F1 : quand marquer un point était un exploit

Le barème de points a évolué à de nombreuses reprises depuis la création du championnat du monde en 1950 et les dernières évolutions adoptées en 2003 (10-8-6-4-3-2-1) puis 2010 (barème actuel) ont atténué l’avantage de la victoire par rapport au barème 10-6-4-3-2-1 qui fut utilisé entre 1990 et 2002. Le premier changement, en 2003, visait clairement à freiner l’outrageuse domination de Ferrari en atténuant le poids d’une victoire, alors que celui de 2010 répondait à l’élargissement du plateau (3 nouvelles écuries). A ce propos, il est intéressant de simuler des championnats anciens avec le barème actuel :

1976 – barème original et avec barème 2010

1982 – barème original et avec barème 2010

1983 – barème original et avec barème 2010

1988 – barème original et avec barème 2010

1989 – barème original et avec barème 2010

1994 – barème original et avec barème 2010

Avec le barème actuel, on constate que Lauda aurait remporté pour deux points le titre 1976 face à Hunt et que Prost aurait obtenu le titre face à Piquet pour le très controversé championnat 1983 (mais Piquet n’aurait alors peut-être pas assuré sa 3e place au dernier grand prix pour marquer davantage de points). Prost, décidément mal récompensé, aurait été champion en 1988 (alors qu’à cette époque, seuls les 11 meilleurs résultats étaient retenus pour calculer le score), tandis que son titre 1989 fut net et sans bavure (Suzuka ?) avec quasiment 70 points de mieux que Senna. En 1990, l’accrochage au départ de Suzuka provoqué par Senna n’aurait pas suffi au brésilien pour s’assurer du titre. On remarque surtout qu’avec le barème actuel, les petites équipes auraient été mieux récompensées de leurs efforts, avec des totaux de points qui sont parfois décuplés et souvent une quinzaine d’équipes qui scorent ! Des équipes comme ATS, Ensign, Osella, Spirit, RAM auraient glané pas mal de points grâce à leurs arrivées dans les courses à élimination, fréquentes dans les années 80 au début de l’ère turbo, alors que le système de l’époque ne leur a jamais permis pour certaines d’inscrire le moindre point.

De même, certains pilotes auraient mieux figuré, comme Alex Caffi, qui gagne 5 à 6 places aux championnats du monde 1988/1989 (il finissait beaucoup de courses aux 7e-8e-9e places) ou Pierluigi Martini, qui serait passé de la 15e à la 11e place du championnat 1989 grâce à sa régularité et à la relative fiabilité des Minardi. Plus récemment, Hill aurait gagné le titre de la rocambolesque saison 1994. Mais ces inversions sont rares et on oublie le facteur psychologique, qui fait que l’application du barème actuel aurait sans doute impacté les attitudes et les tactiques de l’époque. Inversement, beaucoup de championnats n’auraient pas été bouleversés ou à la marge : Rosberg père remporte toujours le titre 1982 grâce à sa régularité, Piquet aurait encore plus écrasé 1987 grâce à sa collection de podiums et Mansell aurait même été battu par Senna pour le titre de vice-champion.

Modèle américain ?

Pour en revenir à la nouvelle réforme, serait- ce un signe de plus vers une « américanisation » de la F1 ?  Contrairement aux championnats estampillés FIA (WRC, WTCR, WEC, etc) ou européanocentrés (DTM, Moto GP, etc.) qui ont généralisé le barème 25-18-15-12-10-8-6-4-2-1, les championnats américains se démarquent par un barème plus généreux et plus étalé. L’Indycar attribue des points à tous les pilotes participant à une course, avec 50 points pour le vainqueur, 40 au second et 35 au 3ème, et ainsi de suite avec une dégressivité de seulement 1 point à partir de la 10e position. S’y ajoutent aussi des points bonus pour la pole position et le meilleur leadership, ainsi qu’un barème spécial à Indianapolis et un barème doublé pour la dernière course (ce qui fut expérimenté pour le Gp d’Abu Dhabi 2014 en F1 puis abandonné).

Le barème semble donc privilégier la régularité et évite à un éventuel pilote dominateur de tuer le championnat trop vite, sauf que contrairement à la F1 – formule monotype châssis oblige – le niveau entre les écuries est très serré, permettant de proposer des championnats très disputés jusqu’à la fin. Un pilote partant en 15e ou 20e position peut espérer, à la faveur des nombreuses neutralisations inhérentes aux courses US et de stratégies audacieuses, jouer le podium voire la gagne, ce qui semble hautement improbable en F1. Rappelons que 8 pilotes de 6 équipes différentes se sont partagés les lauriers de l’INdycar 2018, contre pour l’instant 4 pilotes et 3 écuries en F1, soit exactement deux fois moins. C’est encore pire pour les podiums, avec 14 pilotes Indycar qui en ont profité au moins une fois, contre 7 en F1.

La NASCAR est allée encore plus loin : entre 2011 et 2016, le barème instaurait une dégressivité unique de un seul point entre chaque position. Le vainqueur gagnait 40 points, le second 39, le troisième 38 et ainsi de suite. En 2017, le championnat a repris un système assez ressemblant à celui de l’Indycar, mais de toute façon la discipline reine du stock car se démarque avec son système de play-offs qui remet les compteurs à zéro pour les pilotes qualifiés en phase finale. Et là encore, force est de constater que la Nascar offre une grande diversité de vainqueurs potentiels.

La valeur du point en F1

Hormis quelques saisons atypiques comme 1982 ou 2012, la F1 n’a jamais disposé d’un plateau avec une douzaine de vainqueurs potentiels. Un nouveau barème ne changerait pas grand-chose à cela, mais en irait-il autrement pour les petites équipes, qui ont besoin de marquer des points pour « exister » ? Pas si sûr. Cette saison, tous les pilotes ont scoré et l’attribution de points jusqu’au 15e voire jusqu’au 20e ne changerait pas grand-chose au classement, étant donné que les abandons sont rares désormais. Que changerait pour Williams d’être 10e au classement constructeur avec 40 ou 50 points plutôt qu’une dizaine, si ses rivaux en ont 80 ou 100 ? Y aurait-il un effet psychologique à marquer plus de points, indépendamment de la position au championnat constructeur ? En tous cas, voici ci-dessous une simulation du championnat actuel avec un barème étendu aux 15e premiers, allant de 35 à 1 points marqués.

A une certaine époque, cela aurait eu un sens, en récompensant la régularité et la fiabilité. Jusqu’au milieu des années 90, la fiabilité des monoplaces était très aléatoire et même les équipes de pointe subissaient de fréquents abandons annuels. C’était justement la chance à ne pas manquer pour les « sans grade » du fond de grille afin d’accrocher 1, 2 voire 3 points salvateurs, et quelquefois des podiums inespérés, comme Johansson sur son Onyx (!) au Portugal 1989 ou JJ.Lehto avec Dallara à Imola en 1991. De temps à autre se produisaient des « courses hécatombes », une aubaine pour les petites structures, dont certaines peinaient déjà à se sortir de l’ingrate épreuve de préqualifications. Des structures comme AGS, Osella, Onyx, Minardi, Larrousse, et consorts dont les moyens humains, techniques et financiers étaient à des années-lumière des top teams.

Rien à voir avec aujourd’hui : Toro Rosso, Sauber, Williams et Mclaren occupent au championnat les positions qu’occupaient autrefois les Minardi, Footwork, Lola ou encore Dallara, mais avec des moyens sans commune mesure. Et que dire d’équipes comme AGS, Coloni, Pacific, Eurobrun ou Simtek, qui s’apparentaient davantage à des équipes de F3000 ! Pour ces petites équipes, marquer ne serait-ce que le point de la 6e place était à la fois un Everest à gravir et, en cas de réussite, un exploit hors normes, d’autant plus avec des courses alignant 26 concurrents. Une quasi-victoire que les nouveaux barèmes tendent à minimiser voire à effacer. Qui se souvient de la folie chez AGS quand Gabriele Tarquini accrocha la 6e place dans la course à élimination du Mexique en 1989 ? ou des pleurs de Luca Badoer quand sa Minardi lâchait prise au Nurburgring en 1999 à 10 tours du but, alors qu’il était en 4e position ? Avec le barème actuel, Badoer aurait déjà inscrit 7-8 points et aurait sans doute mieux encaissé son abandon. Mais ces pleurs étaient aussi magnifiques en ce sens qu’ils soulignaient la beauté de l’exploit qui avait été à sa portée.

Si dorénavant tout le monde marque, quelle saveur y aurait-il à finir 9e, 11e ou 13e ? Aurait-on à ce point acclamé le regretté Jules Banchi quand il arracha deux points à Monaco en 2015 avec sa modeste et funeste Manor ? Aurait-on retenu le magnifique point inscrit par Lella Lombardi au cataclysmique Gp d’Espagne 1975, le seul à ce jour obtenu par une femme ? N’avons-nous pas été admiratifs devant des pilotes capables de terminer dans le top 6 dès leur première course ? A quoi bon avec un barème où tout le monde inscrirait un point minimum ? Avec des points attribués aux 10 premières voitures pour 20 monoplaces en lice, le barème actuel, à défaut d’être exigeant, offre un bon équilibre. On a encore vu de belles batailles sur les dernières courses pour la 10e place, mais en serait-il de même avec un barème à l’américaine ?

Pour finir, une simulation du championnat 2018 avec un barème étendu aux 15 premiers pilotes, avec 35 points alloués au vainqueur :

Au final, hormis Sainz qui fait un joli bond au classement, pas de bouleversement. Williams détient 68 points au lieu des 7 actuels, mais à quoi bon en restant bons derniers du championnat constructeurs ?

Sources : statsf1.com pour les tableaux originaux des championnats

(5 commentaires)

  1. Pour ma part je serait assez favorable à une distribution façon motogp.
    Cela permettrait d’encourager les batailles loin derrière la tête course.
    Faut pas oublier que pendant l’ère des 6 permiers la fiabilité était très faible et permettait aux petites équipes d’accéder régulièrement aux pts
    Aujourd’hui point de salut pour qui est derrière: on moins on pourrait voir des batailles mème pour la 15e place.

  2. En 1976, marquer 1 point, c’est à dire finir 6eme, c’était un exploit
    Aujourd’hui, finir 6eme lorsqu’on n’est ni Mercedes, ni Ferrari ou ni Redbull, ça aussi, c’est un exploit… (heureusement que de temps à autre, Vettel ou Verstapen « aide » un pilote à réaliser cet exploit)

  3. Les barèmes suivent la fiabilité des Formule Un.

    A l’époque des barèmes pour les 6 premiers, même une écurie comme Minardi pouvait espérer marquer une fois dans l’année avec les casses moteurs, les sorties dans les graviers profonds (et pas sur un bout de « parking »), etc.

    Désormais, la fiabilité fait que les petits ne peuvent pas espérer grand chose.

    Un barème plus étalé, c’est la prime à la régularité vs. l’exploit d’une course sur 21.
    Mais, on pourra quand même remarquer que depuis 2015, il n’y a pas eu d’écurie à 0 point. Cette année non plus.
    Comme quoi il doit pas être mal ce barème.

  4. L’etape suivante c’est l’ecole des fans : tout le monde à gagné ! 10 points chacun 😉 décidément la f1 perd de tout son charme.

  5. Il ne faut pas oublier que les points constructeurs conditionnent le partage des retombées audiovisuelles entre les équipes.
    Il n’y aurait plus d’équipes à 0 et celles de fond, de grille, avec plus de points, pourraient obtenir de meilleurs reversement.

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