Dans les règles de l’art
Ce gros évènement inédit était l’occasion pour Audi de réaffirmer son engagement dans l’électrification, alors que le marché EV a été compliqué ces derniers mois et que le plan produit a pris du retard sur la marche initiale. Les nouveautés des Anneaux arrivent, et alors qu’Audi dévoile un Q6L E-Tron dévolu au très concurrentiel marché chinois, c’est sur la E-Tron GT Quattro que nous avons pu rouler. Le constructeur l’affirme par la voix de son directeur France, « Audi est de retour », alors que la marque prépare activement son arrivée en Formule 1 en 2026 – une première pour Audi dans le championnat- année où l’électrification prendra une part encore plus importante dans les monoplaces.
C’est une véritable compétition à laquelle nous avons participé, puisque la course était labélisée FFSA et soumise aux réglementations officielles. Les règles étaient bien claires, avec une vitesse maximale de 45 Km/h dans les stands, une surveillance par les commissaires des limites de la piste, des temps minimaux d’arrêts au stand à respecter, comme en Endurance, ainsi que toute la signalisation et le régime des drapeaux en vigueur. Pour l’occasion, leblogauto.com faisait équipe avec des confrères de GQ, Mobiwisy et La Revue automobile, au volant d’une E-Tron GT frappée du numéro 33. Pas celui de Max Verstappen, mais plutôt une référence à René Rast, qui fut champion DTM en 2017 sur une RS5 frappée de ce numéro. Les voitures avaient toutes en effet un numéro de course qui renvoyait à des voitures et des pilotes ayant marqué l’histoire d’Audi Sport, en Endurance, en Rallye ou au Mans.
L’organisation n’a pas fait les choses à moitié, en plus de son excellent accueil : combinaisons et équipement de course Audi, box décorés avec les pancartes des équipages, nom des pilotes sur la vitre de custode, le tout immortalisé par des photographes, vidéastes et dronistes : tout était là pour s’immerger dans une atmosphère de course et se pendre au jeu, tout en se faisant plaisir.
Jeudi : prise en mains et stratégie
La première journée a bien entendu été dévolue à la prise en main de la voiture, à la (re)découverte de la piste et déjà à l’élaboration de stratégies de conduite. En effet, la philosophie de la course n’était pas ici de performer au sens pur de la course automobile, donc d’être le plus rapide intrinsèquement et d’aller « à fond », mais de trouver un bon rythme de régularité et de bien gérer la consommation de batterie pendant son relais, avec cette perspective : réaliser la plus longue distance sur 3 heures de compétition. Régularité, écoconduite et efficience du pilotage, tout en recherchant le performance chrono optimale, voilà le cocktail particulier de cet exercice.
Basée sur sa cousine Porsche Taycan, L’E-tron GT RS Quattro était donc notre bolide. Pour rappel, l’E-Tron est équipée de deux moteurs synchrones à aimant permanent, un sur chaque essieu, permettant d’obtenir quatre roues motrices. Le moteur arrière est accouplé à une boite de vitesses à deux rapports. Elle bénéficie d’un overboost qui fait grimper ponctuellement la puissance de 476 ch à 530 ch sur la version standard, et de 598 ch à 646 ch sur la version RS, alors que les couples sont respectivement de 640 et 800 Nm. La capacité de la batterie est de 93,4 kWh en brut et 83,7 kWh en net.
Nous avons évolué sur le tracé « court » de 3,8 kilomètres, qui correspond peu ou prou à celui qui était utilisé lors du grand prix de France de F1 entre 1986 et 1990. De quoi néanmoins profiter d’une portion de la ligne droite du Mistral mais surtout de l’enchaînement majeur du circuit, à savoir la courbe de Signes et le double droit du Beausset et sa trajectoire si particulière.
La prise en main a été facile. L’Audi Vitual Cockpit est très bien pensé pour avoir sous les yeux (et en affichage tête haute) toutes les informations nécessaires, de même que la position de conduite qui rappelle de suite la sportivité du véhicule. La réponse est immédiate et la direction offre un très bon feeling. On ressent très bien les appuis, les transferts de masse ou encore les passages sur les vibreurs. Bien campée sur ses grosses roues et avec une largeur de 1,96 mètre, l’E-Tron GT met de suite en confiance et incite à attaquer. Outre l’apprentissage des trajectoires, l’objectif de ce roulage est de repérer les endroits les plus propices pour la roue libre et la régénération, de trouver la vitesse limite dans les courbes et de bien gérer les phases de réaccélération, en prenant garde d’être trop brusque. Néanmoins, une réaccélération franche pour remonter au cap des 130 m/h est plus efficiente qu’une accélération faible et très progressive.
Lift and coast
L’idée est également de se caler sur un temps au tour de 2’10, duquel il faut s’approcher, car ce sera l’objectif de la Superpole. Certes, on ne peut cacher une part de frustration quand on doit plafonner à 130-135 Km/h dans la ligne droite du Mistral (mais bien entendu des accélérations sont permises pour doubler un concurrent) mais ça fait partie du jeu. Rapidement, un déroulé s’établit : juste après le passage de la ligne de départ, à environ 130 Km/h, commencer à freiner légèrement pour faire de la régénération (qui peut aussi s’activer par des palettes), afin de virer au 1er tournant vers 60-65 Km/h, ne pas hésiter à mordre sur les vibreurs, puis, à la sortie du S de l’école, que l’on passe allègrement à 90/95, monter rapidement à 130, stabiliser puis lâcher et se mettre en roue libre, idéalement à l’entame de la courbe de signes, peut-être un poil avant (vers la passerelle), afin de bien prendre la courbe rapide puis d’arriver dans l’entrée du Beausset à environ 110 Km/h. Le « lift and coast » (qui se pratique aussi bien en F1 qu’en WEC) est ici bien sûr très prononcé, mais joue un rôle majeur dans la gestion de la charge.
C’est en roulant enfin que l’on se rend compte que le circuit a bien plus de dénivelé qu’il n’en a l’air (surtout depuis un écran de télé, car en bord de piste, on le constate déjà bien plus), mais heureusement aussi que des plots ont été disposés pour indiquer les points de repère de « lift » et de braquage, car le circuit n’est pas évident de ce côté-là (même si on le connaît bien). Le Beausset se prend bien à 110 voire 115 Km/h – ça crisse bien, on sent les appuis – le point de corde est ici vital pour bien ressortir en enroulant sans perdre trop de vitesse. L’épingle suivante à gauche s’aborde par un enroulé de l’extérieur puis en plongeant tardivement. Après une légère relance dans le segment de raccordement, on arrive sur le gauche de la Tour, où se situe aussi l’entrée des stands, peut-être le virage le plus délicat de premier abord, avec un petit frein qui s’amorce en appui avant de piquer sur l’épingle du Pont.
Sur cette phase d’essais de 3 heures, chaque pilote a pu tourner à trois reprises pour des sessions de 3-4 tours lancés, deux fois avec l’instructeur à bord, puis une fois seul. Les temps s’améliorent, passant de 2’20 au début, à 2’11/’212, pour finir vers 2’07/2’08 en phase solo, l’absence de l’instructeur incitant sans doute à appuyer un peu plus (et oui !)), même si la conso s’en ressent évidemment.
Après un débriefing, qui a permis de faire le point sur le rythme, le pilotage et la consommation, le temps était venu d’établir l’ordre des relais et surtout de designer un collègue pour la superpole. Après un chifoumi qui restera dans les annales, c’est notre confrère Driss de GQ qui a été désigné. Vers 21h, à la nuit tombée, les pilotes ont donc dû s’élancer pour réaliser deux tours consécutifs, avec comme objectif de réaliser une moyenne de 2’10. Aller trop lentement ou trop vite est donc pénalisé, puisque l’ordre de départ de la grille – qui n’avait pas vraiment d’incidence pour la course – tient compte non pas du temps le plus rapide mais de celui qui s’approche le plus des 2’10.
Une équipe Canal + était présente, composée notamment de Franck Montagny, qui s’est chargé de faire la superpole…mais il n’était pas question pour lui de faire du lift and coast et de la régu, non. L’ancien pilote de F1 a fait parler la pourdre, tel un joyeux trublion qui s’en est donné à cœur joie, puisqu’il a claqué un superbe 1’35…synonyme de dernière place sur la grille, évidemment ! Certains équipages ont vraiment bien joué, s’approchant à moins d’un dixième de la marque. Pour nous, ça été moins bon, avec des tours un peu trop lents et finalement une 19e place sur la grille. La communication aurait sans doute pu être meilleure pour renseigner le pilote en temps réel sur son rythme…
Dimanche : une course sous la pluie !
Lever matinal pour être à 8h sur le circuit, avec une invitée de taille : la pluie ! Oui, voilà de quoi rebattre les cartes, car les repères de vitesse pris hier sont remis en question et les conditions d’adhérence ne sont plus les mêmes ! Une pluie, certes pas torrentielle, mais suffisamment forte pour détremper la piste, même si le circuit dispose d’une bonne évacuation d’eau. Il va falloir réveiller les « regenmeister » qui sommeillent en nous !
Un briefing officiel réunit tous les pilotes, avec deux invités de marque : d’abord l’immense Hugues de Chaunac, fondateur du monument du sport automobile national Oreca (qui, on le rappelle, outre les programmes prototypes, est chargé par Ferrari actuellement d’assembler les 296 GT3), dont la branche Oreca Events était partenaire sur ce Audi Experience, mais aussi la présence de Rinaldo Capello, triple vainqueur des 24 heures du Mans avec Audi, et qui officiait ici en tant que pilote de la Safety-Car et aussi pilote de démonstration de la S1 Hoonitron, la supercar électrique de drift du regretté Ken Block qui était exposée dans le paddock et a fait crâmer la gomme dans la pitlane !
Le briefing a permis de rappeler les règles de bases sur la signalisation, les procédures de départ et d’arrivée, les précautions à prendre sur les dépassements ainsi que le système de pénalité. Outre les sanctions classiques (drive through pour vitesse excessive dans les stands, stop and go pour comportement antisportif, etc.), des pénalités propres à la course d’endurance électrique Audi étaient applicables, avec des temps forfaitaires conséquents en cas de besoin de recharge (puisque l’on est censé tenir 3h sur une seule charge), ou en cas de changement de consommables (freins et pneus), ce qui était ici peu probable vu le rythme peu soutenu qu’il fallait adopter.
Course. Pas de départ groupé en peloton (ça se comprend, nous ne sommes pas habitués ni des pros), mais des départs échelonnés de 5 en 5 secondes, avec un chronomètre qui se déclenche pour tous au passage de la ligne, avec les 3 heures à tenir. Le premier relais effectué par Driss (le pilote de la superpole prenait aussi le départ) était le plus délicat, puisqu’il allait découvrir les nouvelles conditions de piste.
Notre rythme sur les premiers relais était assez moyen, et un feedback étrange fut partagé par mes collègues : la voiture décélérait plus que d’habitude dans Signe / Le Beausset, obligeant alors à remettre un petit coup de gaz pas très efficient. C’est au bout seulement de la 2e tranche de relais que l’on se rend compte alors qu’un cran de régénération était enclenché sur la voiture, d’où une « roue libre » qui ne l’était pas tant que ça. Une fois le petit couac repéré, les sensations sont davantage revenues. La pluie s’est calmée par la suite, mais elle revenait par intermittence. J’étais personnellement le 4e à passer (et donc le dernier sur les 3h). C’est donc au bout de 45’ de course à peu près que vient mon tour de prendre le volant.
Gérer l’adhérence précaire et la batterie
Immédiatement, l’idée est de voir à quelle vitesse peuvent se prendre sous la pluie les trois virages les plus « particuliers », à savoir Beausset, l’épingle et la tour. Les marques prises hier sur le sec ne sont plus valables. On se repère aussi avec les traces faites par les autres passages, et il faut aussi s’adapter au trafic, avec des voitures plus lentes et d’autres un poil plus rapide derrière, sans oublier que tous n’ont pas les mêmes repères ni les mêmes approches. Certains par exemple freinaient à l’entrée du Beausset, ou alors d’autres prenait des trajectoires plus par l’intérieur mais ressortaient moins bien. Il y avait aussi parfois quelques comportements « étranges », avec du « on/off » sans doute pas très efficient. Le mot « chaleur » est très excessif, mais on a eu droit à deux petites raquettes, notamment dans le Beausset où un passage à 99-100 Km/h était un poil excessif sur piste humide, nous valant donc un bon petit coup d’ESP. Le tour suivant, 93-94 Km/h, c’était très bien ! Là encore, la E-Tron GT ne réserve pas de mauvaises surprises.
Vers la mi-course, notre conso de batterie était un poil trop élevée par rapport au tableau de marche, et un rythme oscillant autour des 2’20 a permis peu à peu de récupérer. Il fallait rester dans une fourchette de 31-32 kW/h de consommation, et doser l’accélération en ne dépassant pas 50% de charge. C’est surtout en début de course que la conso a été trop forte, à cause de cette régénération enclenchée qui obligeait à remettre un peu d’accélération dans certains passages où normalement nous passions en roue libre.
Dans les 25 dernières minutes de course, c’était le « money time », et on a vu logiquement le rythme de plusieurs concurrents qui commençait à baisser alors que les charges de batterie allaient bientôt n’indiquer plus qu’un seul chiffre ! Est arrivé alors l’ultime relais, le mien, un poil plus long, car je devais effectuer la fin de course et le tour de rentrée aux stands, soit environ 20 minutes et 7/8 tours. J’ai récupéré la E-Tron avec 10% de charge et j’ai terminé avec 1%. Sur les deux dernières boucles, j’ai ralenti pour sécuriser, tournant en 2’35 environ, alors que certains étaient vraiment arrêtés, roulant en 3’30 ! Néanmoins, le temps perdu au début ne s’est pas totalement récupéré.
Au final, après 64 tours parcourus, nous terminons 18e sur 21 voitures engagées, à 8 secondes seulement de la 17e place, et à environ 1 tour et demi des vainqueurs. Cela représente environ 264 kilomètres parcourus, sans doute 270 avec la réserve, sur une charge, et sans faire les fous. Après coup, certains équipages ont apparemment réussi à faire le dernier tour et la décélération sur quasiment 0%. Rentré au stand avec 1%, j’aurais donc pu au moins faire le dernier tour à un rythme assez soutenu, et peut-être gratter 1 place. Là encore, j’ai joué la sécurité et le team-manager ne m’a pas incité à le faire. D’autres ont sans doute pris un peu plus de risques et cela a payé. Au passage, félicitations à nos voisins Team 8, parmi lesquels figurait Clémence de Bernis, fondatrice du média les enjoliveuses qui apporte un regard différent, l’automobile vue par les femmes. Après avoir signé la 2e performance de la superpole, elle fait partie des gagnants du classement Media.
Bilan : on remet ça quand ?
Bref, en dépit d’un peu de frustration sur la course, car après coup on se dit que ceci ou cela aurait pu être mieux réalisé, l’expérience fut vraiment enrichissante et captivante, avec une immersion dans des conditions de compétition uniques. Certes, l’absence de son moteur demeure déroutante pour qui aime la course automobile, mais finalement on se prend aussi au jeu sur d’autres aspects du pilotage, au volant d’une GT très aboutie et qui donne de belles sensations. Une seule envie : recommencer ! Et j’ai enfin roulé sur le Castellet !
Note : les photos non signées leblogauto sont le fait de Laurent Gayral et Morgan Mathurin