Revenir plus fort
Après son long règne sur le Groupe C dans les années 80 avec les Porsche 956/962, le constructeur allemand disparaît un peu de la scène de l’Endurance au début des années 90 mais y revient vite, après l’échec de ses projets monoplace en CART et en F1. En 1994, déjà grâce à une interprétation assez libre du règlement, la Dauer LM, en fait une 962 adaptée en GT pour rentrer dans les clous, remporte les 24 heures du Mans, suivi en 1996 de la victoire de la TWR-Porsche, un prototype dérivé de la Jaguar XJR-14 !
Puis, la même année, Porsche développe sa nouvelle 911 GT1, qui là encore flirte avec les limites de la règlementation GT1 et triomphe aux 24 heures 1998. Seulement, les GT1, des prototypes déguisés en GT, sont bannies à l’issue de la saison et remplacées par la catégorie LMGTP. Alors que Toyota, Mercedes ou encore Nissan sautent le pas et font évoluer leurs modèles vers cette nouvelle classe, Porsche s’y refuse et retire la 911 GT1, préférant se consacrer à un nouveau prototype, ouvert cette fois-ci, qui doit concourir au Mans en 1999.
Le moteur initial tombe à plat
Le projet 9R3 est lancé dès l’été 1998. A la manœuvre, Horst Machart, le responsable R&D à Stuttgart, et les ingénieurs Wiet Huidekoper et Norbert Singer pour la partie design, ce dernier ayant déjà été à l’œuvre sur les 935, 956 et 962 Groupe C. Tandis que le châssis doit être intégralement en fibre de carbone, une première pour Porsche en matière de sport automobile, le moteur choisi au départ est celui de la 911 GT1, à savoir le Flat 6 3.2 litres Biturbo. Mais en Novembre 1998, alors que l’avancement du prototype est en bonne voie, le choix du Flat 6 est finalement rejeté par les ingénieurs : poids excessif (210 kilos contre environ 160 pour les V8 concurrents), problème d’équilibre, de refroidissement et de compromis aérodynamiques, aucune chance de vaincre avec une telle motorisation, alors que BMW, Toyota et Nissan sont déjà bien rodés ! Or, s’il faut reprendre de zéro le concept et le moteur, c’est trop tard pour courir en 1999. Le retour au Mans ne pourra donc se faire qu’en l’an 2000.
Un bloc issu de la F1
En mars 1999, une réunion entérine la nouvelle motorisation: ce sera un V10 ! En 1990, Porsche avait conçu un V12 3.5 litres pour la Formule 1, en le fournissant à l’équipe Footwork. La saison 1991 avait été un échec cuisant, le bloc allemand s’étant révélé lourd, pas fiable et pas assez puissant. Alors que le contrat avec Footwork avait été finalement cassé, Porsche avait tenu néanmoins à développer courant 1992 un nouveau moteur F1 V10 de 3.5 litres de cylindrée, donné pour 700 à 800 chevaux. L’équipe en charge du projet LMP valide le passage à ce V10, mais en l’adaptant aux contraintes et aux exigences de l’Endurance.
L’augmentation de la course et la modification de l’alésage font passer la cylindrée de 3.5 à 5.5 litres, alors que le régime maxi est ramené de 15.000 tours à 8000 tours, pour une puissance de 650 chevaux environ. En raison des restrictions de la règlementation ACO et aussi pour une question de fiabilité, le système de soupapes pneumatique est retiré et remplacé par des soupapes à ressort, plus faciles d’entretien. Une nouvelle boîte de vitesse séquentielle à 6 rapports, en position longitudinale, est développée, sans oublier évidemment de revoir les suspensions pour les adapter aux nouveaux pneus de course Michelin et aux nouvelles attaches du moteur, différentes de celles du Flat 6.
Kaputt !
Fin mai, le design est arrêté. La LMP2000 est une monocoque en fibre de carbone renforcée par une structure aluminium, le tout fabriqué par Lola Composites. Elle se caractérise par une porte-à-faux avant assez courte, une partie avant très large et aplanie entre les carénages de roues. L’aérodynamisme est très travaillé, avec une recherche optimale d’appui et d’agilité. La production est lancée pour des essais prévus en Novembre. Mais au même moment, revirement brutal : le directoire Porsche annule purement et simplement le projet LMP2000.
Malgré tout, le staff aura l’autorisation d’achever le prototype et d’effectuer deux journées de roulage à Weissach, avec Allan McNish et Bob Wollek au volant. Les pilotes feront remonter d’excellentes sensations, mais les instructions seront longtemps très claires : le projet n’a jamais existé ! Deux photos prises par un amateur permettront à la presse de faire couler de l’encre, et il faudra attendre 2015 pour que Porsche daigne enfin communiquer sur ce projet avorté.
Faire place à Audi ?
Mais au fait, pourquoi le LMP2000 n’a-t-il jamais couru, à cause de cet arrêt brutal venu d’en-haut ? Plusieurs raisons ont été avancées et demeurent encore floues de nos jours : éviter une concurrence contre-productive avec Audi qui allait recevoir la primauté en Endurance (avec le succès que l’on sait), challenge moins prestigieux avec le retrait massif des constructeurs (Mercedes stoppe tout après ses CLR volantes, BMW part en F1, Toyota se prépare pour 2002), etc. D’autres raisons internes au groupe VAG furent évoquées : un accord aurait été conclu entre Wiedeking, le patron de Porsche, et Ferdinand Piech, celui de VW, pour coopérer sur le développement d’un projet révolutionnaire pour l’avenir de la firme de Weissach : le SUV Cayenne. Ce nouveau modèle stratégique profitait ainsi du redéploiement d’une partie du staff compétition et de l’aide technique et industrielle de Volkswagen. On connaît la suie !
La LMP2000 n’a jamais couru, mais ses entrailles n’ont pas été faites en vain : le V10 fut modifié, dégonflé et adapté pour la série sur la Porsche Carrera GT, tandis que le châssis servit de base au développement du prototype RS Spyder en 2005, qui décrocha de nombreux succès dans la catégorie LMP2 du championnat d’Endurance nord-américain ALMS. Quand à ce prototype « secret », il fit sa première apparition publique…en 2018, à Goodwood !
Images : Porsche, flickr, wikimedia
source : Mulsanne’s Corner
Magnifique. Merci. Porsche, avec l’aide de Roger Penske, a pris une magnifique revanche sur Audi avec les RS Spyder en leur infligeant de retentissantes raclées en ALMS. La RS Spyder a certainement hérité des qualités de le LMP2000.
Raclées bien aidées par un règlement « permissif », en Europe les RS Spyder n’ont jamais battu les LMP1!
Si au Hungaroring en 2010, pourquoi? Car c’est l’un des seuls circuit européen qui avait globalement les mêmes caractéristique que les américains, résultat les châssis plus léger des LMP2 offrait un gros avantage.
En 2008 en ALMS ils ont alourdis les LMP2 pour diminuer ce gain
Serait-ce la première victime d’un SUV?
Accessoirement anecdote qui manque, lorsqu’ils ont parler du moteur en comité, la personne ayant dit que le flat 6 était le défaut et qu’il fallait autre chose, il a déclaré « Si les regards pouvaient tués je ne serais pas la aujourd’hui »
A nouveau un grand merci pour cet article !!
?
Tellement de mystères (ou presque) autour de ce proto que c’est fascinant 🙂
Encore un bel article.
« le SUV Cayenne. Ce nouveau modèle stratégique profitait ainsi du redéploiement d’une partie du staff compétition et de l’aide technique et industrielle de Volkswagen. On connaît la suie ! » –> Belle fin de phrase, une faute qui cache un beau lapsus révélateur ^^
Sinon petite confusion à propos de la 911 GT1 : Elle a commencé à courir en « 993 GT1 » dès 96, avant d’être restylée en « 996 GT1 » (la 911 GT1 Evo) pour 97. Elles se basent étroitement de la cellule du modèle de base (en tout cas il y a de la tôle d’acier) avec châssis tubulaire, et font face aux CLK-GTR en 97.
Le modèle de 98 n’a plus rien à voir et même s’il y a eu une version « de route » (comma la Toyota GT-One..), on est vraiment sur un tout nouveau proto, avec chassis en carbone contrairement aux précédentes versions, d’où l’évolution de la CLK-GTR en CLK LM (qui change bien plus qu’il n’y parait) pour faire face avant de finir en proto CLR en 1999 pour le LMGTP. Je pense que la 911 GT1 98′ était faite aussi pour répondre à ce règlement 99′ comme la GT-One.
Du coup, le premier châssis carbone utilisé par Porsche en compétition est bien celui de la 911 GT1 de 98′. 🙂
Le plus gros changement entre les CLK GTR et LM outre sa face avant avec des ouvertures plus grandes pour la LM, c est le passage du V12 au V8 des Sauber C11.
Oui, mais je voulais dire qu’en réalité, il n’y a rien en commun entre la CLK-GTR et la CLK LM, tout change, pas seulement la face avant. Je ne parle pas de la CLR mais bien de la CLK LM. Je vous laisse jouer au jeu des 7 « erreurs » 😀
Juste pour apporter de petites précisions : Le cockpit est plus étroit (comme entre les 911 GT1 97′ et 98′), regardez également la forme des portes, le positionnement des poignées, les jonctions entre les panneaux de carrosserie etc…
Tout dans la subtilité, mais rien en commun comme je disais 😀
Whouaaa, un -1 à mon commentaire initial, quel courage pour celui qui a cliqué sur le ?
En quoi ça mérite une telle « note » ? Je suis curieux de savoir ! Allez, n’ayez pas peur, je suis ouvert à la critique ?
Faire place à Audi …
En 2014 ils ont rangé leurs scrupules dans leur poche en dévoilant la 919 Hybrid face à l’Audi R 18.
919 Hybrid : Quatre saisons, trois titres WEC et trois victoires au Mans. Les Audi battues à plate couture malgré un règlement ad’hoc.
Là n’est pas la question.
Rien ne dit que cette LMP2000 n’aurait pas battu les Audi à l’époque. Elles n’avaient d’ailleurs pas encore commencé leur longue période de domination.
Je veux juste dire que Porsche n’y est pas allé pour ne pas gêner le nouveau venu Audi mais n’hésite plus à le faire quelques années après (avec le succès que l’on sait)
La santé de la marque Porsche n’était pas comparable à la sortie des années 90 et en 2014…
Intéressant! On avait déjà connaissance de cette auto dont les photos tournent sur internet, par contre, j’apprends que le V10 n’était donc pas tout nouveau mais datait de l’aventure Footwork F1 (après l’échec du V12). Quand on sait que la Carrera GT est sortie en 2003, il y a donc fallu attendre une grosse dizaine d’années pour que Porsche finisse par trouver une utilisation effective à son V10! Tout vient à point qui sait attendre…
Peut-être juste un point qui peut manquer, la 911 GT1 98 pouvait être « rentabilisée » sur l’ensemble d’une saison en 1998 dans le GT FIA, mais en 99, les GT1 y ont été interdites au profit des seules GT2. L’auto n’aurait pu courir qu’au Mans. Mais en dehors de sa victoire du Mans et 1 en GT FIA, la 911 GT1 98 n’était pas si réussie: laminée en GT par la Mercedes et victorieuse au Mans surtout par sa fiabilité: la Toyota GT One était bien plus rapide par exemple. Alors indépendant, on disait que Porsche n’avait pas les moyens de lutter face aux grands constructeurs.