Rétro F1-Afrique du Sud 1982 : les pilotes font grève !

super-licence, super piège à c*** ?

Le début des années 80 a été marqué par le violent bras de fer entre la Fédération internationale du sport automobile(FISA), dirigée par Jean-Marie Balestre, et la FOCA (l’association des constructeurs) de Bernie Ecclestone, afin de contrôler la Formule 1. Le conflit a été résolu par la conclusion des Accords Concorde en 1981, qui, en contrepartie d’une autorité absolue de la FISA en matière règlementaire et sportive, donnaient à Ecclestone les « clés » du business florissant de la discipline.  Sitôt ce partage des pouvoirs établi, FISA et FOCA se sont attachés à légiférer de manière plus stricte et à professionnaliser davantage le sport.

Durant l’intersaison 1981-1982, les pilotes sont confrontés à une nouveauté : la super-licence, un sésame attribué par les instances sportives et désormais obligatoire pour prétendre courir en Formule 1. Si la plupart des pilotes qui arrivent à Kyalami pour le grand prix d’Afrique du Sud ont signé sans trop se poser de questions, une fronde est menée par un groupe de réfractaires, avec à leur tête Niki Lauda et Didier Pironi. L’Autrichien, qui fait son retour avec Mclaren après être parti subitement en plein milieu de la saison 1979, et son comparse de révolte ont refusé les clauses de la super-licence et contestent leur margialisation dans les discussions.

Deux articles sont susceptibles de mettre le feu aux poudres : l’article 1 stipule que la super-licence n’est valable qu’une seule année, renouvelable, et qu’elle est conditionnée au fait que le pilote précise la durée de son contrat avec son employeur. L’article 5 stipule pour sa part que les pilotes doivent s’engager « à ne pas faire de tords matériels et moraux au championnat du monde », une formule sibylline bien floue qui peut ouvrir la voie à sanctionner n’importe quoi et n’importe qui.

Si l’article 5 tend sans surprise à les discipliner face à une médiatisation et à des enjeux économiques qui tolèrent de moins en moins les écarts, l’article 1 est clairement une manoeuvre des équipes pour sécuriser davantage leurs contrats et réduire les marges de manoeuvre des pilotes. Les équipes veulent les empêcher de dénoncer facilement leurs contrats, alors que certains font de plus en plus appel à des agents spécialisés, comme Didier Pironi, qui est sous contrat avec la puissante agence McCormack. Notre Alain Prost national est indirectement lié à cette nouveauté, car son départ chez Renault en 1981, alors qu’il était encore contractuellement lié à Mclaren, avait créé des remous parmi les teams managers et motivé une réponse legislative.

Tous en bus !

Le mercredi précédant la course, Didier Pironi, qui préside le GPDA (l’association des pilotes) est mandaté par ses pairs pour présenter leurs revendications à la commission F1 de la FISA, mais il est éconduit sans autre forme de procès par Ecclestone et Balestre qui n’entendent rien céder. En conséquence, les pilotes décident d’engager le bras de fer, en mode syndicat. Le jeudi matin, tous les pilotes, sauf Jochen Mass qui était injoignable, prennent un bus et quittent Kyalami en direction d’un hôtel de Johannesburg, à 20 kilomètres de là, pour se réunir loin des pressions que peuvent exercer les instances dirigeantes et leurs patrons d’écurie !

A l’issue de cette journée, Pironi retourne une seconde fois pour entamer des discussions mais sans plus de succès. Pis, le duo Balestre-Ecclestone, pour une fois à l’unisson, sort la sulfateuse: en tant que patron de Brabham, « Mister E » licencie Piquet et Patrèse, tandis que Balestre annonce que tous les pilotes réfractaires seront bannis à vie et remplacés par des 30 nouveaux pilotes, quitte à décaler le grand prix. Balestre n’en est plus à une galéjade près… Les autres patrons d’équipe mettent aussi la pression sur leurs pilotes. Frank Williams décide d’infliger 10000 dollars d’amende à Rosberg et Reutemann. On reconnaît bien là le paternalisme bienveillant de ce vénérable Frank !

La nuit leur appartient

Malgré tout, les pilotes tiennent bon. Hors de question de retourner comme si de rien n’était au circuit. Jochen Mass a donc été le seul à limer la piste pour les premiers essais officiels…Grand seigneur, Balestre est prêt à pardonner s’ils se présentent en bonne et due forme sur le circuit au petit matin le lendemain, mais rien n’y fait. Les rebelles décident de passer la nuit dans cet hôtel et de se barricader dans la salle de réception,  où une joyeuse farandole s’organise. Villeneuve est au piano. Giacomelli improvise des sketchs. Slim Borgudd, qui pilote pour Tyrrell, est un bon musicien, ami de Björn Ulvaeus, un des fondateurs d’ABBA et qui a eu l’occasion de faire quelques enregistrements avec le groupe suédois. On amène des matelats, et plusieurs pilotes campent ensemble. Reutemann et Piquet se retrouvent à partager le même matelas, alors qu’ils se tiraient dans les pattes quelques mois auparavant. Scènes rocambolesques, inimaginables aujourd’hui !

Dans la nuit, des policiers sont envoyés avec le patron d’Arrows, Jackie Oliver, pour essayer de forcer le « camp retranché » mais les pilotes ne cèdent pas, Patrick Tambay faisant office de vigile de service à la baffe facile…Tous tiennent sauf un, car il faut toujours un « judas » dans une histoire pareille. Le pauvre italien Téo fabi, qui débute avec Toleman, craque sous la pression et retourne dans le paddock de Kyalami, puisque la FISA avait promis l’absolution aux « repentis ». La réputation de Fabi en sera lourdement entachée auprès de ses collègues qui ne lui pardonneront pas cette « forfaiture », et il partira courir aux Etats-Unis pour se faire oublier.

Le lendemain, après de nouvelles négociations tendues, Balestre et Ecclestone capitulent. Pironi obtient un accord pour que l’article 1 soit revu et donne plus de garanties aux pilotes. Rancunier, Ecclestone tente de mettre à pied son pilote Nelson Piquet, mais une nouvelle fronde menée par Gilles Villeneuve oblige le grand manitou de la FOCA à céder. La course a bien lieu, mais sitôt la lignée d’arrivée franchie, Balestre nie la légitimité de l’accord et annonce que les super-licences sont retirées aux grévistes. Certains équipes, comme Renault et Ferrari, finissent par soutenir leurs pilotes. Balestre entend leur infliger de lourdes amendes, qui seront finalement réglées par les équipes. Le bras de fer est terminé, les pilotes ont eu le dernier mot ! Dans les années 80, à l’instar d’autres sports, les pilotes vont professionnaliser leur gestion de carrière en prenant des managers aguerris à leurs côtés.

sources : l’histoire de la Formule 1 (J.Rives), statsf1, autosport

(3 commentaires)

  1. Chouette article, merci!
    Une autre époque en effet, on a du mal à imaginer Hamilton et Verstappen partageant un matelas pour faire pression sur la gestion des directeurs de course 😉

  2. Doivent être super confortables les Bus en Afrique du Sud, au point que les pilotes de F1 et les footballeurs ne veulent pas en descendre..;
    j’adore ces photos des années 80, il me semble que le sport était un peu moins business qu’aujourd’hui

  3. merci pour cette belle histoire, avec le recul je vois qu’ils ont eu raison de ne pas céder. Un bel exemple de solidarité et de courage. En plus les photos sont de belles illustrations de ce moment, un plaisir de voir ces pilotes, une famille qui est entré dans nos vies car j’ai suivi leurs histoires toutes ces années

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