Normalement, cette rubrique a pour titre « le nanard du samedi ». Mais Jour de tonnerre n’est pas un nanard. C’est plutôt un film qui a mal vieilli…Top Gun 2
En 1986, le réalisateur Tony Scott et les producteurs Don Simpson et Jerry Bruckheimer sont les rois du pétrole. Top Gun est un méga-carton: 15 millions de dollars de budget et 176 millions de dollars de recette, rien qu’aux Etats-Unis!
On leur soumet alors un script sur une biographie de Tim Richmond. Richmond est une étoile-filante de la Nascar, fils d’un entrepreneur qui a fait fortune dans le T.P., il mène une vie facile avec pas mal de filles et de grosses voitures. Il court juste pour le plaisir, en kart, puis en dragster. Il atterrit en Indycar, pilote une Supermodified à 3+1 roues et se lance en Nascar (3e en 1986, avec 7 victoires.) Malade du sida, il devient un paria et meurt seul, en 1989.
Une histoire digne d’un roman du XIXe siècle. Par contre, ça ne fait pas un blockbuster potentiel : trop « noir ». Scott, Simpson et Bruckheimer se disent alors : « On s’en fout! On va faire Top Gun en Nascar! »
Tom Cruise reprend donc le rôle de « Maverick ». A savoir un gentil beau gosse charismatique, qui connait des revers, mais finit par triompher. La seule différence, c’est qu’il s’appelle Cole Trickle. Rien à redire sur le jeu de Cruise : il est impeccable dans le rôle du beau gosse.
Nicole Kidman (alors inconnue) est Charlie Blackwood/Claire Lewicki. La prof devient une doctoresse (une intello, quoi.) C’est un peu le « quota de femme » du film (histoire que les spectateurs viennent avec leurs copines.) C’est lors du tournage que Kidman rencontre Cruise, qui deviendra peu après son mari.
Michael Rooker est Rowdy Burns/Goose, le pote pleurnichard, éliminé à mi-parcours. Son personnage est vaguement basé sur Dale Earnhard (d’où la voiture noire et blanche.) Pas sur que « Intimidator » ait apprécié son alter-égo…
Cary Elwes est Iceman/Russ Wheeler, le méchant aryen.
Dans cette galerie de personnages taillés à la serpe, il y a deux nouveaux:
– Robert Duvall joue Harry Hogge (inspiré d’Harry Hide, le team-manager de Richmond.)
– Randy Quaid est Tim Daland, patron d’écurie vénal et radin. Son personnage est une caricature de Rick Hendrick, qui fournira les voitures utilisées dans le film!
Le tournage
En 1989, il n’y a pas encore d’effets spéciaux numériques. Jour de Tonnerre a donc été tourné à l’ancienne, avec de vraies voitures. Tom Cruise devra même réellement piloter!
Pas de stock-shot non plus. Les 3 voitures seront alignées aux épreuves de Phoenix 1989 et aux Daytona 500 1990 (avec de vrais pilotes, cette fois.) De quoi permettre d’avoir des plans « en situation ».
Une Nascar sera transformée en voiture-travelling pour les plans dynamiques additionnelles.
C’est ce côté « vrai » qui, vu de 2013, permet d’apprécier le film. A l’époque, on accusait Scott de tourner des clips vidéos. Mais par rapport à un Luc Besson ou à un Michael Bay, Scott semble bien sobre!
Le succès de Top Gun avait surpris la production. Ils ont du improviser des produits-dérivés après la sortie du film. Là, ils prennent les devants: petites voitures, modèle réduit et surtout, un jeu vidéo (sur NES et Game Boy, les supports phares de l’époque.)
Sur les photos officielles, tout le monde fait des risettes. En pratique, le tournage s’éternise et les producteurs s’engueulent fréquemment avec le réalisateur.
En prime, les producteurs jouent les divas! Ils se font bâtir une salle de gym dans leur hôtel. Simpson se fait offrir un stock de robes (qu’il offre à des jeunes filles pour les séduire) et il organise des soirées avec Tone Loc (qui est alors au fait de son éphémère gloire.)
Le film, si vous aimez la Nascar
Les fans sont servis. Le fait qu’ils utilisent de vraies voitures durant de vraies courses est un plus indéniable. A cela s’y ajoute des scènes de course spectaculaires, avec caméras dans les voitures ou au ras du bitume.
Scott a tenu à insérer du réel. Charge aux fans de reconnaitre tel scène, tel cameo de pilote ou de qui est inspiré tel personnage.
En plus, Scott dépeint une Nascar où les pilotes foncent tête baissée et où tout le monde dit ce qu’il pense. Un monde idyllique, sans combinazione, sans politiquement correct, sans sponsors envahissants, sans calculs d’épiciers, sans amphétamines… Bref, un monde qui correspond davantage à la discipline dans les années 60-70 qu’à celle de l’époque du film.
Le film, pour les autres
C’est l’archétype du film hollywoodien des années 80 avec poussées de testostérone, grands sentiments dégoulinants et happy end grotesque.
Bruckheimer est de ceux qui pensent que le héros doit être plus idiot que le spectateur (afin qu’il y ait une meilleure identification.) Cruise est donc un modèle de macho bas du front : il passe son temps à dire et à faire ce qu’il ne faut pas, au moment où il ne le faut pas. D’ailleurs, il est plusieurs fois dit clairement que non, ce n’est pas une lumière. Et les autres personnages sont raccord. Même Quaid met longtemps à comprendre que ses deux pilotes se tirent dans les pattes! Seul Elwes semble avoir un Q.I. à 3 chiffres. C’est le schéma classique : trop d’intelligence nuit; vous devenez méchant! Vous voulez être bon et heureux? Soyez idiot!
Le film en lui-même est assez bancal. Il alterne les séquences de clips (notamment pendant les courses) et les sous-intrigues (censées intéresser un public plus large.) Mais les personnages manquent de profondeur. D’où viennent-ils? Quelles sont leurs motivations? On ne le saura jamais et les scénettes de comédies tombent comme un cheveu dans la soupe.
En plus, on a l’impression que tous les circuits se ressemblent (logique: ils ont tourné à Daytona et à Charlotte pour le statique, avec des plans à Daytona et Phoenix pour le dynamique.) Sans faux jeu de mots, on tourne en rond!
Le grand talent de Scott est d’avoir filmé à un rythme de tortue et de malgré tout, livrer un produit bâclé!
Big one
A l’arrivée, le film aura coûté 60 millions de dollars (soit 4 Top Gun.) Le problème est qu’il sort fin 1990.Les goûts du public ont changé ; l’heure n’est plus aux héros qui roulent des mécaniques (alias « films reaganiens ».)
Au box office, c’est le bide: 80 millions de dollars aux Etats-Unis. Pour Tony Scott, ce sera hélas le début d’une traversée du désert. Les mauvais résultats d’exploitation du Dernier Samaritain (1991) et True Romance (1993) achèveront de le décrédibiliser auprès des producteurs.
Tom Cruise, lui, a vu le vent tourner. Avec Rain Man ou Né un 4 juillet, il quitte les habits de beau gosse pour enfiler un costume de « vrai acteur ». Ainsi, il négocie le virage des années 90, contrairement à d’autres minets (Val Kilmer, Rob Lowe, Charlie Sheen…)
Avec Jour de tonnerre, Cruise a découvert le sport auto. Il attrape le virus et s’offre une 300 ZX, qu’il engage en IMSA. L’acteur est rapide et son pilotage est très généreux (cf. sa prestation dans Top Gear.) La Nissan termine plusieurs fois dans le bac à sable, avec des éléments de carrosserie chiffonnés. Les studios prennent peur: Cruise est le plus « bankable » des acteurs, il ne faudrait pas qu’il lui arrive malheur. Et il doit donc remiser sa carrière d’aspirant-pilote.
Enfin, il faut noter que Jour de tonnerre inspirera beaucoup les pilotes européens de « caisses à portes ». C’est la grande époque du Supertourisme et l’émergence des grosses coupes monotypes (Carrera Cup, Venturi Cup, Ferrari Challenge…) Les pilotes se prennent pour Cole Trickle : ils s’offrent des casques ouverts, avec micros intégrés. On prend en photo les pilotes casqués et assis dans leur voiture. L’utilisation des caméras embarquées devient plus systématique.
Alors que jusqu’ici, on n’avait que des images de voitures vue de l’extérieur ou du pilote, tête nue, posant avec sa voiture.
Crédits photos: Paramount, sauf photo 10 (Nissan USA) et photo 11 (BTCC.)
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