Le 8 avril 2005, MG-Rover fut officiellement déclaré en faillite. Le site de Longbridge produisit une poignée de Rover 25, 45 et 75, puis tous les employés rentrèrent pour la dernière fois chez eux. Ce fut un séisme dans le monde de l’automobile : il fallait remonter à Studebaker (1967) pour voir un généraliste disparaître corps et bien, sans même une reprise partielle de son outil industriel !
Lente agonie
En fait, MG-Rover était sur une voie de garage depuis longtemps. En 1950, la Grande-Bretagne produisait la moitié des automobiles européennes. Suite à de nombreuses fusions, trois groupes émergèrent : Rootes, BMC (devenu ensuite BMH) et BL. En 1968, le gouvernement travailliste d’Harold Wilson pilota une fusion entre BMH et BL. Le premier avait des voitures populaires (Mini, MG B…) mais une santé chancelante. Le second, roi du poids-lourd, avait des capitaux. Ensemble, ils devaient se compléter et former un mastodonte européen.
Ce fut une fausse bonne idée. Doublons dans la structure, valse des dirigeants avec autant de plans de relance, intrigues internes, syndicats qui se lancèrent dans des grèves mortifères… Et plus généralement, une absence total de recul et d’écoute du marché : beaucoup pensaient que de toute façon, par patriotisme, les Britanniques achèteraient leurs productions. En 1967, les ventes cumulées de BMH et BL atteignaient 913 000 unités. Avec la fusion, les dirigeants tablaient sur 1,1 million de véhicules par an. En 1978, le groupe, renommé BL, produisit 611 600 véhicules. 1982 fut la pire année, avec 383 100 unités.
Les gouvernements successifs acceptèrent de mettre la main au portefeuille, mais à condition que BL, devenu Austin-Rover Group, puis Rover Group, se restructure. Dans l’automobile, la période 75-95 fut marquée par des investissements lourds : nouvelles usines, diversifications, conquête de nouveaux marchés, etc. Sauf en Grande-Bretagne. Là, pour satisfaire les exigences gouvernementales, tout ne fut que fermeture d’usines, retrait des marchés extra-européens, vente des marques de luxe et d’utilitaires, recentrage sur le bas et le milieu de gamme, etc. Le groupe revint dans le vert, mais au prix d’un pingrerie permanente. Pour chaque nouveau modèle, les budgets étaient ultra-limités. Suite au partenariat avec Honda, les cadres dirigeants voulaient se contenter de poser un blason Rover sur les voitures japonaises. Ingénieurs et designers devaient se battre pour davantage de différenciation.
Le rachat par BMW, en 1994, n’a pas calmé le jeu. Bernd Pischetreider, alors PDG de la marque, découvrit que Rover avait urgemment besoin de nouveaux modèles, de nouvelles plateformes et de nouvelles mécaniques. En particulier dans les petites voitures, où les Mini et Metro/série 100 avaient largement dépassé la date de péremption. Or, BMW ne voulait investir autant. Qui plus est, il y eut vite des tensions entre les équipes allemandes et britanniques, chacun voulant donner des leçons aux autres tout en refusant d’en recevoir. Le ventes plongèrent de nouveau.
Phoenix Group
En 1999, cinq ans après avoir racheté Rover, BMW affichait un écriteau « à vendre ». Suite à la mévente de la marque britannique, Pischetreider dut partir. BMW avait beaucoup investi dans la nouvelle Mini et voulait se la garder. La production de la Rover 75 fut transférée d’Oxford à Longbridge, afin qu’Oxford devienne un site dédié exclusivement à MINI. BMW garda un projet de compact (la future série 1 E87 ?) Pour rembourser les dettes, ils vendirent Land Rover à Ford, qui voulait l’intégrer à son Premier Automotive Group. En revanche, il n’y avait aucun candidat pour MG et Rover. BMW menaçait de fermer l’usine. Quatre cadres, John Towers, Peter Beale, Nick Stephenson et John Edwards, formèrent un consortium, Phoenix Group. Les Allemands leur vendirent Rover et MG pour 10£ symboliques, en mai 2000, tout en leur laissant environ 500 millions de livres. La somme correspondait à environ trois années de chiffre d’affaires (si MG-Rover avait fait faillite dans les trois ans, BMW aurait été responsable, d’après la loi britannique.)
Les Britanniques se réjouirent : après une vingtaine d’années d’actionnariat japonais, puis allemand, Rover redevenait anglais ! Mais le butin était bien maigre. BMW laissait trois mois de production de la Mini, en attendant l’arrivée de la MINI, et la Rover 75, seule vraie nouveauté de l’ère BMW. Les vieilles 200 et 400 venaient d’être renommées 25 et 45. Mais les clients n’étaient pas dupes. En prime, Land Rover gardait l’exclusivité de tout 4×4/SUV portant le nom « Rover ». Quant à l’outil industriel, il se limitait à un unique site, Longbridge. Les ventes pour l’année 2000 furent de 197 940 unités (dont 175 000 sur le sol britannique.) C’est dire à quel point l’entité s’était rabougrie depuis 1970.
Optimisme de façade
Dans son état, le Rover Group était trop petit pour être viable. Il fallait pour le Phoenix Group chercher un partenaire qui accepterait de lui fournir plateformes et mécaniques. En attendant, il fallait rajeunir la clientèle. En 2000, monsieur Jones n’achetait plus de Rover. S’il voulait être patriote, il roulait en Ford ou en Vauxhall. La clientèle de Rover était plutôt âgée et plutôt rurale. Phoenix décida de renommer le groupe MG-Rover. Les Rover 25, 45 et 75 se dotèrent de dérivés sportifs badgés MG (sur le modèle des MG Metro, Maestro et Montego des années 80.) De quoi s’attirer une nouvelle clientèle de jeunes cols bleus urbains, d’autant plus que le constructeur avait mis en place une politique agressive de promotions et de financements. La F, unique modèle existant de MG, évolua en TF.
Pour souligner la relance, le groupe ressuscita son département sportif, en sommeil depuis la fin des années 70. X-Power aligna des ZR en rallye, des ZS en BTCC et il commandita une LMP2 à Lola. Il avait également des projets en DTM et en Indycar. Aux 24 heures du Mans 2001, MG s’offrit un grand stand. Les employés du constructeur râlèrent : ils auraient préféré que la dot de BMW soit investie dans de nouveaux modèles. Les deux Lola-MG EX257 abandonnèrent.
Qui veut être mon ami ?
MG-Rover s’est retrouvée isolée au pire moment. On était alors au cœur d’une vague sans précédent de concentrations. Ford venait de s’offrir Land Rover, Volvo et d’augmenter sa participation dans Mazda. GM, qui possédait déjà un important portefeuille de marques, devenait dans le même temps actionnaire de Suzuki, Subaru et Fiat Auto. Mercedes goba Chrysler et s’offrit Mitsubishi, tout en lorgnant sur Hyundai. Renault et Nissan s’étaient fiancés. Le losange croqua ensuite Dacia et Samsung. On prophétisait qu’à terme, il n’y aurait plus que quatre ou cing grands groupes. Et dans ce monde, MG-Rover n’était plus qu’un fétu de paille.
Surtout, le but de ces fusions-acquisitions était de mettre en commun les coûts de développements. Le temps des coopération ponctuelles semblait terminé ; il n’était plus question de travailler avec des tiers. Du coup, les discussions avec Fiat tournèrent court.
Les Britanniques durent se rabattre sur les autres. Les petits du bout du monde. Proton hésita à leur vendre sa berline Gen-2 et son bloc Campro. Matra fut approché pour sa voiturette M72. Tata fut bien content de vendre sa citadine Indica au groupe. Peter Stevens dut la maquiller en CityRover en un temps record.
MG-Rover s’offrit le modeste artisan Qvale. Stevens fut de nouveau mis à contribution pour la transformer en MG XPower SV. Rebadgés trop vite, la CityRover et la XPower SV étaient indignes d’un grand constructeur. Et elles n’étaient même pas produites en version à conduite à gauche !
Le projet de compacte fut ressuscité et sous-traité à TWR. Plutôt que de construire des prototypes, les hommes de Tom Walkinshaw travaillèrent exclusivement par ordinateur, une solution moins coûteuse et qui permettait de gagner du temps. Le concept-car TCV du salon de Genève 2002 montra que la voiture était presque prête. Hélas, suite au naufrage d’Arrows-TWR, le groupe de Tom Walkinshaw fit faillite. Les créanciers saisirent les fichiers informatiques. MG-Rover préféra saborder son projet que de racheter les fichiers au prix fort.
Vers 2002-2003, la situation financière devint critique. En Grande-Bretagne, les ventes étaient à peu près stables, mais ne pouvaient compenser des exportations en chute libre. Ainsi, en 2002, MG-Rover ne produisit que 142 355 voitures. En 2003, le chiffre tomba à 135 227. Il ne s’agissait plus de trouver un partenaire technique, mais carrément de chercher un actionnaire, voir un repreneur.
A la même époque, Bo Xilai, ambitieux gouverneur du Liaoning, prit en main Brilliance. La marque voulait créer des berlines premium aux standards européens. Afin de gagner en savoir-faire, Brilliance prit contact avec London Taxi et MG-Rover. Les négociations avec ces derniers allèrent loin. Brilliance a même assemblé une poignée de Rover 75 (renommées Zhonghua 75-800.) Mais les Chinois voulaient que MG-Rover finance l’industrialisation locale des voitures, alors que les Britanniques voulaient que Brilliance rachète tout ou partie du groupe. Le renvoi de Yang Rong, PDG de Brilliance sonna la fin de la partie.
MG-Rover se tourna vers un autre constructeur chinois, SAIC, qui n’était à l’époque qu’un modeste assembleur de VW Santana et de Buick Century. En 2004, SAIC racheta Ssangyong à GM. Pour amadouer les Chinois, les Britanniques s’offrirent un Ssangyong et le maquillèrent en MG avec des éléments en contreplaqué…
SAIC se rendit vite compte que MG-Rover était au bord du gouffre. Il y avait des dettes à éponger et des syndicats à cran. Le groupe chinois préféra jouer la carte du cynisme : attendre que MG-Rover ne fasse faillite, puis racheter les restes à vil prix.
La fin
En 2004, l’euphorie du rachat par Phoenix Group était loin. Les ventes étaient tombées à 114 069 unités. MG-Rover en était à essayer de sauver les apparences. Les Rover 25, 45 et 75 eurent droit à un ultime lifting. La 25 eut également droit à une version crossover, la Streetwise. Sa cousine MG, la ZR, eut elle droit à une version utilitaire (?), l’Express. Le constructeur s’associa à BRM, au girls band Atomic Kitten et au designer Matthew Williamson qui signa une 25 très kitsch, rose bonbon avec des néons et de la fourrure à l’intérieur.
La confiance en l’avenir de MG-Rover faiblissait. Certains distributeurs préféraient prendre une enseigne Daewoo, tout juste racheté par GM. Justement, les Britanniques voulaient copier l’agressivité commerciale des Coréens. Il fallait vendre à tout prix, en cassant les tarifs. Aux distributeurs sceptiques, MG-Rover sortit de nombreux prototypes : une RDX60 (le projet de compacte) roulante, un coupé 75, une Countrywise (75 break façon Audi Allroad), une MG ZT break 4RM et même des croquis d’une 75 très reliftée. Mais personne n’était dupe. Il était clair que le dialogue avec SAIC était rompu. Tony Blair déclara ouvertement qu’il n’aiderait pas MG-Rover.
Et le 8 avril 2005, Longbridge produisit ses dernières voitures. 6 000 emplois directs furent détruits.
Post-scriptum
La faillite de MG-Rover fut un choc. Les disparitions récentes ne concernaient que de tout petits constructeurs (Aro, De Tomaso, FSO, Panther…) Souvent, le constructeur était absorbé par un plus gros constructeur, qui lui prenait ses usines et ses projets (comme Talbot/Simca avec Peugeot, NSU avec Audi et VW, Glas avec BMW, Prince avec Nissan, etc.) Là, il s’agissait de la disparition complète d’un généraliste. D’autant plus que MG-Rover était symboliquement le dernier généraliste britannique, et que sa disparition mettait un point final au lent déclin de l’industrie automobile autochtone.
Il y eu des controverses concernant le Phoenix Group. Le quatuor a touché un salaire total de près de 50 millions d’euros durant la période 2000-2005. Quel était le rôle exact de Li Qu, une Chinoise soudainement apparue sur l’organigramme ? Officiellement, elle a touché 2,2 millions d’euros en tant que consultante lors des négociations avec SAIC. Mais la maitresse supposée de Nick Stephenson, l’un des quatre de Phoenix, n’a-t-elle pas bénéficié d’un emploi fictif ? N’a-t-elle pas carrément été la Mata Hari de SAIC (une théorie soutenue par le MI6 et étayée par l’implication de Li dans le rachat de LDV, qui fut également repris par SAIC) ?. Enfin, quid du fond de retraite des employés de MG-Rover ? Le trésor de guerre était estimé à 11 millions d’euros. Il disparut lors de la faillite du groupe et le Phoenix Group fut accusé de l’avoir subtilisé. Après plusieurs procès, il fut reversé en 2014.
De toute façon, même sans la probable prédation de Phoenix Group, MG-Rover était condamné. Il n’avait pas la taille critique pour survivre, ni réels partenaires pour développer de nouveaux modèles.
Le site de Longbridge connut de nombreux visiteurs à l’été 2005. Nombre de véhicules finis ou semi-finis furent rachetés par des négociants. Les amateurs d’archéologie urbaine fouillèrent les moindre recoins comme cette Mini Clubman trouvée dans un tunnel souterrain. Honda récupéra l’outillage de la 45, pour le détruire car il ne voulait pas qu’un tiers produise ce dérivé de Civic sans son accord. Richard Branson déclara qu’il voulait y produire des véhicules propres. David James, un habitué de la reprise d’entreprises en faillite, fit une offre. L’Iranien SAIPA voulait produire un dérivé de Kia Pride équipé du 1,8l turbo « K ». SAIC restait en embuscade.
La surprise, ce fut l’offre de NAC. Le Nanjing Automobile Group était l’allié chinois de Fiat et d’Iveco. Il avait également récupéré l’outillage de la première Seat Ibiza, alias Soyat. Mais même en Chine, ce n’était qu’un poids plume. NAC pouvait compter sur Ji Jianye, le tout-puissant gouverneur de Yangzhou, qui inclut Nanjing. De quoi ouvrir les portes des banques chinoises. Dans la délégation, il y avait Li Si Jiu, responsable technique de NAC. Hasard ou coïncidence, c’était également le père de Li Qu.
A l’arrivée, MG-Rover fut découpé en plusieurs morceaux. BMW reprit les droits d’utilisation de Rover. SAIC gagna les droits des 25 et 75, sans toutefois pouvoir les appeler Rover, d’où la création de Roewe. NAC obtint les droits de MG, ainsi que l’outillage des ZR, Streetwise, ZT et TF, et s’empressa de tout expédier à Nanjing, où fut bâti un site flambant neuf. GB Sports Car acheta le site de Longbridge, qu’il vendit à NAC. William Riley s’offrit XPower et une poignée de XPower SV inachevées.
Crédits photos : MG-Rover, sauf photo 6 (BMW), photo 9 (Alliance), photo 13 (Volkswagen), Silverstone Auction (photo 17) et MG (photo 18)