Il y eut d'abord Luca di Montezemolo, l'ancien président de Ferrari, qui écrivait dans le Corriere della Sera fin 2022 : « La voiture italienne n’existe plus. Il ne reste que Ferrari. Il n’y a rien ou presque à Turin », rajoutant à propos de Stellantis, « c’est un groupe français, pas italien. Le design que notre pays a produit a été et continue d’être, même s’il ne s’agit plus de voitures, une valeur culturelle. Sergio Pininfarina était l’emblème de ces valeurs. Lorsqu’il posait son crayon, il n’était presque pas nécessaire d’y apposer le logo Ferrari ou Made in Italy, on voyait tout de suite que ce produit venait de cette main. C’est une valeur que nous risquons de perdre ».
Plus récemment, c’est Flavio Briatore, l’ancien team-manager de Benetton puis de Renault en F1, qui a lancé son propre pavé dans la mare, s’exprimant sur les réseaux sociaux à l’occasion d’un trajet de vacances "Fiat n'existe plus, on ne voit plus aucune voiture dans la rue à part quelques vieilles charrettes d'il y a vingt ans". En effet, l'entrepreneur a publié un article, ensuite supprimé, sur son profil Instagram alors qu'il se rendait à Forte dei Marmi, affirmant qu’on ne voyait que des Mercedes, Audi et Dacia sur les routes : « Je pense que le modèle phare est la Panda, mais à part ça, il n'y a plus de voitures italiennes dans les rues".
Le luxe va bien, mais c'est anecdotique
Tout en nuançant ces différents propos, surtout ceux de Briatore qui n’en est pas à sa première déclaration intempestive, force est de constater qu’en Europe et même sur son marché national, l’automobile italienne a pris un coup. Mettons de côté les marques de luxe dont les chiffres restent insignifiants et hors catégorie. Ferrari fait figure d’exception, alors que Lamborghini est sous pavillon allemand et que Pagani est ultra confidentielle, mais toutes ces marques, ainsi que des petits artisans comme MAT, Kimera ou Ares, perpétuent l’image mondiale de la belle italienne racée et sportive. Toutefois, cela reste une niche pour ultra-riches et les constructeurs de supercars lorgnent bien plus vers l’Amérique, la Chine et le Moyen-Orient que vers le pays de Dante ou même le vieux continent. Du côté des designers, Pininfarina est passé sous pavillon chinois, Bertone a disparu, Italdesign est propriété de VW et Zagato fait figure de dernier des mohicans.
Fiat, le "leader" de Stellantis en trompe l'oeil ?
Pour en revenir à la grande série et aux marques généralistes, celles qui parlent le plus au consommateur lambda, la production automobile en Italie s’est élevée en 2022 à seulement 796.000 véhicules, contre 1.5-1.7 million au début du siècle, mais cela pourrait s’améliorer bientôt, puisque Stellantis a choisi d’accroître sa production à 1 million chez nos voisins transalpins, au grand dam du gouvernement français qui espérait une relocalisation de la production. Comme quoi, le fait que Stellantis soit une entité « française » aux yeux de Montezemolo ne se traduit pas forcément par un favoritisme tricolore. Toutefois, dans cette production des usines italiennes, il ne faut pas oublier le part prise par les marques américaines du groupe, avec les modèles Jeep ou le Dodge Hornet, clone de l’Alfa Romeo Tonale exporté vers l’Amérique. Récemment, une nouvelle polémique est apparue avec la Fiat Topolino, dérivée de la Citroën Ami, mais dont le choix d’implanter la production au Maroc a suscité une levée de boucliers.
Pourtant, sur le papier, Fiat a été en 2022 la première marque du groupe Stellantis en termes de ventes, restant leader sur le segment des citadines, avec par exemple 120.000 unités de 500 électriques immatriculées depuis son lancement en 2020. Il faut également souligner la performance des Fiat 500 thermique et Panda, respectivement première et deuxième du segment des voitures urbaines, occupant 43,8% de part de segment en 2022 sur le continent. Enfin, tous segments confondus, la marque est numéro 1 en Italie avec une part de marché de 15,1%, mais c’était plus de 30% dans les années 90. A l’échelle européenne, la part de marché de Fiat tombe à…3.5 %, alors quelle s’élevait à près de 15% en 1990. FIAT doit surtout ses performances à l’Amérique du Sud, avec une part de marché de 13,6%, notamment grâce au Brésil avec 430 000 unités écoulées et une part de marché de 21,9 %, la meilleure performance annuelle ainsi que la meilleure de toutes les marques au cours de la dernière décennie.
Une gamme qui s'est appauvrie
En Europe donc, et plus particulièrement en Italie, le duo 500/Panda ferait un peu figure d’illusion d’optique. Il faut dire que, depuis les années 90, sans remonter plus loin nécessairement, la concurrence s’est accentuée et diversifiée avec l’arrivée des coréens Kia/Hyundai, l’essor de Skoda, l’arrivée de Dacia, etc. tandis que la gamme Fiat s’est réduite. Au début des années 90, Fiat couvrait tout le spectre, avec la Panda, la Uno, la Tipo, la Croma, puis la Punto qui a été un best-seller incroyable. Fiat osait même des véhicules plus sexy, comme la Barchetta et le Coupé. Sous Marchionne, Fiat est passé progressivement à la mono-culture 500, avec certes un gros succès pour la petite berline, mais un dérivé 500L peu inspiré et à contre-courant, au moment où les crossovers supplantaient les monospaces traditionnels, puis une 500X tardive, ou encore un Freemont qui n’était qu’un Dodge Journey rebadgé sans saveur. Par contre, au Brésil où Fiat s’en sort très bien, comme par hasard la gamme est plus étendue, avec plusieurs SUV ou encore des versions Abarth plus nombreuses. Pour le coup, Fiat a payé aussi à cette époque son retard pris dans l’hybridation, l’électrification et les nouvelles normes, ce qui a contribué à appauvrir son offre en Europe pour rester dans les clous, quitte à acheter du crédit CO² à Tesla…
Marchionne, un droit d'inventaire ?
Et Fiat n’est pas seul dans ce que certains qualifient de marasme. Beaucoup ont encensé Sergio Marchionne, qui a redressé financièrement le groupe FCA après le rachat avec Chrysler mais le bilan produit est autrement plus discutable et assez désastreux sur le plan de l’Italie. On n’a pas renouvelé la Punto qui avait pourtant cartonné sur le segment oh combien crucial en Europe des citadines polyvalentes, on a assisté au suicide en règle de Lancia, déjà moribonde néanmoins depuis le milieu des années 90, avec des Chrysler rebadgées qui ont évidemment fait un four, alors qu’Alfa Romeo, qui s’était bien relancée au début du siècle avec les 147/156/159, a dû vivoter avec un binôme Giulia/Stelvio qui ne s’est pas suffisamment vendu, sans renouveler la Giulietta ni la Mito, sans oublier l’annulation en série de nombreux projets porteurs (le break Giulia réclamé par de nombreux alfistes sur un segment archi dominé par les allemands, le coupé GTV, etc).
Beaucoup aussi déplorent la perte de charme et d’identité au niveau du style, la banalisation des modèles ou l’erreur de vouloir copier plutôt que d’affirmer une identité propre. Malgré sa côte de popularité auprès des amateurs, la Giulia est vue par certains comme trop proche de la BMW série 3, mais Alfa Romeo fait figure de « gardien du temple » du style italien. Cela n’a pas suffi, car l’offre moteur réduite, l’absence d’hybridation, le manque de variantes de carrosserie et le retard sur les technologies de type infotainment ont pénalisé les ventes. Point positif, le Tonale, et aussi le prochain petit crossover l’espèrent les tifosis, ont commencé à inverser cette tendance.
Alors certes, attention à ce que dit Briatore qui jette un regard biaisé car il s’appuie sur l’observation d’une partie restreinte de l’Italie, qui plus est dans un espace touristique. Mais oui, il suffit de circuler sur l’Autostrade dei Fiori, et vous verrez que beaucoup d’Italiens, en tous cas pour ceux qui ont des véhicules récents, roulent avec des breaks et SUV allemands, coréens, bientôt chinois et dans une moindre mesure française, parce que soit Fiat, soit Alfa, soit Lancia ont vu leurs gammes se réduire comme une peau de chagrin et ont laissé les places vacantes être prises par d’autres. Des signes positifs existent néanmoins, avec la reprise des ventes du Biscione avec le crossover Tonale, le succès de la 500 électrique bientôt secondée par sa variante crossover, et le retour imminent de Lancia, ce qui demeure un sacré pari pour une marque qui est tombée dans l’oubli.
Ferrari, l'arbre qui cache le désert en compétition
On peut aussi rappeler qu’en sport automobile, un domaine où les marques italiennes ont toujours été très présentes, et pas seulement Ferrari, la voiture de course italienne a déserté aussi. Les Abarth 1000 TC semaient la terreur sur les circuits dans les années 60, Fiat s’impose en WRC à la fin des années 70, Lancia gagne en Groupe B et court en Endurance, Alfa Romeo est la terreur du supertourisme dans les années 90 avec les 155 et 156…Quid aujourd’hui ? Ferrari a absorbé tout le potentiel sportif transalpin, Fiat n’a plus de présence sportive depuis la Punto S2000, hormis Abarth qui a développé une 124 rallye assez confidentielle, Alfa Romeo n’a pas donné de carrière sportive officielle à la Giulietta ou à la Mito et doit se contenter d’un sponsoring avec Sauber. Maserati revient doucement avec la Formule E et une MC20 GT2, mais il ne s'agit pas de championnats de grande envergure. Là aussi, ce manque de visibilité a contribué à « sortir » l’automobile italienne de l’esprit d’une partie des consommateurs.
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