Épisode 1 : à la recherche du spectacle
Sus aux aides électroniques !
Sous l’impulsion de Max Mosley et de la FIA, la règlementation technique de la Formule 1 prend un changement radical pour 1994, en prohibant les assistances et systèmes électroniques sophistiqués qui avaient permis aux F1 des années 92-93 de faire un énorme bond en performance. L’interdiction avait failli être instaurée dans le courant de la saison 1993, mais en raison des importantes dépenses que cela aurait nécessité pour mettre en conformité les voitures, la décision avait été reportée pour l’entame de la saison suivante. La Williams FW15C avec laquelle Alain Prost remporta son ultime titre en 1993 représentait la quintessence de cette course effrénée à la technologie : suspension active, ABS, antipatinage, direction assistée, télémétrie intelligente avec communication et réglages à distance, transmissions semi-automatique puis automatique, système de launch control, etc. Le pilote d’essais David Coulthard avait même essayé en fin de saison une FW15C équipée d’une transmission à variation continue (CVT) qui avait visiblement explosé de plusieurs secondes les temps de référence, avant que les autorités ne s’empressent d’interdire le système. Véritables Airbus roulants (ou TGV des circuits, comme on veut), ces monoplaces bourrées de high-tech furent ainsi condamnées, ces systèmes électroniques étant considérés comme des aides à la conduite dévalorisant le pilotage et un facteur dangereux de course aux armements et donc d’explosion des coûts. L’autre raison, officieuse, était aussi de rebattre les cartes et de contrecarrer l’outrageuse domination de Williams, qui avait survolé les saisons 1992 et 1993 en combinant le meilleur développement des systèmes électroniques sophistiqués et l’emploi du V10 Renault, moteur de référence du plateau.
Autre nouveauté motivée par le spectacle, le retour des ravitaillements en carburant, qui avaient été interdits à l’issue de la saison 1983. C’est Bernie Ecclestone qui avait poussé en ce sens, en profitant des négociations qui s’étaient crispées entre la FIA et les équipes à propos des aides électroniques. Les équipes avaient globalement rejeté l’initiative, source de nouvelles dépenses, sauf Ferrari qui avait appuyé la réforme. Ses V12 gloutons pouvaient en effet tirer partie des nouvelles stratégies d’essence induites par les ravitaillements dans les futures courses. Avec l’introduction des « stop and go » et de la Safety Car en 1993, la F1 calquait décidément toujours plus ses règles sportives sur le championnat CART (Indycar). Le grand championnat de monoplaces rival d’outre-atlantique est alors en plein essor au début des années 90, avec un calendrier qui s’internationalise et l’arrivée de pilotes très attractifs médiatiquement, comme Nigel Mansell, qui avait rejoint le CART après son titre 92 avec Williams et remporté dans la foulée le championnat américain en 1993. Avec le retrait de Mansell qui se plaît à ravir chez Newman Haas puis la retraite de Prost, une page s’est tournée et beaucoup considèrent que la saison 1994 sera une « promenade de santé » pour le tandem Senna-Williams, en dépit de la montée en puissance de Benetton et de son jeune leader, Michael Schumacher.
Essais hivernaux : mauvais augure ?
Max Mosley avait justifié l’interdiction des aides électroniques en arguant que ces systèmes pouvaient être « dangereux et imprévisibles ». En effet, les bugs n’étaient pas rarissimes et avaient perturbé les pilotes en 1993. Prost avait eu bien du mal à dompter sa Williams lors des essais hivernaux, la faute à un train arrière rendu capricieux par l’électronique. A Monaco, Senna avait été catapulté dans le rail à Sainte-Devote sans comprendre pourquoi. Berger avait frôlé le pire en partant en travers à la sortie des stands du grand prix d’Estoril sous le nez de Derek Warwick. Triste ironie du sort, Senna, qui n’avait jamais caché son aversion pour les aides électroniques, déclara que la saison 1994 risquait de connaître de nombreux accidents étant donné que l’interdiction des aides électroniques n’était pas allée de pair avec une réduction des performances des monoplaces.
Justement, les essais hivernaux ont suscité bien des interrogations et des doutes pour Ayrton Senna, qui a enfin obtenu le volant Williams, le plus courtisé de tous. Outre que le départ de Prost laisse un grand vide pour le champion brésilien, privé de celui qui avait été le moteur de sa rage de vaincre, le brésilien a du mal à s’adapter à l’atmosphère typique de Williams, qui n’a rien à voir avec le cocon dans lequel il évoluait chez McLaren. Senna n’est pas choyé à Didcot comme il l’était à Woking. Mais pis encore, le brésilien ne sent pas sa voiture. Il se plaint d’une position de conduite inconfortable mais surtout des réactions désarmantes de la FW16. La nouvelle monoplace Williams se révèle très délicate à conduire et difficile à mettre au point, car son aérodynamique et son châssis ont été développés sur la base de ses devancières, qui avaient été construites autour de la suspension active et des systèmes électroniques. Williams a du mal à se réadapter à la suspension passive et, de l’aveu même d’Adrian Newey quelques années plus tard, s’est fourvoyé en concevant « une mauvaise voiture ». Privée des artifices électroniques, la FW16 se montre caractérielle et très sensible aux changements de hauteur de caisse, avec une tendance au décrochage soudain du train arrière sur les bosses. Senna n’affiche pas la confiance habituelle à l’aube de la saison.
Quoi qu’il en soit, les performances des f1 ont considérablement progressé au début des années 90 alors que leur sécurité passive et celle des circuits n’ont pas connu d’évolutions majeures récentes. Pourtant, Max Mosley pouvait déclarer à la presse en début d’année que la F1 était sûre et que « personne n’a été tué en course depuis 11 ans », faisant référence à la mort de Ricardo Paletti en 1982 (mais oubliant le décès, certes en essais, de Elio De Angelis au Castellet en 1986). Au contraire, les systèmes électroniques avaient été cloués au pilori comme fauteurs d’accidents. L’énorme crash de Zanardi dans Eau rouge à Spa en 1993 avait été analysé par les experts comme une défaillance de la suspension active. De ce fait, leur interdiction pouvait être perçue aux yeux de certains comme une avancée sécuritaire. Mais, confirmant l’augure de Senna, le début de la saison 1994 est marqué rapidement par plusieurs crashs violents infligeant des blessures assez sévères aux pilotes. Le 21 Janvier, JJ Lehto sort à haute vitesse dans le virage de Stowe au volant de sa Benetton durant des essais sous la pluie à Silverstone. L’impact, très violent, entraîne pour le finlandais une fracture du cou et une perte de connaissance. Lehto échappe par miracle à la paralysie mais ne retrouva jamais son potentiel. Il serra définitivement grillé chez Benetton aux côtés de Schumacher.
Le 30 mars, c’est au tour de Jean Alesi, quelques jours après le grand prix du Brésil. Alors qu’il teste la Ferrari 412 T1 sur le circuit du Mugello, Alesi quitte la piste au virage Arrabbiata, à une vitesse de 260 km/h, et heurte les barrières, d’abord à l’arrière de la voiture, puis à l’avant. Jean reste inconscient pendant quelques instants, mais reprend connaissance. Le diagnostic, réalisé à Paris par le professeur Gérard Saillant, révèle que le conducteur français a eu un sévère tassement des cinquième, sixième et septième vertèbres cervicales. Et pourtant, les accidents de Lehto et d’Alesi n’éveillent pas davantage les soupçons, comme si ces accidents s’étaient banalisés…Comme souvent, il va falloir une immense tragédie pour réveiller les consciences. Les transformations n’en seront que plus profondes.
Images : wikimedia commons, flickr
Une année épouvantable… Deux morts, des blessés, des fortes suspicions de tricherie. Heureusement jamais reproduit dans cette ampleur.
Crash également pour Barichello le vendredi, puis les 2 drames de samedi et dimanche, et ensuite Wendlinger au gp de Monaco lors des essais qui restera dans le coma un bon moment !
Du coup l’on a vu apparaître des trucs stupides comme une chicane dans le raidillon et même à à Barcelone..
Mais pour moi, la vrai dernière saison de F1, avant que les coûts explosent et que le spectacle soit nulle reste celle de 1997 avec la Prost Mugen Honda qui marchait et panis qui pointait 3eme du championnat avec son crash au canada.
Dès 1998 et les pneus rainurés, c’est devenu chiant
La fin d’une époque. La mise sur orbite de Schumi qui malgré tous les titres qui ont suivi n’a jamais dû affronter Senna. Tout le monde attendait dans les années qui devaient suivre ce duel en forme de passation de pouvoir. Lauda / Prost puis Prost / Senna tous attendions Senna / Schumacher .
A lire jusqu’au bout (j’avais déjà mis le lien, je le remets 😉 ).
Alain Prost : « Aujourd’hui, dans le monde entier, vous ne pouvez pas dire Prost sans dire Senna » :
https://www.franceinter.fr/sports/alain-prost-aujourd-hui-dans-le-monde-entier-vous-ne-pouvez-pas-dire-prost-sans-dire-senna?utm_medium=Social&utm_source=Twitter#Echobox=1548671835
Super article. Hâte de lire la suite.
Excellent article. Et bien écrit. Merci
Toute une époque… Les dernières passes d’armes sans bridages, les derniers chiens fous…
Une fois cette année passée, Schumacher s’est retrouvé bien seul, comme dernier des Mohicans, face à toute une jeunesse formatée aux limites sécuritaires.
Je ne dirais pas que je trouve bien les morts de cette année et des précédentes, mais une fois 1994 passée, on a mis le curseur bien trop loin dans la direction opposée, sportivement parlant. Les correctifs mécaniques et de protection sont toujours bons à prendre, mais on a aussi trop bridé les affrontements en piste entre pilotes, et ça, c’est triste.
Lisez mon livre sur cette période : dispo chez thebookedition.com et décrié dès sa parution par les français bien pensants, alors que la rédaction de Motorsports très intéressée renonça elle à publier pour ne pas se mettre à dos les constructeurs de châssis british ! Mais la simulation faîte avec Tyrrell prouvait ce que j’ai écrit, et la récente biographie de Newey lève complètement le doute.