La saga de l’équipe Renault F1, 1ère partie (77-85)

1ère partie : 1977-1985, l’aventure turbo

Un défi français

Comme l’a très bien évoqué notre confrère Thibaut dans plusieurs articles, Renault Sport arrive en F1 en 1977 en fusionnant et récupérant à son nom le projet préparé par Alpine et Gordini, deux symboles de l’automobile sportive tricolore qui ont été absorbés par le losange. C’est une ambition 100% française, un projet qui entend démontrer le savoir-faire technologique national, dans la lignée des grands défis stratégiques de l’ère De Gaulle. Renault est en quête d’internationalisation et entend révolutionner la F1 avec l’introduction du turbo, comme l’entreprise cherche à transformer le marché avec ses « voitures à vivre ». Elf veut démontrer son savoir-faire dans le domaine des carburants et Michelin entend imposer en F1 son pneumatique à carcasse radiale. Toute l’innovation à la française se trouve réunie dans ce défi sportif, qui prend la relève des aventures glorieuses de Matra et Alpine en Endurance et en rallye.

Symboliquement, c’est en Angleterre, à Silverstone en 1977 que Renault fait ses grands débuts. Une manière pour Renault d’avoir un écho international, de démontrer son savoir-faire technologique mais aussi d’afficher ses ambitions au sein même du royaume de la F1, alors que, hormis Ferrari, toutes les grandes écuries sont britanniques. Une seule voiture est alignée, pilotée par Jean-Pierre Jabouille, un véritable pilote-ingénieur qui a mené en stakhanoviste tout le programme d’essais pour dégrossir ce moteur turbo encore à ses balbutiements. Jabouille est représentatif de cette génération dorée qui va marquer durablement les années 70/80 et porter haut les couleurs de la France en sport automobile. Formé à l’école Gordini, il a mené de front une carrière en Endurance avec Matra (3e au Mans en 1973/1974) et en monoplace avec Alpine, remportant la F2 européenne en 1976.

La galère des débuts (1977-1978)

C’est peu dire que les débuts sont très difficiles. La monoplace RS01 est conçue par François Castaing et André de Cortanze, à qui l’on doit les monoplaces F2/F3 Alpine et qui fera plus tard les joies de Peugeot et de Toyota en Endurance. De facture classique, la RS01 n’est pas très compétitive et plutôt lourde (615 kilos contre 588 à la Lotus) mais c’est bien moins grave que le souci du moteur. Renault fait le pari osé d’utiliser un moteur turbo, une technologie qui a déjà été vue en Endurance, en Indycar et en Tourisme (notamment avec la BMW 2002) mais qui n’a pas réussi à s’imposer en F1, où l’on préfère le V8 Cosworth, bien plus fiable, ou le V12 pour Ferrari et le Flat-12 pour Alfa Romeo. La règlementation impose en effet une équivalence de cylindrée au turbo, celle-ci étant limitée à 1500cc contre 3000cc aux blocs atmosphériques.

Et justement, bien que le V6 turbo Renault à 90° soit capable de délivrer près de 500 chevaux, soit un peu plus que le Cosworth, il rencontre deux énormes écueils : un temps de latence (réponse du turbo à l’accélération) de plusieurs secondes, qui en rend son pilotage très délicat, et une mauvaise fiabilité. Jabouille se qualifie péniblement 21e à Silverstone et abandonne au bout de 16 tours, incitant Renault à manquer les deux courses suivantes pour parfaire la mise au point. La fin de la saison est tout autant difficile, avec des qualifications en fond de grille, trois abandons en trois courses et même une non-qualification au Canada, après deux turbos cassés aux essais. Les anglais ricanent de cette « yellow tea pot » qui fume davantage qu’elle ne roule

En 1978, Renault fait l’impasse sur la tournée sud-américaine de l’entame de saison et privilégie le Mans, qui est justement remporté par l’Alpine-Renault A442 turbo confiée à Jean-Pierre Jaussaud et Didier Pironi. La victoire mancelle est importante puisque Renault interrompt le programme Endurance pour mettre le paquet sur le projet F1. La saison 1978 reste délicate, car la RS01 souffre face aux nouvelles wing cars à effet de sol, et le moteur turbo fait toujours des siennes. Le losange essuie 9 abandons sur les 12 premières courses. Néanmoins, Jabouille se qualifie assez fréquemment dans le top 10 et même 3e en Autriche et à Monza, sur des circuits de moteurs, signe que les progrès arrivent. Le moteur EF1 délivre 510 chevaux, soit autant que le Ferrari et 35 chevaux de plus que le Cosworth. La délivrance arrive ensuite à Watkins Glen, où Jabouille termine 4e et offre les premiers points à Renault.

La persévérance récompensée (1979)

En début de saison, la pole en Afrique du Sud est encourageante mais n’efface pas les lacunes et les soucis de fiabilité. Ce n’est qu’au 5e grand prix, en Espagne, que Renault met en service une nouvelle voiture, la RS10, qui répond aux principes de l’effet de sol. A Monaco, sur un tracé vraiment défavorable, les bolides jaunes, pilotés par Jabouille et le jeune loup René Arnoux, occupent la dernière ligne… En arrivant à Dijon pour le grand prix de France, Renault est sous pression et n’a pas encore inscrit le moindre point mais le moteur, supervisé par l’équipe de Bernard Dudot, bénéficie d’une évolution décisive. Les ingénieurs ont substitué au simple turbo Garrett du début un système à deux turbos du spécialiste allemand KKK, plus petits mais plus fiables, moins sensibles à la surchauffe, offrant plus de couple avec un meilleur temps de réponse.

Et c’est donc à Dijon qu’arrive la délivrance. Jabouille, l’auteur de la pole position, offre un récital, bien aidé aussi par la supériorité des pneus Michelin sur les Goodyear, obtenant ainsi la première victoire de Renault, la première également du turbo en F1. Le pari est gagné et pour couronner le tout, Arnoux monte sur la 3e marche du podium après un duel homérique face à Gilles Villeneuve. La yellow tea pot ne fait plus rire du tout les anglais, qui vont tout faire au contraire pendant deux ans pour faire capoter la technologie turbo en F1, au prix d’un bras de fer terrible avec la FISA de Jean-Marie Balestre, qui, de son côté, répliquera en faisant la guerre aux jupes aérodynamiques très bien maitrisées par les écuries britanniques. La guerre FISA-FOCA est lancée. Au-delà de ces considérations politiques, même si les pannes mécaniques sont encore nombreuses, Renault décroche cette année-là 4 autres pole positions et deux secondes places avec René Arnoux en Angleterre et aux USA. Le losange termine l’exercice 1979 au 6e rang des constructeurs, une dynamique est lancée.

Un goût d’inachevé (1980-1983)

En 1980, Renault aligne une RE20 plus légère et aérodynamiquement plus fine , supervisée par Michel Têtu, alors que le V6 gagne encore en puissance. Les monoplaces jaune, blanche et noire font figure d’épouvantail et grâce à deux victoires consécutives au Brésil et en Afrique du Sud, René Arnoux pointe en tête du championnat du monde après 3 courses. La fiabilité toujours délicate du V6 français écarte Renault peu à peu de la course au titre, mais avec 5 poles et une 3e victoire décrochée par Jabouille en Autriche – le français met fin ainsi 16 abandons consécutifs ! – Renault grimpe dans la hiérarchie en finissant 4e du championnat constructeur. Renault a réussi à imposer le turbo comme la technologie de l’avenir – Ferrari et Alfa Romeo s’y sont mis et BMW approche – ce qui a alimenté la contre-offensive des équipes FOCA fédérées par Ecclestone, inquiètes de l’inflation des coûts induite par la présence des constructeurs et contre lesquels elles se sentes démunies.

En 1981, Renault ne cache plus ses ambitions : décrocher le titre ! Le losange peut compter sur une RE30 très évoluée, intégrant la fibre de carbone, disposant d’un nouveau concept aérodynamique et d’un V6 Renault encore plus puissant porté à 540 chevaux. Surtout, Renault s’appuie sur un duo prometteur avec l’intrépide René Arnoux et le grand espoir Alain Prost, qui s’est révélé l’année précédente chez McLaren. Le début de saison est calamiteux – 6 points en 7 courses ! – par la faute de petits ennuis de fiabilité mais surtout d’une monoplace rétive et à l’aérodynamisme compliqué. C’est dans ce contexte que Alain Prost dévoile ses compétences de metteur au point et de pilote « tatillon » avec les ingénieurs, posant les premières pierres de sa légende du « professeur ». Face à un René Arnoux très rapide mais plus intuitif, Prost étale sa science de la course et son méthodisme. Dans la 2e moitié de la saison, il est le meilleur du peloton et signe 3 victoires, en France – le pays découvrant sa nouvelle étoile – aux Pays-Bas et en Italie, où il deviendra bientôt la bête noire des tifosis. Prost termine 5e du championnat à seulement 7 points de Piquet, et Renault 3e des constructeurs.

1982 s’annonçait bien. Si Arnoux se montre irrégulier, Prost semble armé pour vaincre en gagnant les deux premiers grands prix. Puis c’est la débandade. Renault introduit un système d’injection électronique qui doit réduire la consommation et rendre le moteur turbo plus souple. Si le championnat s’était limité aux qualifs, Renault aurait été champion du monde….avec 10 poles en 16 courses. Mais en course, c’est la bérézina de la fiabilité, notamment à cause de ce fichu système électronique. La malchance s’en mêle aussi, quand Prost perd la victoire à Monaco dans les derniers kilomètres sur une sortie de piste. Et pour couronner le tout, la relation entre les deux pilotes français, déjà tendue, se transforme en guerre froide au grand prix de France, quand Arnoux refuse de céder aux consignes de l’équipe et gagne devant Prost, ulcéré que le jeu d’équipe en sa faveur n’ait pas été respecté. La fin de la saison se termine donc dans une ambiance délétère. Renault ne conserve pas Arnoux pour 1983, le français signant chez Ferrari. Comme un pied de nez, il gagne en Italie devant les Ferrari et déclare en conférence de presse qu’il se sentait déjà l’équipier de Tambay et Andretti. Ambiance ! Renault achève 1982 à la 3e place des constructeurs, tandis que Prost (4e) et Arnoux (6e) échouent pour le titre qui leur semblait promis. Une certaine aigreur commence à s’installer, Prost ne se sentant pas totalement soutenu par l’équipe.

En 1983, Renault améliore le tir. La fiabilité progresse, avec 9 arrivées dans les points en 15 courses pour Alain Prost, qui fait équipe désormais avec l’américain Eddie Cheever, moins gênant que Arnoux (mais aussi moins à même de gêner les adversaires ?). Prost gagne à 4 reprises, mais il trouve sur son chemin un redoutable Nelson Piquet au volant d’une Brabham-BMW aussi rapide que douteuse, qui utilise un carburant illégal. En lice pour le titre, Prost subit des pannes au pire moment, d’abord en Italie (où il doit être escorté par des gardes du corps face à la vindicte des tifosis qui en ont fait leur ennemi juré) et lors de la finale en Afrique du Sud, où il est encore lâché par son turbo. Tout au long de l’année, la tension est montée entre Prost, qui reprochait à Renault de ne pas suffisamment investir pour développer la voiture, et le staff qui semblait exaspéré par les critiques et vexé des contacts établis entre leur pilote et Ferrari. Alors qu’un contrat pour 1984 semblait entériné, les langues se délient en fin de saison et Renault décide finalement de se séparer de Prost, qui trouve refuge chez McLaren. L’histoire se finit mal, avec beaucoup d’amertume et la sensation d’un grand gâchis.

La descente aux enfers (1984-1985)

Renault fait peau neuve avec deux nouveaux pilotes, le français Patrick Tambay et l’anglais Derek Warwick. Mais les nuages s’accumulent. D’abord, Renault n’a plus l’avantage de son moteur turbo. Les blocs BMW et surtout le nouveau TAG-Porsche sont redoutables et gèrent mieux la consommation de carburant, le talon d’Achille du bloc français. La gestion de l’écurie est aussi pesante, les lourdeurs à la française – et les interférences politiques –  se révélant pénalisantes face à la souplesse de fonctionnement des teams anglais. De plus, les temps sont durs économiquement pour Renault, qui songe à réduire fortement la voilure. En 1984, les Renault jouent souvent le podium mais ne peuvent rien face à l’ogre McLaren-TAG et son duo Lauda-Prost. La voiture est fragile, quand ce ne sont pas les pilotes qui s’accrochent et se blessent, comme à Monaco. Renault retombe à la 5e place des constructeurs, tandis que Gérard Larrousse sert de fusible. Limogé de son poste de directeur d’équipe, il part…chez Ligier qui obtient la fourniture du moteur Renault, là aussi grâce aux pressions politiques venues d’en-haut, de très haut.

En 1985, on boit le calice jusqu’à la lie. Larousse est remplacé à la tête de l’équipe par l’ingénieur Gérard Toth, qui n’a aucune expérience de la course et dont on apprendra plus tard qu’il a détourné une partie de l’argent reçu par la fourniture des blocs Renault à Tyrrell ! Car, c’est ce qui est rageant, le nouveau moteur EF15 de la Régie conçu par Bernard Dudot, donné pour plus de 800 chevaux, est une franche réussite. Il va faire le bonheur de Lotus et d’un certain Ayrton Senna, qui commence à enfiler les poles comme des perles. Mais du côté de Renault, la RE60 est un fisaco. Elle a subi un développement chaotique, qui n’a été achevé qu’à la veille du premier grand prix (!). Michel Tétu et de nombreux cadres clés du staff technique sont partis.

L’équipe, déjà mal dirigée par Toth qui s’est mis à peu près tout le paddock à dos, subit aussi les pressions de ceux qui, au sein du conseil d’administration de la Régie, veulent mettre fin à cette aventure dispendieuse difficilement justifiable face aux dettes du constructeur, qui paye ses ambitions américaines et au recul des ventes. Renault doit trouver des partenaires ou un repreneur, mais le prix fixé par Toth semble irréel. Agit-il en liquidateur ? De part la dimension nationale de l’entreprise, l’écurie Renault a aussi ses adversaires au sein du gouvernement socialiste qui veut mettre fin à cette mascarade (tout en soutenant, de l’autre côté, Ligier qui est un ami proche de Mitterrand et qui aura droit à une constellation de sponsors nationaux).

Malgré deux podiums encourageants à l’entame du championnat, la saison n’est ensuite qu’un long chemin de croix, fait d’abandons et de courses anonymes. Renault ne marque qu’un seul point sur les 7 dernières courses et se retire sur la pointe des pieds. L’aventure continuera comme simple motoriste, avec le tandem Lotus/Senna et Ligier, mais s’achèvera fin 1986. Pour 1987, Lotus récupère Honda, Ligier cède aux sirènes d’Alfa Romeo tandis que les négociations avec McLaren capotent, sur fond de rivalité entre Shell et Elf. Faute de partenariat avec un top-team, Renault quitte la F1 fin 1986…mais une cellule de veille dirigée par Bernard Dudot prépare l’avenir et commence à réfléchir sur un nouveau V10…

Images : wikipedia, Renault F1

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