Insolite Citroën RE2 : un hélicoptère aux chevrons

Fin 1934, André Citroën doit se résoudre à céder son entreprise, fondée en 1919, à ses principaux créanciers. Ce sera le début de l’époque Michelin avec la fiabilisation de la Traction (lancée à la va-vite sous André Citroën) qui relance la marque, puis de la DS et autres mythes automobiles. La famille Michelin place l’un des siens à la tête des chevrons, ce sera Pierre Michelin, deuxième fils d’Edouard et frère d’Etienne (tué dans un accident d’avion en 1932).

Sous son impulsion, puis celle de Pierre-Jules Boulanger choisi par les Michelin pour remplacer Pierre Michelin décédé dans un accident de voiture en 1937. Et Boulanger place sous son aile Pierre Bercot qui sera PDG de Citroën jusqu’en 1970. C’est lui qui lance le projet de diversification et les premières recherches aéronautique. C’est le projet RE1 (ou REcherche 1) avec un autogyre. Contrairement à un hélicoptère qui entraîne les pales, un autogyre utilise la vitesse horizontale pour faire tourner les pales et créer la sustentation. RE1 ne donnera rien.

Au début des années 70, la direction de Citroën est incarnée par François Rollier (de la famille Michelin, cela va sans dire). Lui aussi reste convaincu que l’avenir de Citroën passe par la diversification des véhicules. Il estime que l’automobile ne suffit pas pour l’avenir.

Citroën y met les moyens

Citroën recrute en 1972 l’ingénieur français Charles Marchetti. Si son nom ne vous dit rien, il est le père de plusieurs hélicoptères dont la mythique Alouette II et le Super Frelon. Pour le constructeur automobile, Marchetti doit développer un secteur d’hélicoptères légers. Citroën croit dans ce secteur et pense pouvoir le « révolutionner » avec les méthodes appliquées à l’automobile. Marchetti a « carte blanche » et recrute l’un de ses amis, Theodor Laufer (Allemand). Comme Citroën n’a pas d’expérience ni les compétences en aviation, il faut aller les chercher à l’extérieur.

Marchetti avait fait preuve d’audace pour l’Alouette en se passant du moteur classique à pistons pour passer à la turbine. Il retente le coup de l’audace en intégrant à son hélicoptère Citroën un moteur Wankel. Le Wankel et Citroën, c’est une histoire d’amour et de haine. En 1968 Citroën sort la M35 à moteur rotatif. Ce « prototype » fut un bide technique et la moitié des 500 exemplaires prévus virent le jour. Citroën les rachètera pour les faire disparaître (un peu comme la BX 4TC NDLA).

Mais Citroën persiste et en 1973 sort la GS bi-rotor. C’est donc dans une espèce d’euphorie du rotatif que ce moteur Wankel 170 chevaux est choisi pour l’hélicoptère. Marchetti fait aussi le choix d’un rotor principal tripale à moyeu élastique. Marchetti aligne les innovations comme le rotor élastique (i.e. sans articulation), l’absence d’embrayage, un nombre de pièces réduit comme une transmission sans pallier, etc.

Le reste de ce prototype d’hélicoptère est plutôt « classique ». Bi-place, rotor arrière plus fin quadripale et patins d’atterrissage (même si positionnés très largement de part et d’autre). Pourtant, Marchetti et Laufer avait envisagé une autre innovation au tout début (voir galerie). Le côté Citroën ressort dans l’habitacle avec deux places confortables (et orange) et une surface vitrée importante.

Les avantages du Wankel

Le Wankel est une bonne idée. Techniquement, il offre plus de puissance pour une même cylindrée. Il est compact et donc plus léger par rapport aux moteurs de même puissance. Il ne provoque pas non plus de vibration ce qui, pour l’aviation, est un gros plus. Le prototype sera dénommé RE-2 et passe rapidement à la phase essai. Son premier vol aura lieu à noël 75, le 24 décembre 1975 sur le site d’essais de la Ferté Vidame (Euro-et-Loir à la limite de l’Orne NDLA).

Durant 1976, les essais se poursuivent et Citroën réussit à intéresser l’armée qui cherche un hélicoptère léger. Ce n’est pas un hasard si le prototype est kaki et non blanc, orange et noir comme dans la brochure commerciale. Ce Citroën RE-2 a de bonnes qualités pour l’armée et Marchetti/Laufer ont bien travaillé. Citroën compte sur l’armée, mais aussi le marché civil dont certaines générations d’hélicoptères arrivent en fin de vie.

Le souci de ce RE-2, c’est son moteur birotor. On est après le premier choc pétrolier de 1973 et les moteurs gourmands ne sont plus en odeur de sainteté. Le coup de grâce du RE-2 viendra de l’Armée de Terre. Elle préfère commander son hélicoptère léger à l’Aérospaciale. Il faut dire que l’Aérospaciale remporte tous les contrats (certains de manière…étrange dirons-nous) et le choix du champion français ne faisait guère de doute. Citroën a peut-être servi à faire baisser le prix, mais ne fut jamais un vrai choix à cause du Wankel.

En 1979, le programme est arrêté. Citroën n’a pas vendu un seul exemplaire de son RE-2 et c’est l’un des plus grands bides industriels des chevrons depuis la première génération de Traction (lancée trop tôt elle était bourrée de défauts) en 1934. Le prototype pour une fois n’est pas mis au pilon. L’exemplaire unique, restauré par des passionnés dans les années 90, est désormais au conservatoire Citroën à Aulnay sous Bois.

Un échec industriel au pire moment

Ce RE-2 est un véhicule crucial dans l’histoire de Citroën. Ce n’est pas ce qui a sauvé l’entreprise, mais c’est un des éléments qui a provoqué la vente à Peugeot. Depuis la fin des années 70, Citroën est en pleine restructuration. Les Michelin veulent marier la marque à la FIAT. D’abord il y a une phase de fiançailles. Mais cela ne crée pas assez d’économies d’échelle ni de synergies entre les deux constructeurs. La vente est alors envisagée en 1974.

L’Etat français met son veto. C’est la deuxième faillite de Citroën 40 ans après la première. L’Etat force Peugeot à venir au secours de Citroën. Le projet hélicoptère fait partie de la dot de la mariée mais sera finalement assez rapidement abandonné après le rachat de 90% du capital en avril 1976.

Reste donc cette aventure insolite de Citroën dans l’aviation, avec un moteur Wankel bi-rotor. Marchetti avait quitté Sud-Aviation (fusion des SNCASE et SNCASO  (*)) ayant de profonds désaccords avec la direction de l’époque. Sud-Aviation, c’est une partie (avec Nord-Aviation) de la SNIAS (Société nationale industrielle aérospatiale). C’est cette Aérospatiale qui coupera l’herbe sous le pied du RE2 avec de l’Armée.

(*) Société nationale des constructions aéronautiques du sud-est et Société nationale des constructions aéronautiques du sud-ouest

Références : Brochure Citroën et Citroën Origins

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