Rétro 30 ans déjà : Adelaïde 1993, le podium de la réconciliation

La fin d’une époque

Adélaïde, 7 novembre 1993. Après une course dominée de bout en bout, Ayrton Senna franchit la ligne en vainqueur sur sa McLaren-Ford, remportant son 41e succès en Grand Prix. Personne ne s’en doute évidemment, mais il s’agit de sa dernière victoire, et même de son dernier podium. Une page de l’Histoire de la F1 est en train de se refermer, et une terrible tragédie en ouvrira une autre quelques mois plus tard.

Derrière le brésilien, Alain Prost termine 2e de son 199e et ultime Grand Prix. A Estoril, quelques semaines plus tôt, le professeur avait annoncé sa retraite avant de décrocher un 4ème titre mondial avec Williams-Renault. Revenu en 1993 après une année sabbatique forcée, le « Professeur » avait réussi son pari et enfin triomphé avec Renault, rattrapant une histoire qui s’était achevée plus amèrement en 1983.

Duel toxique

Ayrton Senna et Alain Prost se retrouvent sur un podium. Une situation qu’ils ont vécu à… 41 reprises – coïncidence des chiffres- mais qui s’était souvent traduite par un froid glacial. La cohabitation houleuse chez McLaren en 1988 et 1989 entre les deux champions s’était suivie d’un duel à couteaux tirés en 1990, Prost étant parti chez Ferrari, qui s’était terminé dans le gravier du premier virage de Suzuka, Senna ayant décidé, en fonçant délibérément sur Prost, de se venger de l’accrochage de 1989 qui lui avait valu ensuite une disqualification et l’opprobre de la FIA.

En 1992, en signant chez Williams avec comme condition de ne pas faire à nouveau équipe avec Senna, Prost s’était attiré les foudres du brésilien qui avait tancé sa « lâcheté ». En 1993, la tension était repartie de plus belle une fois les deux coqs réunis à nouveau en piste. En début de saison, Prost avait eu besoin de temps pour apprivoiser la Williams, pointue à piloter, et Senna, à la faveur de circonstances de courses favorables et d’une McLaren bien née, lui avait tenu la dragée haute, menant même le championnat en début de saison suite à des victoires à Monaco, au Brésil et à Donington, où, non content  d’avoir survolé la course sous la pluie, il avait malicieusement humilié le Français en conférence de presse, en lui proposant, suite aux complaintes de Prost sur sa monture, de les échanger.

Un podium pour l’Histoire

A Adélaïde, les coulisses de l’avant podium sont filmées : Senna sort de sa McLaren, chaleureusement félicité par Ron Dennis. Après 6 saisons d’anthologie, le brésilien achevait son aventure avec McLaren pour prendre la place de Prost chez Williams en 1994. Puis vient le tour de Prost de garer sa Williams et de sortir de sa voiture. Vont-ils faire un geste ? A Suzuka, lieu symbolique de leur rivalité exacerbée Prost avait attendu, en vain, un signe. Le podium du grand prix du Japon, gagné par Senna devant Prost, avait été d’une froideur sibérienne.

Les deux hommes s’affairent chacun de leur côté puis soudain, alors que les pilotes sont conviés à monter sur le podium, une poignée de main fugace entre Senna et Prost, quelques tapes sur l’épaule. Puis, sur le podium, après les hymnes, le brésilien tire la manche du français pour l’inviter à le rejoindre sur la plus haute marche, devant un public en transe. Le brésilien semble profondément ému alors que le Français tire sa révérence. Lors de la conférence de presse, les deux hommes se saluèrent respectivement. Prost insista sur la nécessité de retenir les bons côtés, les moments glorieux de leur rivalité. Senna avait du mal à contenir son émotion : avec le départ de Prost, c’est aussi une part de lui-même, de sa vie, de sa carrière, qui s’en allait. Senna encaissait mal la décision de son « meilleur ennemi », tant il s’était construit à travers l’antagonisme avec son rival de toujours. Il demanda encore à Prost le soir du Grand Prix si sa décision était irréfutable. Le brésilien pouvait en tous cas envisager l’avenir avec enthousiasme, lui qui allait enfin avoir entre les mains la voiture idéale. Et puis, Tina Turner ne l’avait-elle pas fait monter sur scène de son concert donné à Adelaïde le soir du grand prix, pour partager son tube « simply the best » ?

I miss you Alain

Après les années de guerre, après l’intensité d’une rivalité où se mêlaient haine, crainte et admiration réciproque, l’ultime confrontation se soldait par une superbe réconciliation. Une image forte restée dans les annales. Ce podium marquait le début d’une nouvelle relation, apaisée, entre les deux champions qui s’affronteront encore, amicalement, mais pas pour faire semblant, aux Masters Kart de Bercy. Prost et Senna deviennent plus proches. Ils s’appellent souvent, discutent de l’avenir de la F1, de projets divers et variés. Le français devient consultant pour TF1, alors que Senna a pris sa place chez Williams pour, on le pense, une saison triomphale. A Imola, Senna, qui enregistre des commentaires « on board » pour TF1 , commence par saluer Prost et lance un saisissant « i miss you Alain « . Deux jours plus tard, c’est la mort qui attend Senna au tournant du virage de Tamburello, le funeste 1er mai 1994.

 

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