Rétro centenaire du Mans : 1933, Nuvolari est venu, a vu et a vaincu

Alfa Romeo en force !

En 1933, les 24 heures du Mans en sont à leur 11e édition. Depuis l’année précédente, le circuit a profondément changé avec la disparition du tronçon ouest qui menait à l’épingle de Pontlieue, en raison de l’extension de l’agglomération du Mans et des plaintes des riverains. L’ACO a ainsi acheté un grand terrain pour y aménager la nouvelle section des « esses », qui relie la ligne de départ à celles des Hunaudières, donnant ainsi au circuit sa forme quasi définitive. Pour l’édition 1933, des améliorations de sécurité ont été apportées avec l’installation de bandes réfléchissantes aux abords des virages pour faciliter la visibilité en conduite nocturne.

Après le creux de 1932 qui n’avait vu que 26 concurrents, l’édition 1933 voit s’aligner 41 voitures, mais essentiellement privés. L‘industrie automobile est encore frappée parles conséquences de la crise financière mondiale qui frappe l’économie en ce début des années 30, si bien que beaucoup de constructeurs ont stoppé leurs programmes officiels. C’est le cas d’Alfa Romeo, suite à la décision du nouveau directeur nommé par l’état, Ugo Gobbato. Mais le Biscione reste de loin le mieux représenté et le mieux armé, avec pas moins de 9 équipages, où figurent les meilleurs pilotes du moment : Luigi Chinetti, vainqueur en 1932, fait équipe avec un émigré russe, Philippe de Gunzberg, Louis Chiron est associé à Franco Cortese (qui remplace au pied levé Carraciola, accidenté) tandis que l’autre vainqueur de 1932, Raymond Sommer, fait équipe avec un débutant au Mans, mais pas des moindres : un certain Tazio Nuvolari, champion d’Europe en titre des circuits et qui vient de remporter la Targa Florio sur une 8C 2300 Monza. L’association de l’endurant français et du « campionissimo » italien est prometteuse ! Au volant de leurs Alfa Romeo 8C 2300 ultra préparées et bien plus performantes que la concurrence, représentée par une floppée de concurrents britanniques et quelques Bugatti, on voit mal comment la victoire pourrait échapper à la firme milanaise.

Festival de Sommer et Nuvolari

Le début de course est marqué par le festival de Raymond Sommer, qui enchaîne les records du tour et prend la tête. Il termine son premier relais après 2h et demie et passe le volant à Nuvolari qui prolonge cet effort, si bien qu’à 19 heures déjà, le duo compte 4 minutes d’avance. Au cours de la soirée, le speaker annonce aux spectateurs que Sommer et Nuvolari avaient parcouru les 500 premiers kilomètres plus vite que Giuseppe Campari l’avait fait lors du Grand Prix de France la semaine précédente à Montlhéry. Les positions se figent et jusqu’à la fin de la nuit, la course s’apparente d’ailleurs à une certaine procession. Nuvolari ne voulant pas rouler de nuit, c’est Sommer qui s’est chargé de poursuivre la chevauchée nocturne, comptant alors deux tours d’avance sur leur premier poursuivant à la venue de l’aube. Si l’italien est le sprinter, celui qui cravache sans se ménager, Sommer est l’homme de la régularité et un dur à cuire. En 1932, il avait tenu le volant pendant 20 heures !

Alors que la course, jusque-là, était assez lénifiante, le dimanche offrit alors un sacré suspense ! Vers 4h30, alors qu’il vient de reprendre le volant, Nuvolari entre aux stands précipitamment avec un garde-boue cassé et une fuite d’essence ! Le problème est d’autant plus délicat que le règlement impose un nombre de tours minimum entre deux arrêts ravitaillement. Le quart d’heure nécessaire pour réparer leur a coûté deux tours et la tête de la course, récupérée par les 8C de Chiron/Cortese et Chinetti/Gunzberg. La matinée est également marquée par l’accident d’Odette Siko, surprise à l’approche rapide d’Indianapolis par une portion humide. En quittant la route, elle a été projetée alors que la voiture s’écrasait violemment sur les arbres. La voiture a roulé et a pris feu. Atterrissant sur un policier, elle regagna son stand à pied, avant d’être transportée à l’hôpital sous observation, avec un poignet cassé et des brûlures mineures.

Du chewing-gum anti-fuites !

Nuvolari, reparti évidemment le couteau entre les dents, mène un rythme effréné. À 8 heures du matin, il avait réduit l’avance de Cortese à 3 minutes et demie et le dépasse dans la ligne droite des stands avant 9 heures du matin, alors que les leaders avaient bouclé 185 tours. Sommer a pris le relais, poursuivant la charge et battant à nouveau le record du tour. À 10 heures du matin, Cortese sort de la piste et abandonne.

Avec une avance de deux tours sur Chinetti/Gunzberg, Sommer, fatigué par ses relais nocturnes, repasse le volant à Nuvolari vers midi mais du temps est encore perdu pour refixer le garde-boue cassé. On déplore aussi un support de radiateur fissuré, un échappement fendu et des freins usés. La fuite du réservoir de carburant se poursuit, obligeant l’italien à effectuer un nouvel arrêt d’urgence pour le réparer. Sommer a une idée : la réparation ne pouvant se faire qu’avec du matériel embarqué comme le stipule le règlement, les deux pilotes tour à tour partent les poches remplies de gomme à mâcher à chaque ravitaillement et, après de pénibles mastications, pourront ainsi faire sceller la fuite… avec du chewing-gum !

Ces retards ont permis à Gunzberg de reprendre la tête. Heureusement, le réservoir de carburant surdimensionné transportait suffisamment de carburant pour parcourir les 24 tours minimums entre les pleins, malgré la fuite. Nuvolari est parti à sa poursuite et a rapidement dépassé le pilote amateur. Il a fait son dernier ravitaillement en carburant à 14h45, avec une dernière réparation, ce qui a permis à Chinetti de repasser en tête à huit minutes de la fin.

Nuvolari en héros, mais Sommer fut grand aussi

Dans le dernier tour, la tête change de mains à trois reprises : Nuvolari dépasse Chinetti dans la ligne droite des Hunaudières, mais de meilleurs freins permettent à ce dernier de reprendre son bien au virage de Mulsanne. Finalement, sous la forte pression, Chinetti commet une erreur, ratant un changement de vitesse à Arnage et s’écartant. Nuvolari a saisi sa chance quand le duo rattrape des retardataires, roulant lentement pour éviter de refaire un tour. En sortant de la Maison Blanche, voyant passer Nuvolari, un retardataire s’est écarté mais a coupé la trajectoire de Chinetti, qui a dû monter sur les freins pour éviter le crash.  C’est tout ce qu’il fallait à Nuvolari pour remporter la victoire avec la plus petite des marges – seulement 10 secondes, ou à peine 400 mètres, après 24 heures de course.

Bien que Sommer ait conduit l’essentiel de la course (15 heures en tout), c’est Nuvolari qui a fait la une des journaux. Sa popularité et son final ont fait le reste ! Tous les records ont été battus lors de cette 11e édition. Le record de distance globale a été prolongé de plus de 120 km. Les deux premières voitures ont été les premières à atteindre en moyenne plus de 130 km/h en course. La première non-Alfa, 4e, termine à 42 tours ! Raymond Sommer reviendra au Mans, mais sans plus jamais voir l’arrivée. Quant à Nuvolari, une blessure l’empêchera de défendre son titre en 1934, mais il ne remettra jamais les pieds au Mans, se consacrant aux courses de monoplaces.

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