A la fin des années 80, l’ascension des Japonais semble irrésistible. Après avoir conquis le milieu de gamme, ils veulent s’attaquer aux constructeurs de GT et de voitures de luxe. Le plan a échoué, mais il en reste des projets spectaculaires.La toute première Datsun/Nissan vendue en Europe est importée par Sir Herbert Austin. Ce dernier entend dire que des Japonais fabriquent une copie de sa Seven. Il s’en procure une et se rend compte… Que la copie est meilleure que l’original ! Les Seven suivantes recevront ainsi les modifications apportées par les Japonais.
1) copier, 2) améliorer, tel pourrait être le mot d’ordre des premiers industriels japonais. S’y ajoute une politique commerciale innovante. Jusque dans les années 1970, les industriels occidentaux ont des politiques conservatrices. Ils lancent des produits destinés à leur marché intérieur. Puis ils les adaptent a posteriori pour les marchés étrangers et ne vendent que dans les sphères d’influence de leur pays (ex-colonies, alliés, etc.) Les Japonais, eux, veulent exporter à tout prix. Ils se focalisent d’emblée sur les goûts des étrangers. Ensuite, ils n’ont pas de scrupules, quitte à commercer avec leurs « ennemis intimes » Chinois et Sud-Coréens. C’est grâce à cela qu’ils conquièrent l’industrie des motos, de l’électronique grand public et plus tard, des consoles de jeu. En quelques années, les entreprises occidentales, pourtant bien installées, sont balayées.
Dans l’automobile, le Japon bénéficie d’un coup de pouce inattendu : la crise de 1973. Les Américains prennent peur et veulent des voitures plus petites et plus économiques. Or, les Japonais sont alors les seuls à en proposer, sur l’ensemble du territoire. Et ils ont bien compris que les gens veulent des voitures fiables, bien équipées, avec une bonne tenue de route (l’antithèse des productions US, britanniques ou italiennes de l’époque…) Les politiques mettent en place des mesures protectionnistes ? Pas grave : ils ouvrent des usines d’assemblage en Europe et aux Etats-Unis. Ils vont même jusqu’à s’associer à des constructeurs en difficulté (Nissan avec Alfa Romeo, Honda avec Austin-Rover, Toyota avec GM, Mitsubishi avec Chrysler…) pour se donner une image de « sauveurs ».
Dans Garde à vue (1981), Michel Audiard fait dire à un jeune : « Elles sont nulles, les bagnoles japonaises ! Ils savent faire que des motos ! » Mais 10 ans plus tard, fini de rire. Le règne des Japonais semble total. A l’image de Honda, qui remporte 15 des 16 Grand Prix de 1988. Mazda remporte les 24 heures du Mans 1991, la Nissan Micra est sacrée voiture de l’année, Toyota domine le championnat du monde des rallyes et Mitsubishi est le seul vrai rival de Citroën en rallye-raid. Ils ont l’air d’avoir une longueur d’avance en terme de design, de technologie ou de concepts. On leur doit le design rétro ou le retour des coupés. Tout ce qui est japonais semble promis à un bel avenir. Y compris hors des constructeurs établis. On se presse au salon de Tokyo où on les écoute, tel des messies. A la bourse, toute entreprise japonaise voit sa cote gonfler.
La prochaine étape, c’est le luxe. Simultanément, Honda, Mazda, Nissan et Toyota créent des marques de luxe. Ils pensent avoir trouvé ce qui a fait le succès de Jaguar et Mercedes (leurs deux benchmarks) La Lexus LS 400 copie largement la Classe S. Quant à l’Infiniti M30, elle porte le nom de « Leopard » dans l’archipel… La 911 est clairement visée par les RX-7, 300ZX, 3000 GT et Supra (mais là, personne ne copie le dessin originel.) Honda, fort de ses succès en F1, veut carrément ridiculiser Ferrari avec la NSX. Avec Amati, Mazda souhaite s’installer au-dessus du premium allemand, envisageant un W12 quelques années avant Audi. Tous les moyens sont orientés sur le luxe. Le bas de gamme est laissé en friche, ce qui donnera un espace aux Sud-Coréens…
Il faut savoir que la croissance japonaise de l’époque est largement financée par l’immobilier, la spéculation boursière et l’emprunt. Les grands groupes japonais sont des keiretsu, des conglomérats tentaculaires, souvent dirigés par une seule famille. L’opacité financière est de mise avec des participations croisées de capital entre filiales et de chiffres non publiés. Enfin, il y a des liens incestueux avec le monde politique et les yakuza ; des prête-noms qui siègent dans les conseils d’administration et des mallettes distribuées peu avant les campagnes électorales…
En 1989, les prix de l’immobilier continuent de grimper, alors que la demande s’essouffle… Sans surprise, les prix s’effondrent l’année suivante. Les banques, qui prêtent généreusement aux promoteurs, sont ruinées. En 1990-1991, par un effet domino, c’est toute l’économie de l’archipel qui s’effondre. Pour se renflouer, le Japon applique une politique d’austérité très sévère. Les patrons des keiretsu se font gronder. Il y a une simili « opération main propres », qui touche surtout les plus imprudents et ceux qui n’ont pas un bon carnet d’adresses.
Dans ce contexte, l’heure n’est plus à la fanfaronnade chez les constructeurs. Les véhicules déjà lancés sont livrés à eux-mêmes. Les marques premium sont des flops. Dans le premium, l’image de marque compte presque autant que le produits. On ne peut pas bâtir une notoriété du jour au lendemain. En plus, ils s’adressent à une clientèle plutôt conservatrice, peu encline à acheter japonais. Dans les GT, ils ont peut être trop privilégié le côté « ingénierie », au détriment du design. Le projet Amati de Mazda, revu à la baisse, donne la Xedos. Honda doit quitter la F1 sur la pointe des pieds. En quelques années, la situation des Japonais change du tout au tout. Les leaders d’hier sont à genoux. Au point d’accepter l’inacceptable : l’intervention des gaijin. Mazda se fait renflouer par Ford, Isuzu par GM, Nissan par Renault et Mitsubishi par Daimler. Les Occidentaux leur imposent aussi leurs vues commerciales et industrielles. Une fois remis sur pied, les Japonais s’empresseront de couper les ponts avec les étrangers. Entre temps, les Japonais se sont intégré au paysage : en Europe et aux Etats-Unis, il n’y a plus de blocage. Aux Etats-Unis, Acura, Lexus et Infiniti ont enfin acquis un cachet suffisant. Le marché est prêt pour des Japonaises haut de gamme, comme les Nissan 350Z et GT-R ou la Lexus LFA. Mais l’ère de la folie des grandeurs a vécu…
Crédits photos : Honda (photos 1, 2 et photos de la galerie N°1 et 11), Dome (photo 2 et photo de la galerie N°4), Mazda (photo de la galerie N°2, 13, 17 et 18), Nissan (photo de la galerie N°3, 6, 7, 8, 9 et 12), Mitsubishi (photo de la galerie N°5 et 21), Toyota (photo de la galerie N°10, 14, 19 et 20), Suzuki (photo de la galerie N°15) et Chrysler (photo de la galerie N°16.)
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