Rétro F1 30 ans déjà : Donington 1993, le « Magic Lap » de Senna

Le 3ème grand prix de la saison 1993 voit la résurrection du grand prix d’Europe, qui se tient sur le circuit champêtre de Donington, en plein cœur des Midlands, une piste qui est la propriété du richissime Tom Weathcroft, un proche de Bernie Ecclestone. Comme souvent, cette épreuve « bis » en Angleterre est aussi un moyen pour « Mister E » de mettre la pression sur Silverstone et l’organisateur du GP d’Angleterre, le BDRC, avec lequel le « grand argentier » du business F1  est en mauvais termes, mais Donington néanmoins n’offre pas les standards de Silverstone et la météo calamiteuse du weekend n’aidera pas au succès de la course, qui n’attirera pas beaucoup de spectateurs.

Prost en ballotage ?

D’un point de vue sportif, le début de saison est inattendu. Après une année sabbatique en 1992, provoquée par son éviction brutale de Ferrari fin 1991, Alain Prost est arrivé chez Williams en remplacement de Nigel Mansell, parti en CART aux USA. Attendu au tournant, grand favori du championnat, Alain Prost connaît pourtant un début de saison mitigé. Disposant sur le papier de la meilleure monoplace du plateau, la Williams-Renault, le français n’est pas aussi dominateur que prévu.

Certes, il a remporté la manche d’ouverture en Afrique du Sud mais il vient d’abandonner sur sortie de piste lors du grand prix du Brésil, une course qui a vu triompher son grand rival Ayrton Senna qui en a profité pour prendre la tête du championnat. Le brésilien savoure, d’autant que le véto de Prost à une reformation éventuelle du tandem avec le brésilien chez Williams l’a ulcéré, lui qui a cherché par tous les moyens à être recruté par Williams pour gagner, quitte même à piloter gratuitement ! Prost, déjà la cible de pas mal de critiques, notamment dans les médias français, est donc sous pression vu les attentes placées en lui.

Senna n’en demande pas tant, alors qu’il n’a pas signé de contrat annuel avec McLaren ! Après le départ de Honda fin 1992, McLaren s’est retrouvé en difficulté, incapable d’obtenir le V10 Renault tant convoité. L’écurie de Ron Dennis a du se rabattre sur un V8 Ford client, qui n’est pas aussi performant que la version usine fournie à Benetton. Ayant échoué à partir chez Williams, Senna a rempilé avec Woking mais il ne s’engage que course après course, moyennant une solide rétribution à la pige. Néanmoins, au volant d’une McLaren MP4/8 bien née, le brésilien semble parti pour défier le français et sa Williams !

Un tour d’anthologie

Samedi, le temps est au sec à Donington et  Prost signe sans difficulté sa troisième pole position d’affilée devat son équipier Damon Hill. Michael Schumacher parvient à hisser sa  Benetton-Ford devant les McLaren de Senna et Andretti. Le dimanche de la course, une averse tombe sur Donington en début d’après-midi et la piste est très humide au moment du départ. Tous les pilotes de tête partent en pneus rainurés. Pour compenser leur déficit de performance par rapport aux Williams, les McLaren sont pourvues de gros ailerons afin de bénéficier d’un appui maximal sur le mouillé.

Au départ, Prost et Hill gardent les commandes tandis que l’étonnant Karl Wendlinger, sur la nouvelle Sauber, s’empare de la troisième place. Schumacher suit après avoir tassé Senna vers la gauche. Le Brésilien n’est donc que cinquième au premier virage mais il active rapidement son mode « Magic ». Senna dépasse Schumacher dans les Craner Curves puis déborde Wendlinger par l’extérieur et s’impose à l’ancienne épingle. Le Brésilien, déchaîné, se place aussitôt dans le sillage d’un Damon Hill très prudent. A McLean’s, Senna se jette à l’intérieur et déborde Hill puis se lance alors à la poursuite de Prost. Il prend l’aspiration de la Williams et la dépasse à Melbourne Hairpin, le français ayant beaucoup ouvert sa trajectoire et ne prenant pas de risques inconsidérés sous la pluie, comme souvent. Senna a gagné cinq places en un seul tour ! A l’issue de cette premiere boucle, Senna mène devant Prost, Hill, Barrichello, Alesi et Schumacher. Au 3ème tour, Senna a déjà fait grimper son avance sur Prost grimpe à six secondes puis l’écart se stabilise.

La première moitié de la course reste indécise. Les conditions météo sont très changeantes. Au 35e tour, Senna, qui est plus à l’aise, rencontre néanmoins des soucis de fixation d’écrou alors qu’il passe par les stands pour reprendre des pneus slicks. Il y laisse 20 secondes, ce qui permet à Prost de reprendre les commandes.

 

Naufrage de Williams, Senna surnage

C’est quelques boucles plus tard que la course bascule. La pluie refait son apparition. Aussitôt, Prost et Hill foncent aux stands et rechaussent des pluies, alors que Senna reste en piste. Bonne pioche pour le brésilien, car la pluie ne touche qu’une partie du circuit, si bien que les pilotes restés en slicks sont même avantagés ! Au 48e tour, alors qu’il lâche 2 secondes par tour, Prost repasse aux stands pour reprendre des slicks…mais il cale ! Il faut 40 secondes pour relancer la Williams, et quand le français ressort des stands, le voici désormais à un tour de retard de Senna !

Le brésilien maîtrise la course, sur une piste alternant le sec et le gras mouillé, ce qui convient à un équilibriste comme lui. Une petite frayeur néanmoins survient au 57e tour quand il entre aux stands pour changer de pneus mais que ses mécaniciens ne sont pas prêts ! Senna ressort des stands sans s’être arrêté. Comme l’allée des stands est un raccourci par rapport à la piste, cet incident lui permet même de signer le meilleur tour de la course ! En fin de course, la pluie refait son apparition. Prost effectue un 7e arrêt (!) et navigue en 4e position. Il ne devra qu’à l’abandon cruel et tardif du jeune débutant Rubens Barrichello, lui aussi éblouissant avec sa Jordan dans ces conditions compliquées, sa présence sur le podium final en 3ème position.

Le duel Prost-Senna reprend de plus belle

Senna l’emporte et fait une excellente opération. Le voici leader du championnat avec 26 points contre 14 à Prost. Le français boit le calice jusqu’à la lie. En conférence de presse, alors qu’il s’épanche sur les nombreux problèmes techniques rencontrés, Senna, goguenard, lui lance une pique particulièrement acide : « Si tu n’aimes pas ta voiture, on peut échanger si tu veux ! » Une remarque caustique, quand on sait comment Senna avait fait des mains et des pieds pour essayer de se glisser dans le cockpit de la monoplace anglaise. Le duel Prost-Senna est bien revenu, et de quelle manière ! Pourtant, la saison s’achèvera par la plus belle des reconciliations. Quant à Prost, qui a subi deux gros revers consécutifs, il est également descendu dans les médias français, qu’il s’agisse de la presse spécialisée, ou des fameux Guignols de l’info, qui ne ratent pas l’occasion de faire du champion l’une de leurs nouvelles têtes de turc, geignard et râleur. Certains n’hésitent pas à remettre en question ses capacités, alors que d’autres lui font un énième procès en prudence sous la pluie, des conditions où Prost, marqué à jamais par l’accident de Didier Pironi à Hockeheim en 1982, n’a jamais voulu prendre de risques inconsidérés…

Anecdote marrante : Le fabricant de consoles Sega, sponsor de longue date de Senna, qui avait prêté son nom aux fameux jeux Arton Senna Super Monaco GP sur Master System et Megadrive, avait décidé de se lancer en F1 en 1993, mais en choisissant de sponsoriser Williams et Prost. Sega était aussi le sponsor titre du gp de Donington et apparaissait sur la Williams, la partie de la carrosserie située au niveau des pieds du pilote étant décorée avec la mascotte de la maque japonaise, le fameux hérisson Sonic, ainsi que sur les combinaisons. Ayrton Senna, qui avait voulu se moquer du sponsoring de SEGA avait fait coller sur les pontons de sa McLaren-Ford un sticker d’un hérisson écrasé…

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