Dans la seconde moitié des années 1960, BMW entame une mutation stratégique et son irresistible ascension. Fini la période sombre des années 50, où les démélés financiers avaient failli entraîner le rachat par Mercedes.
Désormais, BMW ambitionne de devenir une marque premium, avec une gamme renouvelée, moderne et surtout empreinte de sportivité. ça tombe bien, des BMW accumulent un nombre incalculable de victoires dans des courses de tourisme, sauf que ces succès sont essentiellement le fruit de préparateurs privés, comme Alpina et Schnitzer, qui concoivent et exploitent à 100% leurs bolides. BMW entend profiter davantage de ce potentiel, car les nouveaux dirigeants, portés par Eberhard Von Kuenheim à partir de 1970, comprennent que l’engagement en compétition sera un vecteur essentiel pour promouvoir leurs nouveaux modèles de route à caractère sportif.
Cette orientation sportive s’est manifestée avec l’apparition de l’élégant coupé CS en 1965 et surtout l’introduction en 1968 d’un nouveau six-cylindres en ligne (M30) en version 2.5 et 2.8 litres, proposant 150 et 170 chevaux. Peu après, c’est l’identité visuelle des modèles BMW qui commence sa révolution, notamment sous l’impulsion des stylistes Wilhelm Hofmeister, le concepteur du fameux « pli », et du français Paul Bracq, lesquels redéfinissent les codes visuels de la marque en concevant des lignes plus athlétiques, racées, iconisées par les fameuses calandres flanquées des « haricots » centraux, les doubles optiques ronds et le profil de squale des capots avant.
En 1972, le championnat d’Europe de tourisme est à son apogée. Le public et les marques affluent dans des affrontements spectaculaires qui rivalisent presque avec la Formule 1, d’autant que de nombreux champions de la discipline reine viennent s’y frotter régulièrement, comme Niki Lauda qui roule beaucoup avec Alpina. Ford domine le championnat avec les Capri RS dont la préparation est supervisée par l’allemand Jochen Neerpasch, un ancien pilote qui s’est reconverti en manager hors pair. Sous son égide, Ford est une machine de guerre impeccable et implacable. En 1972, les berlines américaines donnent une sévère leçon à BMW, qui n’a pourtant pas ménagé ses efforts avec le lancement d’un superbe coupé 3.0 CSL doté d’un 6 cylindres gonflé à 300 chevaux. A l’issue de l’épreuve du Paul Ricard, où les Ford ont paradé et ridiculisé les BMW, le directoire du constructeur bavarois tape du poing sur la table.
La meilleure défense, c’est l’attaque. Pour contrer la domination de Ford et faire triompher BMW, autant débaucher celui qui fut la bête noire de l’hélice en 1972. Neerpasch, le pivot du département compétition de Ford, est courtisé et reçu à Munich, avec comme proposition la possibilité de créer un nouveau département compétition. L’offre est alléchante et Neerpasch accepte. C’est le transfert de l’année !
1er avril 1972 : l’acte de naissance de BMW Motorsport Gmbh. Le département se structure. Bientôt, les ateliers s’installeront dans un grand local de 8000 m² à Munich, non loin du nouveau siège de BMW, le fameux « 4 cylindres » inauguré pour les JO. Neerpasch s’entoure de spécialistes et peut compter sur l’appui de deux ingénieurs motoristes de talent: d’abord le baron Alexander Von Falkenhausen, qui est à l’origine du programme F2 du constructeur et qui est surtout convaincu par la technologie du turbo, laquelle a déjà ses preuves en courses de tourisme avec la 2002 TIK. Un moteur qui a été développé par Paul Rosche, l’autre futur homme clé du département Motorsport, appelé à superviser 10 ans plus tard le programme Turbo en Formule 1.
1972 est une saison de transition. 1973 sera celle de l’éclosion. Rien n’est laissé au hasard dans l’organisation méticuleuse imposée par Neerpasch. Les pilotes recoivent une préparation physique dans les Alpes ainsi qu’une préparation mentale. La logistique est rodée comme du papier à musique et, des vêtements aux livrées des camions en passant par les porte-clés, tout l’équipe officielle arbore fièrement les couleurs Motorsport. D’un point de vue technique,le coupé 3.0 CSL a été profondément revu et dispose désomais d’un 6 cylindres 24 soupapes de 400 chevaux. Le coupé, engagé par l’écurie officielle, triopmhe dans sa catégorie au Mans puis aux 6 heures du Nurburgring, annonçant l’irresistible montée en puissance des bolides bavarois. Toine Hezemans décroche le titre de champion 1973 alors que la même année, le moteur de F2 revu et corrigé gagne en monoplace dans le championnat d’Europe de Formule 2. L’effet Neerspasch, maître de l’organisation, se fait immédiatement sentir. Des partenaires financiers sont aussi sollicités pour renforcer le programme. Un accord est conclu avec le pétrolier Texaco et la couleur de la multinationale américaine, le rouge, doit se marier avec celles de BMW. Cette alliance, bien qu’elle ne se concrétise finalement pas, sera à l’origine des couleurs ciel, violet et rouge des trois bandes constituant le logo M.
Parallèlement, BMW Motorsport a aussi une incidence notable sur la production routière. La 3.0 CSL de course a besoin d’une version civile pour homologation, ce qui aboutit à une version de route équipée d’un bluffant 6 cylindres de 206 chevaux, avec différentiel autobloquant et surtout un kit aérodynamique composé d’un becquet, d’un énorme aileron arrière et d’ailettes qui lui donneront bientôt le surnom de « Batmobile ». Un kit qui devait être monté, car les services des Mines en France mais aussi en Allemagne ne l’avaient pas homologué pour des raisons de sécurité. Même si elle ne porte pas officiellement la griffe, cette 3.0 CSL est considérée par les puristes comme la première vraie BMW « M » de route, bien avant la supercar M1 et la 635 csi.
Quelques temps plus tard, au salon de Francfort 1973, le public découvre avec stupéfaction une 2002 très spéciale aux couleurs de Motorsport. Celle-ci est tout simplement la première berline européenne à proposer un moteur turbocompressé, ce que le bouclier avant ne manque pas de rappeler avec la fameuse inscription à l’envers 2002 Turbo, qui va rapidement déclencher une polémique en étant considéré comme une provocation sur la route et un « pousse au crime » des fous du volant, une « faiseuse de veuves », alors que les préoccupations sécuritaires commencent à émerger dans les sociétés européennes et que les effets du premier choc pétrolier incitent désormais à l’économie d’énergie.
Quoi qu’il en soit, en un an seulement, le département Motorsport a fait enter BMW dans une nouvelle dimension, conjuguant triomphes sur les circuits et naissance de modèles de route vertigineux qui vont forger la mythologie sportive de la marque bavaroise.