Brève rencontre: Rumpler Tropfen-Auto

Néanmoins c’est bien connu, il ne faut pas avoir raison trop tôt: la clientèle n’était pas prète pour cela.

Contrairement à ce que beaucoup de gens croient, le monospace n’est pas né à la fin des années 70, un jour où Philippe Guédon (ingénieur vedette de Matra) s’est dit: « Tiens et si on faisait l’Espace? »

Tout a commencé en 1914, lorsque le comte Ricotti exige de Castagna une carrosserie très spéciale pour son Alfa-Romeo 40-60hp, en forme d’obus. Puis il y eu de nombreux projets de monocorps, soit par désir de pureté aérodynamique, soit par volonté de maximiser l’espace intérieur. Tout s’accéléra dans les années 70, lorsque les premiers vans apparurent et qu’une clientèle fit comprendre  aux constructeurs qu’elle voulait un monocorps qui ne soit pas utilitaire. Beaucoup hésitaient et le mérite de Renault est d’avoir dit « oui » au projet de Matra (refusé par Peugeot quelques mois plus tôt.)

Dans l’avant-guerre, les monocorps étaient essentielement des idées de professeurs Nimbus (comme Bel Geddes, Claveau, Dubonnet, Le Corbusier ou Scarab.) La plupart restèrent des prototypes, voir des dessins (une maquette de la « voiture maximum » du Corbusier fut tout de même construite par Giugiaro en 1987, année du centenaire de l’architecte.) Rumpler fut donc l’un des rares a tenter de produire en série son véhicule.

Né en 1872 à Vienne, Edmund Rumpler s’est fait connaître en Allemagne, en 1903, par ses dessins d’automobiles pour Nesselsdorf (future Tatra) et Adler.

En 1908, lorsque l’aviation émerge, il décide de se consacrer à ce nouveau mode de locomotion. Il acquière les droits du « Taube » (colombe) d’Igo Etrich en 1910, avant de fabriquer des biplans de combat.

A l’armistice, les alliés interdisent aux Allemands de construire des avions. Rumpler retourne à l’automobile. Mais plutôt que de travailler pour un autre constructeur, il décide de fonder sa marque. Pour sa voiture, il souhaite appliquer les principes de l’aéronautique, avec une forme éffilée, donc plus aérodynamique. L’habitacle, inspiré des nacelles de dirigeable, est à l’avant et le moteur se retrouve à l’arrière. Il conçoit un 6 cylindres en W (3 culasses de 2 cylindres) de 2,3l et 35ch, que construit pour lui Siemens et Halske. Elle atteint 95km/h.

Sa Tropfen-Auto est présentée au salon de Berlin 1921. L’accueil est timide. La Rumpler ne ressemble à aucune autre voiture et le fait que l’Allemagne était au bord de la ruine (avec une inflation à 3 chiffres) ne devait pas faciliter les choses.

De plus, à cause des trop nombreuses nouveautés, la mise au point fut laborieuse. Le 6 cylindres consomme 25 litres au cent et cloitré dans un compartiment mal aéré (LE problème des voitures à moteur arrière pendant des années), il chauffe.

Rumpler tente de décliner sa voiture sous forme de limousine ou de cabriolet. Le moteur passe à 2,6l, avec toujours 35ch, mais 105km/h en 1922. En 1924, la Tropfen-Auto reçoit un moteur plus classique: un 4 cylindres en ligne Benz 2,6l de 50ch, qui autorise 115km/h. Mais les commandes restent rares.

En parallèle, Rumpler vendit une licence de fabrication à Benz. Le constructeur en dériva une voiture de course en 1923, la RH (Rennwagen Heckmotor; voiture de course à moteur central), munie d’un 6 cylindres en ligne 2,6l de 90ch. Elle est l’oeuvre de Willy Walb (qui co-signera plus tard les fameuses Auto-Union de Grand Prix et la Porsche 356.) Apparues au grand prix d’Europe, à Monza, les trois prototypes ne marquèrent guère les esprits. Les actionnaires poussèrent ensuite Benz à oublier la compétition pour se consacrer aux limousines d’apparat.

En 1926, Rumpler présente une ultime voiture, à traction avant. C’était le champ du cygne du constructeur, qui ferma les portes de son usine de Berlin peu après. Une centaine de Tropfen-Auto furent construites.

Toujours en 1926, Fritz Lang réalisa Metropolis. Dans son film futuriste, il y a une scène où les flots se déversent sur la ville, emportant notamment des voitures. Il n’hésita pas à sacrifier des Rumpler pour l’occasion, vu qu’elles avaient justement un style futuriste et que personne n’en voulait.

Dans les années 30, Edmund Rumpler travailla sur un projet de camion aérodynamique à traction avant. Le « RuV 29 » possédait un 6 cylindres en lignes Maybach de 90ch. Il construisit un second véhicule, le RuV 31, disposant d’un V12 de 150ch, capable d’atteindre 100km/h. Ce dernier véhicule disparu en 1942 dans un bombardement.

Il travaillera ensuite sur une voiture populaire, puis sur un moteur d’avion de 1000ch, capable de permettre à un avion de ligne de traverser l’Atlantique sans escale. Mais suite à l’arrivée au pouvoir des nazis, l’ingénieur-docteur est victime de leur politique raciale. Il doit quitter Berlin et prendre sa retraite. Il meurt en 1940.

En 1979, Volkswagen récupéra l’une des deux Tropfen-Auto survivantes et la passa en soufflerie.

A la grande surprise des ingénieurs, elle affichait un cx de 0,28, un coefficient exceptionnel, même en 2007. Et le plus incroyable étant que Rumpler a dessiné sa voiture quasiment à l’instinct! C’est dire le génie de cet homme.

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