30 ans déjà : le premier titre mondial d’Ayrton Senna

Armée de la fameuse Mp4/4 conçue par Steve Nichols et Gordon Murray, l’écurie britannique gagna 15 des 16 courses au programme, ne devant qu’à la malchance d’un accrochage de Senna à Monza d’avoir manqué le grand chelem. Ron Dennis, qui avait déclaré à l’entame du championnat vouloir remporter toutes les courses, rata de peu son orgueilleux défi.

Auréolé de son passage remarquable chez Lotus, arrivé à Woking en même temps que Honda – qui tenait le brésilien en haute estime- Senna faisait équipe avec un Prost solidement installé chez McLaren, une équipe qu’il avait construit autour de lui et avec laquelle il avait décroché les titres 1985 et 1986. Le ton de la saison, tout du moins au début, fut celui d’une « entente cordiale » entre Prost et Senna. Les deux pilotes avaient des styles de pilotage diamétralement opposés, des personnalités différentes mais ils se ressemblaient dans leur méticulosité, leur souci perfectionniste du détail, leur infaillible soif de vaincre… et leur paranoïa. Senna respecte Prost mais rêve de le détrôner, un but qui finira par tourner à l’obsession. Prost se méfie de l’aura charismatique de son équipier, qui semble faire son effet sur l’équipe McLaren et sur Honda et qui à terme pourrait menacer sa position au sein du team.

Le professeur contre Magic

Le début de saison avait tourné à l’avantage de Prost, pas mécontent de cueillir une victoire inespérée à Monaco. Après avoir humilié le Français en qualifications en lui collant 1,5 seconde, Senna avait outrageusement dominé la course jusqu’à son improbable bévue du 66e tour, lorsqu’il percuta le rail alors qu’il avait course gagnée et 50 secondes d’avance. Cet échec avait été l’occasion pour Prost de lancer les premières salves de la guerre psychologique à l’encontre de son rival, le français vantant son expérience face à la fougue encore mal maîtrisée de Senna. Par la suite, Senna avait enchaîné magistralement entre le Canada et la Belgique par 6 victoires en 7 courses. Littéralement dépassé en vitesse pure par Senna, Prost résistait bien en course mais cependant, les tensions commencèrent à poindre. Prost est raillé par les médias après son retrait volontaire sous le déluge britannique et moqué pour ses déclarations assez défaitistes à Spa, après une nouvelle démonstration du brésilien qui avait poussé le français à déclarer que le titre était perdu. En interne, le Français sent aussi que le vent tourne et que McLaren considère Senna comme l’avenir. Handicapé régulièrement par des « ratés » du V6 Turbo Honda, Prost s’agace et met en doute l’égalité de traitement que le motoriste japonais est censé garantir entre les deux pilotes.

Le premier tournant grave de leur rivalité se produit au Portugal. Après un départ musclé entre les deux hommes, le duel prend une tournure folle au second tour. Blotti dans l’aspiration de Senna à la sortie de la parabolique qui débouche sur la ligne droite des stands, Prost se décale brusquement pour doubler le brésilien, lequel tasse violemment son rival contre le mur. Lancées à 300 Km/h, les monoplaces manquent de se toucher et Prost frôle de très près du muret des stands, si près que les panneauteurs et techniciens installés sur le muret des stands se jettent à terre ! Après la course, Senna se défend et parle d’une passe d’armes virile mais correcte, ce qui n’est pas de l’avis des autorités sportives qui lui infligent un avertissement, ni de Prost qui ravive la guerre psychologique, accusant Senna d’être dangereux et d’être prêt à tout – y compris mettre sa vie et celle des autres en danger –  pour vaincre.

Une fin de saison polémique

Au grand prix suivant en Espagne, l’ambiance s’est nettement refroidie, Prost et Senna s’évitent.  Jean-Marie Balestre, l’impétueux et intraitable président de la FISA, s’immisce dans ce combat de coqs et prétend vouloir calmer tout le monde, mais les médias mettent en doute sa partialité dans le litige entre Senna et Prost. Bien au contraire, la révélation d’un courrier- censé resté confidentiel- adressé par Balestre à Honda, intimant aux japonais de garantir une équité technique entre les deux candidats au titre, lance « l’affaire Honda ». Les performances parfois erratiques du moteur japonais et les plaintes, tantôt de Prost, tantôt de Senna, sur leurs ennuis mécaniques donnent du grain à moudre aux complotistes, les fans de l’un accusant l’autre d’être favorisé. Au soir du grand prix d’Espagne en effet, Senna, qui avait souffert sur les dernières courses de surconsommation contrairement à Prost, avait fait des déclarations sibyllines à la presse sur une prétendue « iniquité » de traitement sur la qualité des V6 turbos. Honda, en affirmant via un maladroit communiqué de presse, être « prêt, pour ces deux derniers Grands Prix, à donner à ses pilotes une égale chance de vaincre », avait attisé le feu des rumeurs.

Au Japon, polémique ou pas, Prost doit vaincre. En effet, en raison du barème de points de l’époque qui ne retient que les 11 meilleurs résultats, les « points intermédiaires » acquis par Prost ne servent à rien. Le système donne la prime à la victoire, domaine dans lequel Senna a nettement pris le dessus sur le Français par 7 victoires à 5. Au départ, c’est la catastrophe pour le poleman Senna qui manque de caler au départ et s’élance sur le 3e rapport. Scotché sur la grille, il voit Prost partir loin devant et s’engage dans une folle remontée depuis la 14e position. Senna pointe à 10 secondes de son équipier au 15e tour, mais Prost est étonnamment harcelé par la March de Capelli. Peu à peu, un léger crachin humidifie en partie la piste. Dans ces conditions compliquées, Senna est à son avantage et grignote l’avantage de Prost, qui commence d’ailleurs à buter sur des retardataires.

Alors que Capelli doit renoncer sur panne mécanique, Senna recolle Prost au 20e tour et lui met la pression. Au 28e tour, Prost arrive sur une bagarre d’arrière-garde entre Gugelmin et De Cesaris. Le Français hésite pour dépasser l’imprévisible romain, ce dont profite Senna : à la sortie de la chicane, le brésilien prend l’aspiration de Prost qui ferme timidement la porte. Le brésilien parvient néanmoins à s’engouffrer dans l’ouverture et prend la tête. Prost ne le reverra plus. Senna gagne avec 13 secondes d’avance et décroche son 1er titre mondial au Japon, pays qui l’adulera toujours.

Le pire reste à venir…

Enfin soulagé, Senna se livre dans l’après-course, étalant devant la presse sa grande religiosité et saluant l’énergie de sa foi chrétienne lui ayant permis de vaincre. Des propos qui vont contribuer à forger le « mythe » Senna, personnage atypique et mystique, mais qui susciteront aussi des railleries. Prost accepte la défaite, espérant que le titre mondial permette à un Senna délivré d’être plus accessible et d’améliorer les relations entre eux. Lors de la soirée festive offerte par Senna à son équipe, Prost est présent et plaisante avec celui qui l’a détrôné. Rendez-vous est donné pour une belle revanche l’année suivante.

1989 démentira rapidement cette espérance…

(17 commentaires)

  1. Même si son accident en mondovision a ajoute un côté “destin tragique “ et a contribué à sa légende , il reste pour moi le meilleur pilote aver Prost,il a marqué l histoire de la F1 avec son palmarès impressionnant en seulement 10 saisons. Vraiment l époque dorée de la F1 avec des pilotes charismatiques, des voitures pas toujours fiables qui rendaient les courses plus intéressantes et aussi un risque omniprésent . Combien de titres aurait il obtenu sans ce drame?

    1. Certainement 2 titres supplémentaires… Mais bien sûr, c’est évidemment invérifiable. (chacun aura son avis.)
      Au Brésil, il était considéré, par certain, comme la réincarnation de Jésus-Christ… Ça en rajoute dans sa légende ! 😉

    2. Difficile à dire.
      Il ne faut pas oublier que 94, saison de sa mort, est le tournant de la F1 qui va tendre vers une professionnalisation à outrance de la discipline (plus de possibilité de faire 1 seul GP, écuries à 2 voitures, fiabilité en hausse, obligation de faire 1 châssis par saison, etc.).

      Savoir s’il est le meilleur pilote, difficile aussi.
      Lauda était une machine à courir, avant lui Fangio a bravé la mort à une époque où elle était présente plusieurs fois dans la saison.
      Après lui (en partie en même temps), Schumacher a su fédérer une équipe derrière lui pendant des années.
      Là Hamilton réussit à gagner avec 2 écuries, sur 2 technos moteurs différentes (Kimi est le seul pilote à avoir gagné en V10, V8 et V6 hybride sauf erreur), avec une concurrence largement revenue à hauteur.

      Senna avait une qualité indéniable. Celle de pouvoir faire des tours qualif quand il voulait.
      C’est aussi une caractéristique qu’avait Schumacher ou qu’a Hamilton.

    1. La fin d’un monde ? Pas sûr …
      Une époque où deux voitures prenaient un tour au troisième qui était le « meilleur des autres ». Et cette domination n’était pas dû qu’à ses deux pilotes vedettes !
      Rien n’a changé, enfin si… aujourd’hui le meilleur des autres est le sixième.

      1. Sisi avant une équipe de seconde zone pouvait prétendre à la victoire: car outre la fiabilité aléatoire, les GP avaient lieu sous la pluie, pas comme maintenant.
        Suffit de voir les Leyton House au GP du Paul Ricard 1990

        1. Pas plus que la victoire improbable de Maldonado en 2012 à Barcelone.
          La fiabilité aléatoire … pas pour les McLaren-Honda MP4 plus fiables et plus imbattables que les Mercedes d’aujourd’hui.
          Alors oui, pour McLaren et pour Honda les temps ont bien changés mais pour le reste …

  2. Je crois qu en voyant le résultat de D. Hill qui finit à 1 point du Schumacher, et étant donner les qualités supérieures de Senna , le brésilien aurait eu de grande chance de remporter le titre 94.
    Schumacher n aurait de toute façon pas eu la même carrière , je pense que Senna aurait un jour ou l autre rejoint la Scuderia
    Mais bon ça reste de la science fiction ou un rêve….

    1. @Nico
      Il aurait eu le titre 94, le 95 également à la place de Damon Hill et peut être le 96, s’il restait chez Williams, car dans ce cas Jacques Villeneuve n’aurait peut être pas été embauché en 95.

      1. Après relecture de l’époque et si il ne changeait pas décurie, il aurait pu aligner 4 titres sur la Williams dominatrice de ces années là. 94,95 (Schumacher), 96 (Hill), 97 (Villeneuve)

        « En 1995, Hill fait équipe avec David Coulthard préféré à Mansell. Face à Schumacher et Benetton-Renault, l’Anglais est impuissant et commet de nombreuses erreurs. Williams ne remporte que cinq victoires et finit second au championnat. En 1996, Williams conserve Damon Hill qui fait équipe avec le novice Jacques Villeneuve. La FW18 est très performante et Hill devient champion du monde avec huit victoires. Hill déçoit en fin de saison, se laissant rattraper par Villeneuve et quitte l’écurie en 1997, où il est remplacé par Heinz-Harald Frentzen »

  3. Senna allait bel et bien rejoindre Ferrari. Il comptait faire une ou deux saisons chez Williams puis rejoindre la Scuderia.
    En tout cas, ça a été une très grande perte pour la F1.

  4. Simply the best…….ayrton senna reste pour moi « le » meilleur pilote de F1….la passion…aujourd hui aucun pilote n’est capable de nous faire ressentir une telle passion …si vous avez l occasion ou si vous ne connaissez pas bien ayrton senna.. .regardez simplement le grand prix du Brésil à interlagos en 1991…avec une boite de vitesse à l agonie il termine premier en hurlant de bonheur….inoubliable …Regardez « Ayrton Senna – Interlagos, Brasil 1991 » sur YouTube
    https://youtu.be/s6HLgJ96t9w

    Regardez « HaPolemilton and Senna Take in
    Montreal 25 Years Apart » sur YouTube
    https://youtu.be/CxTz0jbEc08

    Aucun pilote ne pourra jamais faire partager autant d’émotion….tu nous manques Ayrton….

  5. Pas inutile de rappeler que la McLaren-Honda de l’époque est désignée symboliquement, pour son incroyable palmarès, comme la meilleure F1 de tous les temps.

  6. Il faut quand même relativiser cette saison 88. C’était la dernière de l’ère turbo, quasiment toutes les équipes étaient passées à l’atmo sauf… McLaren et Ferrari. Et encore, Ferrari courrait cette saison là avec la voiture de 87 (alors que la McLaren était nouvelle).

  7. Un pilote hors normes avec une aura particulière et un état d’esprit différent, comme au GP du Canada : là où les autres disaient éviter les murs, lui disait les viser afin de passer le plus près possible et aller plus vite.
    Et un pilotage très instinctif face au professeur Prost, plus académique.
    Après lui il n’y a eu que Shumi qui a réussi à me faire rêver de la sorte.

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