Une voiture chargée d’histoire
Après la grande berline Alfa Romeo 1900 sortie en 1950, le Biscione développe une voiture de taille moyenne, qui donne la Giulietta Sprint née en 1954. Voiture majeure dans l’histoire d’Alfa Romeo et dans le succès du Biscione à l’époque du « miracle italien », c’est en quelque sorte une allégorie motorisée de la Dolce Vita. Elle fait aussi entrer Alfa Romeo dans une autre dimension industrielle : alors que 17000 exemplaires de la 1900 sont produits au cours des années 50, la Giulietta est fabriquée à plus de 170.000 exemplaires jusqu’en 1965, dont 24084 Sprint. Mais c’est aussi une voiture majeure dans l’histoire de notre cher hôte et propriétaire, celui qui nous a permis de monter à bord, Laurent Bonnery, vice-président du club Alfa Romeo Cote d’Azur de son état.
Une histoire qui, pour sa part, est née avec le cinéma. « J’étais très jeune, en train de réviser un cours de mathématiques dans ma chambre. Et puis j’entends un énorme bruit en provenance de la télévision. Je me précipite. C’était les choses de la vie, le film de Claude Sautet. Je vois l’accident de Michel Piccoli avec sa Giulietta Sprint, et notamment le rugissement du moteur à la fin de la séquence quand la voiture part en tonneaux. Ce jour-là, je suis tombé doublement amoureux : d’Alfa Romeo et de Romy Schneider ».
Le virus a donc été attrapé via le cinéma, ce qui se comprend quand on se rappelle à quel point Alfa Romeo était une marque omniprésente dans les films de cette époque, des deux côtés des Alpes. Et plus de 40 ans après, le rêve se réalise : Laurent acquiert une Giulietta Sprint de 1962, et la baptise Romy. Elle est unique au monde, puisque sur la partie centrale de la planche de bord trône un portrait de Romy Schneider, une photo tirée du film les choses de la vie justement. Quel bel exemple d’une transposition d’une émotion, puis d’un rêve jusque dans la réalité !
La pionnière du « bialbero »
Présentée au salon de Turin 1954, la Giulietta Sprint marie à la perfection l’élégance du style et une mécanique sportive. Dessinée par Franco Scaglione chez Bertone, elle est célèbre aussi et surtout pour son moteur, le fameux bialbero tout alu, inauguré justement sur ce modèle, avec deux arbres à came en tête, des chambres hémisphériques et 1.3L de cylindrée pour 65ch à 6300 tours par minute. Une puissance qui grimpe à 80 chevaux en 1959 lors du « restylage » avec les clignotants latéraux, tandis qu’elle récupère en 1962, en toute fin de carrière, la boîte 5 vitesses de la Giulia. Néanmoins, notre Romy a eu quelques modifications avec 2 carbus WeberDC au lieu d’un, une pipe d’admission Veloce et culasse retravaillée. On doit ainsi dépasser les 90ch, soit la puissance de la Sprint Veloce. Côté châssis et trains roulants, les roues avant sont indépendantes et reçoivent des amortisseurs et ressorts hélicoïdaux, avec dans ce modèle l’installation d’amortisseurs Koni. A l’arrière, on trouve un pont rigide suspendu de la même manière. L’auto est petite et légère, 880 kilos, soit 100 de moins que le coupé Bertone de la dernière fois.
Sensuelle
Le dessin de Scaglione est sensuel, presque érotique, tout en rondeurs et en galbes. Passer un coup de polish à une Giulietta (clin d’œil à OSS117), c’est des frissons garantis car le toucher est tout autant stimulé que la vue. Compacte, la Sprint est basse avec ses 1.32 mètre, ce qui n’est pas évident pour un grand gabarit. Par contre, une fois dedans, étant donné que nous sommes dans un coupé 2+2, la place pour les jambes est royale. Tout tombe sous la main, la visibilité est excellente, avec comme point de repère les flancs fuselés du capot avant qui permettent de bien placer la voiture en virage. On ne se lasse pas d’apprécier l’harmonie : le trilobo chromé, les petits rétroviseurs ronds, la courbure douce du pavillon, la découpe harmonieuse des surfaces vitrées et de la custode arrière, ainsi que les petits détails qui font la différence comme le petit creux au centre du pare-chocs chromé, qui permet à l’avant de placer le Scudetto, et à l’arrière d’utiliser le système d’ouverture du coffre, dans lequel se trouve d’ailleurs la trappe à carburant.
Tout est dessiné avec élégance, jusqu’au petit prolongement chromé du clignotant latéral et à la forme de la poignée de porte. On retrouve cette forme élancée, avec cette poupe qui plonge vers l’arrière, comme pour signifier que cette Sprint est faite pour fendre l’air et aller de l’avant. Une allure en « goutte d’eau » que l’on retrouvera sur la Giulia GT Bertone. Même le cerclage du logo sur fond noir apposé sur le capot arrière fait écho au grand volant en bakélite du conducteur, une superbe pièce qui trône, presque ostentatoire, au cœur d’un habitacle qui demeure très sobre mais élégant.
A gauche, la clé de contact, signe caractéristique de la sportivité, puis un tableau de bord avec trois beaux compteurs, dont celui du centre qui, en plus du compte-tours, indique la très importante pression d’huile. Après, juste quelques boutons pour l’éclairage des phares sur la console centrale, l’allume-cigare, tandis que l’autoradio est purement décoratif ici. Alors que le frein de stationnement est sous le volant, Le levier de vitesses est incliné, tendu vers son conducteur. Le pédalier est légèrement décalé sur la droite. Excepté le dessus du tableau de bord recouvert en noir, le reste est peint couleur carrosserie, sans habillage particulier. La sellerie est confortable, même s’il n’y a pas de maintient en cas de courbe prise trop sportivement, ce qui permet de solliciter ses abdos. La conduite d’une Giulietta Sprint permet donc de faire du gainage ! La position de conduite est par contre optimale.
De l’énergie à revendre
Les premiers kilomètres se font à vitesse modérée évidemment, le temps que cette belle mécanique se mette en température, notamment celle de l’huile. Une fois que ce processus est réalisé, le bialbero peut enfin parler, surtout au-dessus des 3000/3500 tours. Il n’y a qu’un 1300cc sous le capot, mais avec le poids plume de la Sprint, ce moteur fait montre d’un souffle incroyable. Infatigable ! Le moteur se fait entendre, il est plus rageur, avec un bruit caractéristique « rrrraaaaaa » comme s’il roulait les « r », mais normal, c’est un italien ! Cette petite mécanique est faite pour être sollicitée et après, c’est le comportement routier de la Sprint qui fait sensation. Légère, la Giulietta Sprint fait preuve d’une grande agilité grâce à une direction précise.
Une agilité à toute épreuve
Nous serpentons sur les petites routes sinueuses qui mènent vers Toudon, Ascros et Saint-Antonin, dans l’arrière-pays niçois, entre la vallée du Var et le plateau de Caussols. La Giulietta avale les courbes sans sourciller, avec un freinage sûr (malgré des tambours sur les 4 roues) et une prise de virage rassurante, toujours grâce à son châssis et à sa légèreté. Même avec une entrée de virage soutenue, le comportement est très sain et on peut enrouler sans avoir la sensation qu’elle pourrait surprendre. Polyvalente, voilà ce qui colle le mieux à cette perle. GT confortable pour des road trip au long cours, elle peut se transformer en petite bombe de spéciale de rallye. L’homogénéité de l’ensemble est bluffant, surtout si l’on a bien en tête que nous avons affaire à une voiture dont la conception a 70 ans !
Conclusion
Cette Giulietta Sprint a forgé le succès et l’image d’Alfa Romeo d’après-guerre : sportivité, ligne racée, élégance, sensualité, qualités routières, moteur de légende. Mais surtout, acheter une Alfa, c’était alors acheter un morceau d’Italie, et tout ce que ce pays et sa civilisation véhiculaient en termes de technique, d’art de vivre, d’émotions, de caractère. Bref, les Alfa de cette époque ont une italianité revendiquée et assumée, des « chevaux de feu » qui vous donnent le virus et vous invitent à goûter au fruit défendu, comme l’exprimaient magnifiquement les publicités de l’époque, un « italian way of life » qui ne se résume pas à un volant et quatre roues mais à tout un univers mental, culturel et émotionnel qui entoure cette bella macchina. C’est sans nul doute en exaltant et en exploitant leur patrimoine de la sorte que des marques comme Alfa Romeo pourront, à travers leurs futurs produits, continuer d’exister dans un monde de l’automobile où la technologie, l’IA et l’électrification risquent bien de la standardiser toujours plus.
Sympa
🙂
Magnifique automobile n’est-ce pas ! Toute l’Italie en effet.
Les nuages sont toutefois rapidement venus du nord – de l’Allemagne car BMW a présenté en 1962 sa Neue Klasse dessinée par Michelotti – un Italien donc, et si les performances n’étaient pas comparables, la BMW était autrement plus moderne avec un potentiel d’évolution considérable.
10 ans plus tard la messe est finie pour Alfa Roméo, qui ne pourra pas suivre les puissantes et très qualitatives teutonnes.