Jaguar happé par le "wokisme" ?
On peut dire que Jaguar n’a pas manqué de faire parler d’elle, avec sa dernière campagne marketing Copy Nothing, qui annonçait une nouvelle identité et une nouvelle philosophie. En exposant des mannequins « androgynes » issus de la diversité comme on dit, sortis tout droit d’un défilé de la Paris Fashion Week, vêtus de costumes futuristes aux couleurs criardes, le tout accompagné d’un jargon marketing « tendance » et d’un nouveau logo plus proche de la marque de parfum que de la voiture, dans lequel le fameux félin a disparu, Jaguar a visiblement coché toutes les cases pour titiller les pourfendeurs de l’idéologie « woke », même si, il faut bien le reconnaître, le terme, brandi comme un chiffon rouge, est parfois utilisé à tort et à travers.
Certes, c'est surtout dans des médias dits "conservateurs" que l’opprobe a été jetée sur la vénérable marque britannique, Elon Musk y allant personnellement de son commentaire sur X en interpellant les dirigeants de Jaguar pour savoir s’ils « vendaient toujours des voitures ». Même Nigel Farage, le très souverainiste et droitier politicien britannique, y est allé de sa vidéo de réaction. Néanmoins, les commentaires négatifs sur les réseaux sociaux ont été nombreux, sans que l’on puisse juger du « conservatisme » supposé d’untel ou untel. On connaît trop bien la chanson : critiquer ou mettre en question un discours qui se veut « bien pensant » et progressiste vous vaut automatiquement un procès en « réaction » voire en fascisme. D'autres ont choisi l'humour et, IA aidant, ont déjà diffusé plusieurs détournements du clip officiel.
Mais quand le directeur général de Jaguar, Rawdon Glover, explique qu’il ne s’agit pas d’un manifeste « woke » tout en arguant qu’il faut s’éloigner des « stéréotypes automobiles traditionnels », que veut-il dire au fond ? Comment peut-on interpréter cela autrement que par la volonté non assumée de jeter aux oubliettes l’image supposée viriliste, patriarcale et machiste de la voiture sportive ? Pourtant, Jaguar, ce n’est pas que ça pour ceux qui caricaturent les marques emblématiques : c’est aussi l’élégance, la classe, un art de vivre. Mais bon, la "déconstruction" s'embarasse peu de ce genres de nuances.
Où est la machine ?
Mais plus encore que l’esthétique - qui n'est finalement qu'une posture marketing loin d'être spontanée - c’est quand même l’absence de référence automobile qui interpelle et pose souci. Que vend-t-on ? Que "véhicule-t-on" si j'ose dire ? Là encore, Glover se justifie : « Si nous jouons de la même façon que tout le monde, nous serons juste noyés. Nous ne devons donc pas nous présenter comme une marque automobile », a-t-il expliqué au Financial Times vendredi. Donc Jaguar doit se renier pour exister ? Qu'est-ce que le client est censé chercher ? Une expérience ? Un concept ? Une posture ? Tout cela sonne bien faux. Au fond, n’est-ce pas ce spot marketing ultra branché qui est un vrai conformisme au diktat idéologique actuel ?
On est en droit de questionner une approche marketing qui oblitère la voiture, avec une esthétique qui emprunte énormément aux griffes luxe de la mode et de la parfumerie, jusque dans la police d’écriture de Jaguar, l’effet doré du nom et les couleurs criardes, qui collent parfaitement au tape à l’œil qui domine actuellement la créativité du segment (allez voir les sneakers de Balanciaga et vus comprendrez). Les génies du marketing ont-ils oublié que ce qui fait justement le charme et l’âme des grandes marques automobiles européennes ? c’est d'abord l'objet automobile en lui-même, mais aussi leur héritage, leur histoire, leur légende. Evidemment, il est tout à fait logique de vouloir dépoussiérer une image, de l’adapter aux nouveaux goûts, mais cela peut se faire avec plus de subtilité. C’est d’ailleurs bien le souci du marketing progressiste, dont les dérives apparaissent aussi dans la culture et le cinéma, avec une propension à la caricature et aux postures surjouées avec un brin de provocation. Si Jaguar cherche en effet à conquérir un nouveau public – sans doute pas très au fait de ce qu’est vraiment une automobile – ils risquent de perdre une grande partie de la cohorte existante d’amateurs.
« Nous devons refonder notre marque, et à un niveau de prix totalement différent, nous devons donc agir différemment », a-t-il ajouté. Le patron de Jaguar a ainsi regretté que le message que voulait envoyer la marque ait été perdu dans « un feu d’intolérance » sur les réseaux sociaux, bien qu’il ait salué un buzz global « très positif ». Quelle que soit l'opinion que l'on a de la campagne, elle a fait beaucoup parler. En moins d'une semaine, la vidéo a été visionnée près de 2,1 millions de fois sur YouTube et 163,7 millions de fois sur X, grâce notamment aux tweets d'Elon Musk à ce sujet.
Un teasing qui interroge
Jaguar a annoncé mettre un terme à la vente de véhicules neufs, et sa « mise en sommeil » jusqu’en 2026. Elle compte à partir de cette date se relancer en tant que marque 100% électrique avec un positionnement très haut de gamme, et donc des modèles plus chers. Le constructeur souhaite donc cibler des clients plus jeunes et plus riches, et rebâtir son image de marque de luxe pure, plutôt que de marque automobile traditionnelle, expliquent ses dirigeants.
Alors que les internautes débattent du nouveau logo et de la nouvelle image de Jaguar, le constructeur automobile a discrètement révélé la première image officielle de son futur concept-car, un aperçu du véhicule électrique de série. Angulaire et épuré – copy nothing, really? - le design proposé offre une vue recadrée de l’arrière et des côtés. La première chose que l’on constate est l’absence totale de lunette arrière traditionnelle, façon Polestar 4. Le « drame » du design ne s’arrête pas là. La partie centrale de l’arrière est dominée par une structure rectangulaire de lamelles horizontales qui fait penser à un climatiseur, un radiateur stylisé ou peut-être des persiennes ? On ne sait plus. Jaguar veut peut-être marier l’univers automobile avec le mobilier design. Jaguar a également publié deux images montrant une garniture latérale rétractable arborant le nouveau logo, avec ce qui ressemble à une caméra cachée derrière.
En même temps, pourquoi s’en étonner ? Alors que l’identité de nombreuses marques sportives s’est bâtie sur le design et leurs mécaniques racées, l’électrification enlève de facto une grande part de ce qui a fait l’âme de ces blasons prestigieux. Il faut donc trouver une nouvelle façon d’exister et de se démarquer, en s’orientant vers l’expérience client, l’habitabilité, la connectivité, etc. Bref, des préoccupations bien éloignées des « carenthusiasts » et qui risquent bien de copier « everything ».
Jaguar est sur le point de devenir une marque ultra-luxueuse, exclusivement électrique. Quelques photos en tenue de camouflage ont déjà fuité, montrant une longue berline basse et massive qui ressemble à un mélange de Porsche Taycan et de BMW i7. Bref, la Jaguar Type E nous semble bien loin. Vive le restomod !!!