercredi, le ministre du redressement productif a dénoncé la "concurrence déloyale" des constructeurs sud-coréens. D'après lui, grâce à l'accord de libre-échange signé en 2010, les ventes de citadines diesel ont augmenté "de 1000%." De quoi miner les constructeurs français. Et le ministre de promettre qu'il fera déclencher "une clause de sauvegarde" à Bruxelles. Pure démagogie ou pure démagogie?

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