Marques disparues #23 : Bucciali, l’audace française

Du ciel à la route

Les frères Paul-Albert et Angelo Bucciali, originaires de Boulogne-sur-Mer, sont des amoureux de vitesse et de mécanique dès leur jeunesse, le premier construisant même un aéroplane baptisé Buc en 1911. Pendant la Grande Guerre, Paul-Albert sert dans le Groupe de Combat n°12 de l’aéronautique militaire, qui devient la célèbre »escadrille des Cigognes », où s’illustrent les emblématiques René Fonck, Georges Guynemer et autres Roland Garros. La Cigogne, emblème de cette escadrille d’élite, deviendra plus tard le blason de leur marque automobile.

Car au lendemain du premier conflit mondial, les frères Bucciali rêvent d’automobile et de compétition. Ils ouvrent leur atelier en 1922 à Courbevoie et concoivent leur première voiture, la Buc AB-1, qui propose des freins aux quatre roues mais rencontre des soucis de fiabilité moteur. Les deux frères proposent des évolutions régulières et obtiennent quelques résultats honorables en compétition, jusqu’au modèle Buc AB 4-5, le modèle qui connaît le plus grand succès commercial de la firme avec un peu plus d’une centaine d’exemplaires construits et vendus, entre 1925 et 1927. Radiateur en V,  boîte à quatre rapports et levier central, moteur quatre cylindres en ligne Scap de 1.600 cm3 qui revendique un intéressant 100 km/h, déclinaison en torpedo et coupé, la petite entreprise se montre audacieuse.

De l’ambition, mais des moyens limités

Un exemplaire du 6 cylindres est monté sur un châssis surbaissé et profilé, à l’empattement de 240 cm, de type monoplace. Le bolide dispose d’une alimentation par 2 carburateurs, d’une boîte à 4 rapports faisant bloc avec le moteur, d’une transmission à cardan, d’un pont arrière avec différentiel, de freins sur les quatre roues, d’une suspension avant et arrière avec ressorts semi elliptiques et amortisseurs friction. Des solutions techniques avant-gardistes pour l’époque. La puissance de 70 ch à 5.000 tr/mn permet une vitesse de 170 km/h. Cette Buc AB6 ou « torpille », participera à de nombreuses épreuves nationales et internationales. Malgré quelques succès, la consécration n’est toujours pas au rendez-vous.

Des précurseurs de la traction avant

En effet, le constat est sans appel pour cette entreprise qui demeure très artisanale : les résultats commerciaux sont très limités et les problèmes de trésorerie des frères Bucciali, qui ne possèdent pas de fortune personnelle, empêchent leur entreprise de prendre de l’ampleur. Toutefois, en 1926, ils décident de réorienter leurs recherches après un voyage d’études aux Etats-Unis et de consacrer tous leurs efforts au développement de la technologie de la Traction Avant, avant même qu’André Citroën ne s’y attele.

Paul-Albert s’investit dans la conception d’un nouveau châssis et d’une transmission qui aboutit à la présentation, au salon de Paris, d’un premier modèle dénommé « TAV », carrossé par Audineau et équipé d’un 4 cylindres Scap de 1700cc. Deux ans plus tard, toujours au salon de Paris, deux modèles sont présentés : une TAV2 qui reprend le 4 cylindres et une TAV6 qui est équipée d’un 6 cylindres Continental, d’une suspension pneumatique indépendante aux 4 roues et d’un changement de vitesse automatique Sensaud de Lavaud. Carrossés par Labourdette, 3 modèles sont produits et vendus en 1929 et 1930.

Le rêve américain brisé

Toujours en quête de débouchés et contraints par une trésorerie bien fragile, les Bucciali espèrent trouver leur Eldorado aux Etats-Unis. La TAV8, équipée cette fois-ci d’un 8 cylindres Lycoming, après avoir été présentée en France, embarque pour les « States » dans l’espoir de trouver des financements et surtout des partenaires prêts à produire la bête sous licence. Plusieurs constructeurs américains sont intéressés, dont la firme Peerless, installée à Cleveland dans l’Ohio, qui montre le plus d’intérêt envers le châssis français. Il faudra cependant un second voyage de Paul -Albert aux Etats-Unis, l’hiver suivant, pour définitivement conclure l’affaire. Mas patatras, le Krach boursier de Wall Street d’Octobre 1929 passe par là puis la Grande Dépression qui s’en suit, plongeant l’économie américaine dans la tourmente. Une catastrophe qui douche les espoirs de « rêve américain » des frères Bucciali.

Berlines de la démesure

Beaucoup se seraient découragés mais pas nos audacieux gaillards, qui se remettent à l’ouvrage et font feu de tout bois : ils présentent un modèle « Double Huit » de 16 cylindres aux suspensions améliorées, dont le moteur s’avère être une maquette, puis la TAV30 qui améliore la TAV8 avec un 8 cylindres Lycoming de 5.2 litres et stupéfie le public du salon de Paris 1931 par son style audacieux, signé du carrossier Saoutchik. La « patte » Bucciali est désormais identifiable, avec un capot très étiré qui doit accueillir la transmission, un profil bas, des roues immenses et une orientation luxueuse assumée qui se conjugue à un sens de l’innovation. Des airs de Bugatti Royale, des arches de roues galbées qui se prolongent vers le châssis pour créer un style spectaculaire. C’est beau, ça ne peut pas passer inaperçu mais les acheteurs se font néanmoins toujours très rares.

TAV 8-32, l’audace sur roues

Jamais à court d’idées et souhaitant aller encore plus loin, les frères Bucciali imaginent la démesurée TAV8-32, présentée en 1932, qui sera le point d’orgue mais aussi le chant du cygne, ou plutôt de la cigogne, du constructeur.

Dépassant les 6 mètres avec une ligne à couper le souffle, la 8-32, surnomée « Flèche d’or », embarque un V12 de 120 chevaux sans soupapes conçu par le motoriste Gabriel Voisin, pionnier de l’aviation française qui s’est aussi lancé dans la production de véhicules de prestige et sportifs. Cigognes ostentatoires chromées sur les flancs, roues de 24 pouces, carrosserie haut de gamme signée Saoutchik, carrossier collaborant avec tous les grands noms de l’industrie et dont la production est marquée par un design aérodynamique d’inspiration Art déco, un haut niveau de qualité et de finitions, et par des technologies innovantes. Les Bucciali n’ont pas lésiné sur les moyens. Le monstre est capable de filer à 170 Km/h, mais des ennuis mécaniques viendront rapidement perturber le seul exemplaire roulant vendu à l’industriel Georges Roure.

De surcroît, la France est à son tour rattrapée par la crise économique. L’entreprise Bucciali ferme ses portes en 1933. Les deux frères tentent bien de se relancer, mais sans succès. Ils travaillent en 1934 sur une petite sportive aérodynamique destinée aux 24 heures du Mans, animée par un huit cylindres suralimenté avec une transmission permanente à quatre roues motrices. Malheureusement, le manque de moyens met un terme à ce projet. Ils travaillent aussi sur un projet d’automitrailleuse à huit roues motrices équipée de deux moteurs Daimler-Benz suralimentés. Présenté en 1936 au service technique du Ministère de la guerre, le véhicule n’est pas retenu malgré ses indéniables qualités et innovations. Entre temps, Citroën vient de sortir sa Traction Avant, qui va connaître un succès immense et entrer dans la légende. Les frères Bucciali étaient sans nul doute des precurseurs, mais sans l’outil industriel et commercial adapté à leur ambition. Une véritable aventure de passionnés !

Angelo meurt en 1946 tandis que Paul-Albert crée la Société de Mécanique et des Brevets Bucciali afin de faire reconnaître les droits intellectuels de certaines de leurs trouvailles. Il sera mis à contribution dans les années 70 pour aider à la reconstruction de la Flèche d’Or, mais meurt en 1981 à l’âge de 91 ans sans avoir pu revoir son oeuvre aboutir, puisque le projet de reconstruction ne sera achevé qu’en 1997 !

images : pinterest, artcurial, montesquieuvolvestre

(6 commentaires)

  1. Sympa, ça me fait penser à des Audi avant l’heure. La « ligne d’épaule » tout du long, les proportions 2/3-1/3 (en hauteur), le coupé avec culcul plongeant m’évoque l’A7 (de loin).
    La grosse cigogne c’est surfait, surtout avec les nombreuses ouïes d’aération, mais globalement c’est stylé, bien que trop ostentatoire.

  2. Merci pour l’article ! J’adore ces voitures au dessin avant-gardiste, j’avais lu un article dans un magazine il y a longtemps et je ne me rappelais plus le nom de la marque !

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