Discrètement, les Asiatiques conquièrent le sport auto. En ordre dispersé, avec des moyens et des ambitions hétérogènes, mais leur implantation ne fait aucun doute.
L’Extrême-Orient est densément peuplé : sur Terre, il y a plus de personnes qui y vivent que de personnes qui n’y vivent pas ! Si la F1 était une véritable « ONU des pilotes », il y aurait 10 Asiatiques sur la grille. Pour autant, parmi le millier de pilotes ayant tenté de disputer un Grand Prix de F1, les Asiatiques sont marginaux. Le prince Bira a ouvert la marche, dans les années 50. Grâce à Honda, puis à Toyota, le Japon possède le plus gros contingent. Alex Yoong est l’unique Malaisien, tandis que Narain Karthikeyan et Kharun Chandok représentèrent l’Inde. C’est tout. Une demi-douzaine de Chinois ont effectué un test F1, mais les écuries ne s’intéressèrent qu’à leurs portefeuilles. Quant à Jazeman Jaafar, malgré Petronas, il n’a qu’un strapontin chez Mercedes GP.
Mais tout cela, c’était avant. La F1 est implantée depuis longtemps en Asie. L’audience des Grand Prix est faible, pour autant de Kuala Lumpur à Seoul, des gamins ont grandi en regardant Lewis Hamilton ou Sebastian Vettel. Ils se disent : « Pourquoi pas moi ? » Une nouvelle génération arrive et elle est ambitieuse. Le nationalisme, exacerbé en Asie, y rajoute une couche : il faut faire la fierté de son pays. Le fait est que cette saison, on a vu de nombreux Asiatiques sur les podiums dans les formules de promotion.
Le Japon, en pleine réorganisation
Depuis une décennie, le sport auto japonais s’est recroquevillé sur lui-même. La Super Formula autorise un champion en titre à rempiler. Du coup, on y trouve un certain nombre de vétérans trentenaires, avec de nombreuses saisons au compteur. En Super GT, Toyota, Nissan et Honda offrent des contrats sur plusieurs années. Un Japonais peut faire carrière sans jamais avoir à quitter l’archipel.
Dans ce contexte, on voit mal un expert des circuits japonais aller en Europe. Pourquoi tenter une aventure où vous repartiriez de zéro en terme de notoriété et d’expérience ? Pour d’évidentes raisons de patriotisme, Honda voudrait en pousser un chez McLaren. Mais attention, politique interne oblige, ça doit être un pilote tatoué « Honda » ! De Satoru Nakijama à Yuji Iide, Honda et Toyota avaient déjà expédié des wagonnets de trentenaires, sans expérience de l’Europe et parlant exclusivement japonais. Le récent bide de Takuya Izawa en GP2 montre qu’aujourd’hui, les mêmes causes produisent les mêmes effets…
Pour un Japonais, il n’y a pas de débouché hors de Honda, Nissan et Toyota. Foutu pour foutu, pourquoi ne pas regarder à l’étranger ? Le Buzz Racing, écurie sino-japonaise, propose à des seconds couteaux d’aller en Asian Formula Renault. D’autres ont tenté leur chance, en solitaire, en Europe. Kimiya Sato fut ainsi le premier Japonais, depuis son homonyme Takuma Sato, à briller en F3. Sa chance, c’est que Taki Inoue est devenu conseiller d’Euronova et a cherché à recruter des Japonais pour l’Auto GP. Vice-champion 2013, Sato a remporté le titre en 2014. Depuis, Euronova a recruté Ukyo Sasahara (en FR NEC) et Shinya Michimi (qui a remplacé Sato en Auto GP.) Quant à Yu Kanamaru, après des débuts laborieux en FR NEC, il a décroché des podiums en EuroFormula Open. Sato, lui, vise désormais la F1, via le GP2. Mais, subtilité japonaise, il est jugé trop « européanisé » pour être recruté par Honda.
La Chine : à l’Est, du nouveau
Aujourd’hui, en terme de sport auto, la Chine est le deuxième pays asiatique. Son fer de lance, le CTCC, s’est métamorphosé en championnat compétitif. Les championnats monoplaces se sont structurés et ont rajeuni leur plateau. En 2015, le CFGP et l’AFR auront de nouvelles voitures.
Côté pilotes, chaque génération est plus motivée, plus précoce et plus professionnelle que la précédente. Les espoirs des années 2005-2010 se sont fait une raison. Ma Qing Hua, les frères Zhu, Cheng Cong Fu ou Ho-Pin Tung ont compris qu’ils pouvaient monnayer leur passeport et leur expérience auprès des constructeurs. Ils sont donc désormais en tourisme ou en WTCC. Seul Adderly Fong a préféré s’accrocher à une F1 chimérique, plutôt que de faire du GT avec Audi.
La génération suivante s’est exilée parce qu’elle s’ennuyait en Chine. Les Li Zhi Cong, Sun Zheng et Yuan Bo ont ainsi découvert l’Europe sur le tard. De quoi limiter leur marge de progression. Cao Hong Wei, parti plus tôt, a mieux su s’adapter. Il en a été récompensé par un titre en F3.
Bernie Ecclestone rêverait d’un pilote de F1 Chinois. En Chine, les audiences du tennis et du basket ont explosé avec Na Li et Yao Ming. Une demi-douzaine de Chinois ont roulé en essai. Mais pour l’instant, on attend encore « le » pilote du Pays du Milieu.
Deux nouveaux espoirs frappent à la porte : Kang Ling et Zhou Guanyu. Ils ont directement débuté en automobile en Europe. Zhou est surveillé de près par la Scuderia Ferrari, qui jure qu’il affole les chronos. A suivre ?
L’Inde, un espoir (voir deux) ?
Le sport auto a du mal à « prendre » en Inde. Le pays ne possède qu’un seul vrai circuit, Buddh. Chennai, utilisé par la MRF 1600 et la MRF 2000, est le pendant du Circuit Carole ! Narain Karthikeyan et Karun Chandhok se partagent les sponsors nationaux. Difficile pour un « troisième homme » d’exister. Sailesh Bolisetti et Aditya Patel, venus de la Polo Cup India, roulent désormais en endurance. Parth Gorpade et Raj Barrath, vus en Formula Masters China, en 2013, n’ont pas réussi à confirmer. Gorpade s’est blessé à bord de la F3 avec laquelle il devait disputer une demi-saison. Quant à Barrath, il est réapparu en MRF 2000.
La bonne nouvelle, c’est que Karthikeyan et Chandhok ont des héritiers désignés et qu’ils semblent à la hauteur. Tarun Reddy s’est offert des podiums en Protyre FR, avant de remporter la MRF 1600. Quant à Arjun Maini, il a terminé deuxième de la F4 BRDC. Pourront-ils confirmer en F3 ? En attendant, ils passent un hiver studieux, l’un en MRF 2000 et l’autre, en TRS.
La Malaisie, le prince déchu
Parmi les pays asiatiques, la Malaisie semblait tenir la corde il y a 2 ans pour amener un pilote en F1. Y compris face au Japon. Mais depuis, le pays a reculé. Petronas a beau être le principal sponsor de Mercedes F1, Jazeman Jaafar n’y a qu’un rôle subalterne. Pour la défense des « gris », ses deux saisons de FR3.5 n’ont guère impressionné.
En F3 ATS, les ex-rivaux Nabil Jeffri (éphémère pilote d’essai de Lotus Racing)et Weiron Tan (ancien membre de la Caterham Academy) ont obtenu quelques podiums. Malheureusement, tous les autres espoirs se sont volatilisés. A commencer par Natasha Seatter, pourtant championne de FG 1000 2012-2013.
Plus généralement, la Malaisie s’est endormie sur ses lauriers. Sepang fut longtemps l’unique grand circuit d’Asie du Sud-est. Il était incontournable pour tous les pilotes de la région. A commencer par les Chinois. Depuis, les autres pays se sont doté d’infrastructures, alors que la Malaisie n’a toujours que Sepang. Le projet de tracé urbain pourrait relancer la machine.
L’Indonésie, un nouvel arrivant bruyant (à défaut d’être brillant.)
Rio Haryanto a longtemps été le seul Indonésien au plus haut niveau. Champion 2009 de Formula BMW Pacific, il a depuis progressé jusqu’en GP2. Le problème, c’est qu’il lui manque le talent et des sponsors pour grimper la dernière marche. Derrière, il y a Sean Gelael. Ses deux saisons de F3 n’ont guère impressionné, mais le petit-fils du patron de KFC Indonesia possède des arguments sonnants et trébuchants. Pour se rendre indispensable chez Carlin, il n’a pas hésité à sponsoriser les voitures de ses équipiers Antonio Giovinazzi et Tom Blomqvist !
Mais la nouveauté 2014, c’est le projet ambitieux de Tommy Suharto. Le fils du dictateur déchu, volontiers flamboyant et mégalomaniaque a rasé les murs pendant 10 ans. En 2013, sa société, Humpuss, a discrètement sponsorisé Senna Iriawan et Darma Hutomo en Asia Cup Series. En 2014 il a mis sur pied une écurie de Formula Masters China, Humpuss Junior, toujours avec Iriawan et Hutomo. En parallèle, il essaye de ressusciter le circuit de Sentul (dont il avait commandité la construction, dans les années 90.) Cette année, il a accueilli le Lamborghini Trofeo Asia, sa première épreuve « internationale » depuis des lustres. L’an prochain, Sentul s’offrira un meeting de Formula Masters China. Jusqu’où ira Suharto Jr ? On se souvient qu’il rêvait de monter une écurie de F1…
La Thaïlande, heureux hasard
Pour l’instant, il n’y a pas de filière structurée. Néanmoins, quatre Thaïlandais s’illustrent depuis peu. Vice-champion d’EuroFormula Open 2013, Sandy Stuvik s’est promené en 2014. Son équipier Tanart Sathienthirakul a eu plus de difficultés à s’imposer. Par contre, Alexander Albon, 3e de l’Eurocup FR 2.0 2014, est l’un des principaux espoirs de Lotus. Quant à Nanin Indra-Payoong, alias « Shogun », il est l’unique étranger du Japan F3. On le dit surveillé par Toyota…
En parallèle, le pays s’est enfin doté d’un circuit ultra-moderne. Buriram a été inauguré par le Super GT et il accueillera le WTCC en 2015. De quoi développer des vocations.
Et les autres ?
La Corée du Sud est un véritable paradoxe. Elle possède une industrie automobile florissante, plusieurs circuits « internationaux » (notamment Inje et Yeongam), elle accueille un Grand Prix de F1… Mais point de pilotes coréens. Jordan Oon ou Che One Lim sont passés en F3 de manière complètement anonyme.
En janvier dernier, Andrew Tang remportait la Toyota Racing Series. C’était le premier gros titre d’un Singapourien en monoplace et le premier d’un non-Néo-zélandais dans la discipline. Appelé sous les drapeaux, Tang a demandé une dispense, le temps de finir la TRS. Il a même eu le temps de disputer une épreuve de FR ALPS. Mais il n’a pas échappé au service militaire et sa saison 2014 s’est arrêtée là. Pourra-t-il reprendre en 2015 ?
Macao et Hong-Kong ont une longue tradition sportive. Les riches amateurs ont pris l’habitude de se défouler au Grand Prix de Macao, puis à Zhuhai et à Zhaoqing. Idem à Taiwan, où Penbay a été bâti par et pour les gentlemen-drivers. Désormais, ils profitent de la montée en puissance du pôle chinois. Le Chinois de Hong-Kong Wei Fung Tong et le Chinois de Macao Chang Wing Chung, ont tous deux roulé en FF, puis en F3.
A Taïwan, Audi a du adouber le grisonnant Jeffrey Lee, faute de mieux. Et comme chaque année, le team D2 nous promet un grand programme international pour l’an prochain…
Crédits photos : British F3 (photo 1), Renault Sport (photo 2), Nissan (photo 3), Auto GP (photo 4), Citroën (photo 5), FMCS (photo 6), Ferrari (photo 7), Karun Chandhok (photo 8), MRF (photo 9), F3 ATS (photo 10), FIA Europe F3 (photo 11), FRD (photo 12), EuroFormula Open (photos 13 et 15), CTCC (photo 14) et Toyota New Zealand (photo 14)