Elle n’a jamais couru épisode 25 : la CD-GRAC

Deutsch, le « D » de D.B. avec René Bonnet

Charles Deutsch est l’un des grands artisans des 24 heures du Mans et de l’automobile française des années 30 à la fin des années 60. Né en 1911, Charles Deutsch est ingénieur Polytechnique (promo 1931) et Ponts-et-Chaussées. Dès la sortie de son école d’application, Charles Deutsch s’associe avec René Bonnet qui s’est déjà lancé dans le sport automobile plusieurs années avant.

En 1931, René Bonnet avait racheté l’affaire de charronnage de la mère de Charles Deutsch. Les deux hommes se sont alors liés d’amitié et devant la complexité et la cherté des voitures de course de l’époque, ils décident de créer des voitures à partir d’élément de la Citroën Traction Avant. Ainsi naît les automobiles DB (Deutsch-Bonnet), barquettes et monoplaces. Fidèles à Citroën et Panhard, on retrouve des voitures « DB » sur les concentrations d’anciennes voitures de course. Pratique pour réparer « à peu de frais » en se servant dans le réservoir de pièces aux chevrons.

Le palmarès sportif de D.B. est assez éloquent. Aux 24 Heures du Mans, les D.B. remportent des victoires à l’indice de performance, une victoire au rendement énergétique et victoires de classe. Leur meilleur classement général sera une 10e place en 1954 (11e en 1956). Deutsch et Bonnet se sépare fin 1961 et chacun va continuer de son côté.

L’aventure solo

Charles Deutsch lance alors la SECA-CD (Société d’études et de construction automobiles Charles Deutsch). La première tentative aux 24 heures du Mans sera sous la forme d’une Panhard CD Dyna. Deutsch est aérodynamicien et il avait déjà des plans pour une DB HBR 6 qui n’a jamais vu le jour. La carrosserie en fibre est confiée aux incontournables Chappe et Gessalin. La Panhard CD Dyna porte en elle les gènes de la CD-GRAC. Grâce à son aérodynamique travaillée, le 2 cylindres à plat 0,7 l de Panhard arrive à propulser la voiture à plus de 200 km/h dans la ligne des Hunaudières ! Aux 24 Heures du Mans 1962, deux des trois CD Dyna doivent abandonner. La dernière termine à une belle 16e place. Surtout, Deutsch devance les deux René Bonnet Djet (future Matra Jet NDLA).

En 1963, Deutsch n’est présent au Mans que via un châssis CD 3 aligné par Auto Union. Mais c’est l’édition 1964 que vise Charles Deutsch. Deux châssis CD 3 sont alignés par la S.E.C.A. CD. Ils reçoivent un Panhard flat twin compressé Panhard de 1,2l. Mais les résultats ne sont pas là, double abandon. Cette fois, c’est Bonnet qui l’emporte sur son avec ses Aerodjet (23e pour la seule à l’arrivée).

Même si le constructeur va mal et sera bientôt absorbé par Citroën, Panhard est LE spécialiste des petits moteurs efficients des années 50/60. Charles Deutsch et son équipe décide de fiabiliser le moteur pour voir l’arrivée, et de lui trouver si possible plus de puissance. Après cinq mois de travail et quelques millions de Francs dépensés, l’ACO joue un mauvais tour à tous les artisans de l’automobile. En effet, pour l’édition 65, exit les petits moteurs, 1600 cm3 impératif au minimum. Tout est à jeter avec le Panhard ! Surtout, bridé par Citroën qui prend de plus en plus de poids (jusqu’à la reprise totale), Panhard a stoppé les études sur son 4 cylindres.

Le « sale coup » de l’ACO en décembre 1964

Pour Deutsch, il y a urgence. Habituellement on sort les premiers prototypes en janvier pour s’aligner en juin dans la Sarthe. Il faut alors relancer immédiatement l’étude d’un prototype pour pouvoir s’aligner.  Pour son 1600 cm3, Charles Deutsch se tourne alors vers Alfa Romeo. La SECA CD est dans une difficulté financière et un partenaire est cherché.

Robert Choulet, disciple de Charles Deutsch, connait bien GRAC pour avoir collaboré avec eux il y a quelques années sur une monoplace. L’entreprise fondée en 1964 par Serge Grangeon, Jean-Pierre Roche, Serge Aziosmanoff et André Crommen (G.R.A.C.) est à Valence et cherche à aller tâter de l’endurance au Mans. Deutsch accepte et le projet CD-GRAC est lancé.

Pour le moteur, c’est le L4 1,6l de l’Alfa Romeo Giulia TZ. Il est préparé par Blanchet et mis à disposition gracieusement. Car oui, il n’y a plus vraiment d’argent à la SECA-CD devenue « Société d’Études et de Réalisations Automobiles » (SERA-CD ). Heureusement qu’il y a la passion et l’envie de faire le double tour d’horloge. Charles Deutsch supervise la création du prototype du point de vue aérodynamique. La voiture est « fluide », elle utilise l’effet de sol que Deutsch a inventé pour la Panhard CD Dyna (et ce avant les Chaparral ou Murray) et est dépourvue d’aileron.

Un châssis innovant qui lance plusieurs solutions pour le sport auto

La silhouette est fluide, comme à chaque fois avec Charles Deutsch. On peut remarquer la carrosserie qui cache les roues arrières, ainsi que les appendices créés devant et derrière les roues. Le but est de minimiser les perturbations engendrées par les roues. Pour cela, les roues avant sont lenticulaires. Les prises d’air à l’avant ressortent en partie en haut des ailes avant.

GRAC doit se charger du châssis selon les plans fournis par la SERA. Le châssis est léger mais rigidifié par des longerons plats, et des traverses positionnées autour du pilote. Il faut dire que la voiture possédait deux canaux aérodynamiques pour l’effet de sol. En conséquence, pour que ces tunnels soient très creusés, les suspensions doivent aussi être repensées. Ce sera le début des suspensions dites « cinq bielles » que Matra adoptera plus tard, ainsi que la F1. Le moteur de son côté est dans un « berceau » entièrement caréné. Hélas, on n’était pas à notre époque et peu de photos nous sont parvenues.

Le temps presse à cause de l’ACO qui a changé le règlement très très tard. Mais, Deutsch a un réseau d’amis fidèles. Ces derniers sont de grands noms du sport automobile et de la construction auto. La voiture peut voir le jour grâce à eux et le prototype est présenté au Mans. Hélas, le manque de temps joue contre CD. La voiture est à peine finie et ne peut s’aligner pour l’édition 1965. La CD-GRAC n’est pas la seule à ne pouvoir honorer le rendez-vous du Mans, seules 51 voitures sur les 55 prévues sont au départ.

La voiture est détruite

La déception est là, mais tout le monde est convaincu du concept aérodynamique de Charles Deutsch. La partie est remise pour 1966. Et comme cela, il y aura du temps pour peaufiner le prototype. Après ce coup d’épée dans l’eau, la voiture doit rejoindre Valence et les ateliers GRAC par la route. Alors qu’elle traverse Vienne sur la N7, le long du Rhône, la voiture prend feu. Les pompiers n’arriveront pas à la sauver des flammes.

Pour Deutsch, c’est le calice jusqu’à la lie. En effet, à la suite du fiasco du Mans, Charles Deutsch et la SERA CD avait décidé de racheter les parts de chacun dans l’aventure. La perte est totale. La CD-GRAC ne sera donc jamais en piste et la SERA CD et GRAC se séparent sur ce triste incendie.

Désormais c’est officiellement la SEC Automobiles CD qui engage les voitures. En 1966, trois châssis CD SP66 sont alignés. Désormais c’est un Peugeot sous le capot mais le travail aérodynamique de Deutsch est visible. C’est très proche des CD-Panhard LM64. Trois abandons à la clé. En 1967, deux voitures sont alignées et ne verront pas non plus l’arrivée. C’est la fin de l’aventure pour Charles Deutsch en tant que constructeur. Il deviendra Directeur de Course aux 24 heures du Mans en 1969 jusqu’à son décès en 1980.

Lire également : Le Mans Classic 2016 – La CD Peugeot 1966 lauréate du Le Mans Heritage Club

Deutsch, l’un des grands noms du sport automobile Français, souvent dans l’ombre

Parallèlement, le discret Deutsch devient sous-traitant. Il travaille sur la Porsche 908 et 917 pour leur aéro du Mans. Il sera aussi de la partie en F1 en dessinant les premières Ligier. On lui doit la partie aérodynamique de la JS11 dont le châssis est signé Ducarouge. La voiture jouera le titre 1979. L’Alfa Romeo 179 sort la même année, avec les plans de Deutsch (dont il a gardé la propriété). La société SERA-CD a survécu à son créateur. Elle a été rachetée en 2007 par Sogeclair, elle continue de réaliser des projets pour des constructeurs automobiles, civils ou militaires.

Quant à la CD-GRAC, elle connaîtra une descendance unique. L’un des salariés de GRAC quitte la société et décide de recréer le modèle. Il lui apporte des modifications. Le toit est scalpé, une énorme prise d’air vient alimenter le moteur. La CD-GRAC devient GP ou Guépard. Cet exemplaire a couru lui, dans des courses de côte et sur circuit. La CD-GRAC elle, n’a jamais couru.

Elle n’a jamais couru épisode 25 : la CD-GRAC 1

Elle n’a jamais couru épisode 25 : la CD-GRAC 2

(15 commentaires)

  1. Là c’est un 3 en 1 !
    Elle n’a jamais couru, Marques disparues et Les grands ingénieurs !

      1. @Thibaut Emme : Vous avez bien sûr raison mais ce n’est pas le cas sur tous les articles. Celui concernant Adler passe pratiquement sous silence la vie et le rôle d’Heinrich Kleyer, créateur de la marque. Je veux dire que l’article, contrairement à celui ci, est déshumanisé. On sent bien dans l’article que l’histoire de la marque (qui ne portait pas son nom) l’a oublié en route. Dommage.
        Bon, l’article de @Nicolas Anderbegani n’en reste pas moins excellent.

        1. Vraiment pas de réussite pour CD à ses 6 éditions: 12 engagements et 1 seul classement, à sa 1ère édition, en 62.
          Parmi les abandons, la DKW de 63, qui n’a pas fait un tour, Guilhaudin la sortant. Comme il était concessionnaire Mercedes à Chambéry, et a convaincu Ch Delecroix, l’importateur MB de participer financièrement, CD l’a laissé carrosser (en alu) auprès d’un carrossier local, les Ets Chalmette de Grenoble.
          Cette CD DKW a couru aussi à Reims, mais avec un 1000cc au lieu de 701cc
          Comme d’autres CD à Reims (j’y ai vu la CD Peugeot SP66 à dérives). D’ailleurs, l’économie semble permanente, car, sur mes photos, on dirait vraiment que le N°56 du Mans 63 a été modifié en N°76 à Reims 63 avec une « sous couche » sur le chiffre 5 de 56 pour y peindre le chiffre 7 de 76…..
          Pour ces 6 éditions, CD a utilisé 4 marques de moteur, à son corps défendant à 2 reprises.
          Hervé

          1. En même temps, finir Le mans à cette époque était réellement un exploit. C’est très souvent que le plateau de 55 voitures se retrouvait à moins de 25 à l’arrivée, avec des voitures rafistolées avec les moyens du bord pour finir.
            En 1962, ils ne sont par exemple que 18 sur 55 et les derniers (Panhard et Bonnet sont à 76 tours (ou 23%) de retard sur les vainqueurs).

            Clairement repeinte au niveau du 5 devenu 7 :
            https://lh3.googleusercontent.com/proxy/6zk7hwZ42qOMhOS7vJq91YvYQ7uhz1KkZz1CKil5-793TUCMVlxK31BubL7L3ZetwwCLLCNDLuSI8Ae6Qonow__3Bsf2SA2-2MA0jRKj9y4HhpDjCJxNrVhKRzR0CZkINlri3Jdst_BAJfL4MFyYK1JEadoY

    1. En effet ! 3 en 1 .

      Alors en essayant de comprendre comment atteindre 200km/h avec un 0,7 l , j’ai trouvé un CX =0,19 et un poids de moins de 600 kg (j’ai même lu 0,12 de Cx pour certaines versions ?) Pour les versions le Mans.

      1. Une Panhard CD de route (donc pas optimisée) c’est un CX de 0,22.
        Mais elle possède le flat twin en 850cm3 pour environ 50 ch.
        La très grande légèreté de ces voitures leur autorisait des vitesses assez folles pour leur puissance.
        Elles étaient souvent en-dessous des 600 kg à vide. De plus Deutsch savait faire des « long tails » pour les hautes-vitesses comme aux Hunaudières.

        1. La légèreté du véhicule ne permet pas d’atteindre une vitesse élevée. La légèreté permet seulement d’avoir une meilleure accélération.

          1. Pas directement en effet. Mais légèreté et puissance « faible » = pneus plus étroits = frottements de la route plus faibles.
            Evidemment, une armoire normande de 500 kg ira moins vite avec le même moteur qu’une goutte d’eau de 1000 kg.
            Si on rajoute que le véhicule plus léger va pouvoir passer « plus vite » en courbe (là encore c’est un raccourci qui dépend des pneus et du châssis), il pourra sortir plus vite et donc être plus vite dans la ligne « droite » qui suit un virage.
            Ici, Detusch utilisait à font l’effet de sol plutôt que les ailerons. Cela évite la traînée d’un aileron et donc d’augmenter la puissance.
            En revanche, pour que l’effet de sol soit suffisant, il fallait que la voiture soit un poids plume.

  2. Le CD Dyna Panhard était déjà une prouesse de réussite performance. D’où l’évidence du choix des matériaux de l’époque. En outre les faibles masses sont toujours un atout pour le pilotage en courbe rapide, de par la perte minimale du frein résistance en force centrifuge.

  3. Ma première boite, je garde le souvenir de gens passionnés, des vrais mordus. Il y a eu les Lada du Dakar, la Mega Monte Carlo et Mega Track, la R21 superproduction entre autres…

  4. « Les pompiers n’arriveront pas à la sauver des flemmes. » après autant de travail et de labeur qui aurait pensé que les FLEMMES cause sa perte.

    En tout cas article et histoire passionnante qui nous sont livrés là.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *