25 ans déjà : Adélaïde 1993, la fin d’une époque

Derrière, Alain Prost termine 2e de son 199e et ultime Grand Prix. A Estoril, quelques semaines plus tôt, le professeur avait annoncé sa retraite. Titré une 4ème fois avec Williams-Renault, Alain Prost estimait n’avoir plus rien à prouver après avoir réussi son comeback. Surtout, il avait été usé par les manœuvres politiques de la FIA visant à freiner la domination de son équipe et par les tensions avec la presse française. La « politique » de la F1 l’avait dégoûté.

Pour une dernière fois donc, Ayrton Senna et Alain Prost se retrouvent sur un podium. Une situation qu’ils ont vécu à… 41 reprises – coïncidence des chiffres- mais qui s’était souvent traduite par un froid glacial. Le premier, c’était le fameux Grand prix de Monaco 1984 disputé sous une pluie diluvienne, que Prost avait remporté in extremis après l’interruption de la course, alors que Senna, sur sa modeste Toleman, remontait sur lui comme une flèche. Leur premier podium commun avait donc eu un parfum de polémique, le brésilien hurlant à la victoire volée. Un présage pour la suite !

« Cordiale » et respectueuse en 1988, la relation Prost-Senna avait dégénéré à partir de 1989 : la hache de guerre avait été déterrée à Imola après l’affaire du pacte de non-agression rompu lors du 2e départ de la course. Sur ce podium-là, Prost, 2e derrière Senna, avait refusé de sabler le champagne. On connaît bien la suite : la guerre psychologique et la guerre des mots, l’accrochage de Suzuka de 1989 et la disqualification de Senna, l’accrochage délibéré de Suzuka en 1990, etc. En 1993 aussi, les attaques à fleurets mouchetés avait repris de plus belle : à Donington, non content d’avoir donné une leçon sur la piste à Prost, Senna avait malicieusement humilié le Français en conférence de presse, en lui proposant, suite aux complaintes de Prost sur sa monture, de les échanger. Sur le podium de Suzuka, précédant l’ultime duel d’Adélaïde, l’ambiance était restée gelée, ce qui avait même incité Mika Hakkinen, sur la 3e marche, à plaisanter pour essayer de détendre l’atmosphère. Prost et Senna avaient convenu d’un geste de réconciliation et le français  s’attendait à un geste du Senna au Japon, mais il avait compris que le premier pas viendrait du brésilien.

A Adélaïde, une fois les pilotes garés dans le parc fermé, les images filment les coulisses : Senna sort de sa McLaren, chaleureusement félicité par Ron Dennis. Après 6 saisons d’anthologie, le brésilien achevait son aventure avec McLaren pour prendre la place de Prost chez Williams en 1994. Puis vient le tour de Prost de garer sa Williams et de sortir de sa voiture. Les deux hommes feignent de s’ignorer, s’hydratent, se frictionnent indéfiniment leurs cheveux trempés de sueur, Prost s’attarde à scruter l’arrière de sa Williams. Comme s’ils hésitaient…Ron Dennis vient aussi féliciter le français. Et puis soudain, alors que les pilotes sont conviés à monter sur le podium, une poignée de main fugace entre Senna et Prost. Et enfin sur le podium, après les hymnes, le brésilien tire la manche du français pour l’inviter à le rejoindre sur la plus haute marche, devant un public en transe. Lors de la conférence de presse, les deux hommes se saluèrent respectivement. Prost insista sur la nécessité de retenir les bons côtés, les moments glorieux de leur rivalité. Senna avait du mal à contenir son émotion : avec le départ de Prost, c’est aussi une part de lui-même, de sa vie, de sa carrière, qui s’en allait. Senna encaissait mal la décision de son « meilleur ennemi », tant il s’était construit  à travers l’antagonisme avec son rival de toujours. Il demanda encore à Prost le soir du Grand Prix si sa décision était irréfutable et réelle.

Après les années de guerre, l’ultime confrontation se soldait par une superbe réconciliation. Une image forte restée dans les annales.Ce rapprochement sera de nouveau mis en évidence aux Masters Kart de Bercy, puis par une ultime déclaration poignante, le fameux « i miss you Alain » d’Imola, que Senna avait adressé à Prost pendant l’enregistrement de son commentaire audio du circuit pour TF1…deux jours avant le funeste 1er mai 1994.

La fin du duel le plus époustouflant de l’histoire de la F1, la dernière course de Prost, la dernière victoire de Senna, qui partait de McLaren. Oui, Adelaïde 1993 marquait la fin d’une époque. 1994 en ouvrira une autre, bien plus tragiquement.

(9 commentaires)

  1. Concernant le GP de Donington, la performance de Senna aura été mise en évidence aussi par la grosse contre-performance des Williams: Patrick Head expliqua il y a peu que les voitures avaient pris le départ avec un setup de suspensions-actives réglé pour le sec. Le fond plat des Williams ultra-bas surfait sur la couche d’eau qui recouvrait la piste: les voitures étaient en aquaplaning total et donc à l’arrêt.
    Par ailleurs, si la Williams dominait largement grâce à son moteur, côté châssis la McLaren était la meilleur: toujours très facile et parfaitement équilibrée, elle permettait à Senna de faire des miracles.
    Faut aussi avouer que le V8 Ford était plus compact et moins vorace que le V10 Renault: cela compensait en partie le déficit de puissance du bloc Ford.

    Bref, les railleries de Senna qui devait en plus être au courant des soucis de Williams n’étaient pas très sport sur le coup.

    1. en F1, les qualités de la voitures sont primordiales. Les pilotes sont tous bons, la voiture fait LA différence

      1. @amiral_sub : oui et non.
        Sinon les coéquipiers dans une même écurie seraient à égalité sur l’ensemble de la saison 😉

        En F1 comme dans d’autres sport mécaniques, c’est le couple pilote+voiture qui fait la différence.
        Soit on peut adapter la voiture (ou la faire concevoir « autour » de soi) soit on doit s’adapter à elle.
        En rallye, c’est souvent la seconde option (cf itv sur le RACC https://www.leblogauto.com/2018/10/wrc-racc-2018-toyota-gazoo-racing-performant-malchanceux-toujours-determine.html )
        En F1, on prend souvent un pilote #1 et on bâtit la voiture autour de lui, pour lui.

        Par exemple, en 1995, Alesi est chez Ferrari. Il remporte le Canada.
        Pendant ce temps, Schumacher est largement sacré avec la Benetton.

        En 1996, échange entre les deux. Schumacher réussit à gagner 3 fois mais est « largué » niveau point face à Hill.
        Alesi lui peine même s’il monte sur 8 podiums. Pourquoi ? De son propre aveu, la voiture n’est pas conçue pour lui.
        Berger fait pire alors qu’il a la même voitures. Lui aussi n’aime pas comment la voiture est conçue.

        De son côté, Ferrari doit patienter 1 an de plus pour avoir une voiture capable de jouer le titre (on sait ce qu’il est advenu en 1997…).
        Et le sacre aurait dû arriver en 1999 soit 3 années pleine pour concevoir une voiture autour de MSC.

        Après oui, un champion du monde dans un tréteau n’ira pas vite. La voiture plus qu’avant est primordiale vu les écarts qui se font sur des différences minimes.
        Ca pourrait être intéressant d’ailleurs de mettre un Vettel ou Hamilton dans une Williams de cette année par exemple.
        Histoire de voir si le pilote ne fait pas LA différence 🙂

    2. Au delà de l’aspect technique pour lequel il a rencontré beaucoup de difficultés en passant chez Williams, il s’est également mieux rendu compte du fonctionnement assez spécial du team, dont la réputation a toujours été de considérer ses pilotes comme de simples « employés », quelque soit leur statut ou leur palmarès.
      Il s’est d’ailleurs souvent ému de cette ambiance particulière auprès de son néo-confident Prost, qu’il consultait aussi parce qu’il connaissait la maison.

      1 an après Donington, tout ça ne manque pas d’ironie.

  2. Il y a beaucoup de spéculations sur ce que serait devenue la carrière de Senna sans Imola 94 : aurait-il aligné les titres avec une voiture enfin au niveau qu’il souhaitait ? Combien ? Ou alors, se serait-il fait bouffer par ce jeune loup allemand aux dents très aiguisées ? Et quand serait-il enfin allé chez Ferrari ?

    A mon sens, avec le départ de Prost, une partie de son âme de compétiteur est restée à Adélaïde, et ses repères avec.
    La fameuse (et prémonitoire ?) complainte à Imola 94 « I miss you Alain » aide je pense à comprendre son réel désarroi d’avoir perdu son ennemi de toujours, comme si la course avait désormais moins de sens sans son aspect antagoniste.

    Certes, le contexte de ce WE violent et funeste l’a fatalement bouleversé, au point que Prost dira de lui avant la course « qu’il n’est pas complètement comme d’habitude, quelque chose ne va pas ».
    Mais on ne plus dire que le Senna d’après Adélaïde 93 était celui que tout le monde a connu, et personnellement, à me replonger dans cette époque, j’ai comme un sentiment de vertige.

  3. Je crois même que MSC s’étonna, juste après ses premiers tests avec la 412T2 (celle de 95 avec le V12, juste avant de passer au V10), que Ferrari n’ait pas été champion du monde avec un moteur pareil.

    De mémoire, mais les sources sont difficiles à trouver.

    1. Perso j’ai lu le total opposé: où MSC se demandait comment Alesi pouvait aller aussi vite avec un tel sac à dos: le V12 Ferrari etait très lourd et vorace ce qui affectait à la fois l’équilibre châssis et les performances.
      Vnéant de l’excellente B195 il avait trouvé la comparaison difficile.

      1. Ca m’intéresse de savoir pour les sources, parce que Wiki (avec 15 millions de pincettes) dit ceci :
        Schumacher tested with the 412 T2 and declared the car to be « good enough to win a world championship ».
        Et toutes mes recherches ont pointé vers des scans d’articles italiens qui pointaient plus ou moins dans le même sens, mais je n’ai vraiment réussi à trouver le bon verbatim, tout du moins une interview vidéo.
        Je crois aussi me rappeler qu’il n’était pas très élogieux sur la F310, notamment son trop jeune V10, et qu’Irvine n’a jamais compris comment Schumacher a pu gagner 3 GP avec.

        Pour la B195, il disait en 2010 que c’était une monoplace « aérodynamiquement compliquée, difficile à conduire. Un cauchemar à certains moments« , chose que Berger a confirmé en la qualifiant fin 95 « d’inconduisible ».
        Même si elle a quand même fait gagner 2x Herbert !

        1. Je pense qu’il cherchait à se mettre en avant tout comme brosser Ferrari sur la 412T2 soit disant capable de gagner un championnat.
          Faut pas oublier aussi que Olivier Panis remporta Monaco 96 avec une Ligier qui n’était qu’un clone de la B195 à moteur Honda.
          Benetton aura se sera presque mis en faillite pour développer la B195 jusqu’au bout d’où les résultats médiocres en 1996: Alesi et Berger en auront fait les frais.
          La 412T2 marquait une belle évolution de la 412T1 en terme de fiabilité surtout et visait régulièrement le podium, sa vitesse pure était excellente sur les circuits rapides de l’époque mais son équilibre trop délicat sur tous les autres : suffit de voir les classements en qualification.

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