Marques disparues, épisode 4 : Iso Rivolta

Du frigo au scooter

A ses débuts, l’entreprise fondée à Gênes en 1939 par Renzo Rivolta se nomme Isothermos et n’a rien à voir avec l’automobile : elle fabrique des chauffe-eaux électriques, des radiateurs et des réfrigérateurs ! Le bombardement de Gênes pendant la Seconde Guerre Mondiale endommage les installations et amène l’entreprise à être transférée à Bresso, une petite ville près de Milan. En 1948, Isothermos change de fusil d’épaule et choisit d’investir dans la construction de petits véhicules motorisés, particulièrement bien adaptés aux besoins de l’Italie, essentiellement des deux-roues (Isoscooter, Isomoto) et des petits camions utilitaires à trois roues, à l’image de Piaggio avec le fameux Ape.

D’ailleurs, en 1951, la production d’électro-ménager cesse et l’année suivante, Isothermos devient Iso Autoveicoli avec pour ambition de passer sur quatre roues !

Micromobilité avant l’heure

Iso subit la concurrence des Vespa et Lambretta sur le marché des scooters et la plupart des voitures sont inaccessibles à la « masse ». Le marché de la voiture populaire est dominé par Fiat et la Topolino. Renzo Rivolta tente alors une voie intermédiaire en créant le chaînon manquant entre le scooter et la voiture, un petit véhicule capable de transporter deux adultes, un petit enfant et quelques bagages. Les ingénieurs Ermenegildo Preti et Pierluigi Raggi conçoivent ainsi l’Isetta, une microcar « en forme d’œuf » propulsée par le monocylindre 236cc 9 chevaux de l’Isomoto (un moteur conçu par Puch à l’origine).

Sa présentation à Turin en 1953 créé la sensation. Un véritable ORNI, avec deux roues arrière rapprochées sans différentiel et un accès dans l’habitacle se faisant par l’ouverture d’une portière sur l’avant (sur laquelle sont fixés le volant et l’instrumentation). L’Isetta a néanmoins bien du mal à se faire une place en Italie où la Topolino propose, pour un tarif équivalent, des prestations de véritable automobile (en attenant le 500) et la production dans la péninsule cesse dès 1955 après seulement 1000 exemplaires construits.

Cependant, Iso trouve des débouchés à l’étranger pour la produire sous licence : Romi au Brésil, Velam en France et surtout BMW en Allemagne. Le constructeur bavarois, à cette époque, est au bord de la faillite et se relance grâce à cette microcar, sur laquelle les allemands greffent le moteur 4 temps 245cc R27 de leurs motos. Le succès est au rendez-vous, avec presque 140.000 exemplaires vendus entre 1954 et 1962.

Style italien, muscles américains

Suite à l’échec de l’Isetta en Italie, Renzo fait encore volte-face. Après être passé de appareils ménagers aux motos, il passe désormais des voiturettes…aux GT haut de gamme ! En 1957, Iso Autoveicoli devient ainsi Iso Rivolta, et prend comme emblème un animal légendaire, le griffon. Il faut attendre 5 ans pour voir arriver le premier modèle présenté. Iso Rivolta a pris du temps, mais le résultat est là !

La GT300 4 places est une belle réussite pour un début mais Rivolta n’a pas fait les choses à moitié : le design vient de Giorgetto Giugiaro, qui travaille pour le carrossier Bertone, et la conception globale est le fruit de Giotto Bizzarini, un ingénieur talentueux qui est passé par Ferrari- on lui doit la 250 GTO- et Lamborghini où il a développé le fameux V12 3.5. Le moteur de la GT300 est un V8 Chevrolet issu de la Corvette et Iso négocie un contrat d’exclusivité de fourniture avec GM, ce qui lui assure un débouché aux Etats-Unis.

Belle et fiable grâce au robuste V8 américain, la GT300 est un succès (799 unités vendues) qui incite Rivolta à proposer de nouveaux modèles à partir de la plate-forme de la 300. A l’image de Ferrucio Lamborghini, Rivolta veut défier Ferrari. Son souhait est de concevoir une GT sportive qui marierait l’habitabilité et le confort des américaines avec les performances et le style des italiennes. Grâce à son accord avec GM, qui fournit pas mal de composants (dont les boîte de vitesses), les choses avancent vite puisque la marque est capable de présenter au salon de Turin 1963 l’Iso Grifo A3L, également conçue pat Bizzarini avec un V8 « small bloc » Chevrolet 5.3 litres de 350 chevaux. Basse, large, galbée, avec un regard qui tue, c’est une merveille. Les stars se l’arrachent. En 1966, elle est considérée par Autocar comme la voiture de série la plus rapide au monde. Bizzarini se penche aussi sur une version course, l’A3C, engagée au Mans et qui est à ses yeux une « GTO améliorée », rien que ça.

Le temps des difficultés

Malheureusement, Rivolta et Bizzarini se brouillent. Iso garde l’apanage du nom « Grifo » tandis que l’ingénieur poursuit de son côté le développement des A3C, qui seront commercialisées sous le nom des Bizzarini 5300 GT. Malheureusement, la marque Bizzarni ne survivra pas très longtemps.

En 1966, Renzo Rivolta décède. Son fils, Piero, reprend le flambeau, en diversifiant la gamme malgré des moyens limités. Véritable « muscle car » à l’italienne, la Grifo A3L évolue avec l’adoption d’un « big bloc » V8 7 litres en 1968 (435 chevaux) et même une démoniaque version CanAm de 7,3 litres, qui porte le modèle aux portes des 300 Km/h ! Iso s’essaye à d’autres segments avec une berline grand luxe 4 portes type « Quattroporte » carrossée par Ghia, la Flidia, et un coupé 2+2 aux lignes anguleuses et agressives très seventies avec phares escamotables, la « Lele » dessinée par un certain Marcello Gandini.

Au début des années 70, la situation de l’entreprise se détériore : d’abord, le contrat avec GM est très contraignant car le géant américain exige le paiement anticipé de moteurs achetés en vrac, un exercice de trésorerie bien délicat pour ce petit poucet automobile. Ces dissensions avec GM poussent Iso à se rapprocher de Ford, et c’est ainsi que les dernières Grifo et Lele sortiront d’usine avec un bloc type Cleveland de la firme à l’ovale. Les autorités américaines de surcroît ne reconnaissent pas à Iso le statut de constructeur, ce qui lui impose des normes plus contraignantes pour la commercialisation.

Ensuite, la concurrence est féroce, venant principalement d’Aston Martin et de Maserati sur le segment « GT confort », sans oublier évidemment Ferrari et Lamborghini pour les performances pures. Les rivaux de poids sont légion et certains détracteurs ne manquent pas de fustiger les Iso comme de « fausses italiennes » animées par des blocs et des boîtes yankees. Le 1er choc pétrolier de 1973 agit ensuite comme un coup de grâce, alors que la gamme est équipée de moteurs très gloutons. Rivolta fils y croit encore, comme en atteste l’étude du prototype futuriste Varedo, dessiné par Ercole Spada, dont l’ambition était de marcher sur les plates-bandes de la Countach. Tout cela reste évidemment à l’état de concept.

Association avec Williams !

Début 1973, la famille Rivolta vend ses parts à un homme d’affaires italo-américain, Ivo Pero et l’entreprise devient Iso Motors. Pour faire la promotion de la marque, un engagement en F1 est envisagé. Ça tombe bien, à l’époque, un jeune directeur d’équipe se démène pour trouver des financements afin de devenir un constructeur à part entière en F1 : Frank Williams. L’anglais s’est associé successivement à De Tomaso, March et Politoys (une marque italienne de jouets) pour faire exister son écurie. En 1973, avec l’appui de Philipp Morris, un deal est conclu et les Politoys de la saison passée sont réengagées sous le nom Iso-Marlboro ! Les résultats ne sont pas flamboyants mais pas ridicules non plus, avec deux 6ème places obtenues par les pilotes Howden Ganley et Giijs Van Lennep.

En 1974, l’aventure continue. La monoplace Politoys FX3 devient l’Iso-Marlboro FW. Les pilotes se succèdent à son volant, dont Jean-Pierre Jabouille et Jacques Laffite qui fait ses grands débuts au GP d’Allemagne. Mais c’est surtout Arturio Merzario, le « Marlboro man » au stetson, qui fait le taf avec une héroïque 4e place au GP d’Italie ! Le partenariat donne même naissance à une série spéciale ultra exclusive (3 modèles produits) du coupé Lele dans une livrée rouge Marlboro, préparée par Dallara et Bizzarini avec un V8 Cobra Jet de 360 chevaux. Mais cette aventure F1 ne fait que grever davantage les finances et à la fin de l’année 74, Iso met définitivement la clé sous la porte.

Renaissances avortées

Piero Rivolta tente de relancer à plusieurs reprises.  En 1990 d’abord, avec la présentation du concept Grifo 90 qui joue le remake de la Grifo originale : une robe italienne (châssis conçu par dallara,  un style rétro-futuriste « étonnant » signé Marcello Gandini) et un cœur américain, en l’occurrence le V8 de la Corvette ZR-1 retravaillé par Callaway sous le capot. Le projet industriel semblait bien ficelé, porté par un partenariat avec Mercedes pour produire un autobus de luxe « Isobus » qui aurait financé la supercar et de possibles aides gouvernementales.

La récession économique du début des 90’s fait finalement capoter le projet mais un passionné, Federico Bonomelli, fondateur de la société Mako Shark, spécialisée dans la fibre de carbone, convainc Rivolta de reprendre le travail pour le mener à son terme. La Grifo 90 est équipée au final du moteur de la Corvette Z06 et reçoit les honneurs d’une présentation en grande pompe au concours d’élégance de la Villa d’Este…en 2010 !

En 1998, Piero Rivolta fait une nouvelle tentative, en essayant de refaire le coup de l’Isetta alors que la problématique de la mobilité urbaine commence à (re)émerger. L’Isigo est un petit quadricycle tout-terrain propulsé par un moteur Lombardini, et l’année suivante l’Isicity propose une déclinaison électrique dont le style est signé Zagato.

Aujourdhui, les Iso Rivolta ont acquis un immense prestige sur le marché de la voiture classique et l’héritage de la marque est particulèrement entretenu par les passionnés.

Images : wikimedia, flickr, carsfromitaly, pinterest

(16 commentaires)

  1. Je saisi mieux l’allusion en réponse à mon post à propos des deux Aston Martin Zagatto ? !
    Ces articles sur les marques disparues sont de vrai bonheur.
    Aller, je sais, c’est pas tout à fait une Iso-Rivolta… quoi que ..
    Cette Bizzarrini 5300 (ou Iso A3C) était exposée au Manoir de l’Automobile à Lohéac (l’est elle toujours?).
    Oui, la photo n’est pas très nette (doux euphémisme) mais c’était en 2000 avec un numérique de l’époque.
    https://nsa40.casimages.com/img/2020/04/21/200421074219658232.jpg

  2. Merci, milles fois mercis pour ces articles toujours agréables à lire et terriblement frustrants.

    Faut-il se réjouir de la disparition de marques iconiques ou espérer de ce qu’elles auraient eu l’occasion de devenir ?

    (Iso Rivolta peut même être rattaché à Siata avec la reprise de la production de la Spring dans les années 70).

    1. J’oubliais presque de dire trouver parfaitement attirante l’iso GT300 puis les versions ultérieures au style similaire aux Jensen Interceptor, mais pourquoi ne suis-je Crésus ?

  3. Dans l’absolu, la marque perdure encore dans le domaine de l’informatique, comme je possède des fichiers ISO
    Oui, c’était nul

  4. Dans les ans 70 je me souviens de l’Iso Rivolta Bleue vue tous les week end garée d’un côté ou l’autre de la grande avenue . Je roulais en Simca 1000 en ce temps là. J’étais ébahi devant , derrière la belle auto stationnée, comme un gosse . L’Auto, avec ses roues fils sortait totalement du paysage français de l’époque. On venait d’avoir le 110 km/h, Mais pas encore de radars. C’était l’heure de la Gordini , ici qui résonnait.

  5. Une Maserati avec un cœur américain, assurément au panthéon des marques automobiles comme l’a été Facel Véga.
    Les cotes sont au niveau du pédigré, ça ne plaisante pas !

  6. La voiture exposée un temps au musée de Lohéac est l’Iso A3C #209, qui a appartenu un temps à Johnny Hallyday.

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