Pendant l’ère Bahar la Lotus Elise a fait l’objet de bien peu de considération. Symbole du Lotus pour chaps, antithèse de la vision du nouvel homme fort car incapable des grosses marges espérées et trop synonyme de garagista pour l’ancien employé Ferrari, on lui avait signifié une pré-retraite rapide au fond des catalogues et les objections des amateurs orthodoxes étaient balayées d’un “On ne veut plus vous voir ! C’est vieux, c’est fini, place au glamour et à l’exclusif, en plus vous êtes mal habillés”. Et pourtant. Loin des guest stars cachetonneuses, du champagne et des paillettes, l’Elise et sa cousine l’Exige ont fait profil bas, continué à assurer le gros des maigres rentrées de la marque et à entretenir la flamme y compris et surtout dans les bureaux d’études de Norfolk. Résultat des courses: à Francfort en 2011, Dany Bahar présentait à son corps défendant en guise de nouveautés…l’Elise S et l’Exige V6, qui ont, ironie délicieuse, survécu pour l’heure à celui qui voulait les enterrer. Il aurait dû se méfier, Elise a beau être un poids coq, elle a toujours boxé au-dessus de sa catégorie.
En prenant possession d’un exemplaire tout neuf dans les locaux de LCI, l’importateur japonais de la marque qui nous l’a confié, l’heure était aux retrouvailles. La base de comparaison dans le cas de votre serviteur était une Elise S2 essayée il y a deux ans ainsi qu’une Exige S là encore dans un passé pas très récent. De l’extérieur, peu de changement de premier abord. La silhouette et le gabarit (longueur : 3824mm, largeur : 1719mm, hauteur : 1117 mm) sont les mêmes depuis le début, mais dans les détails le style est à la page avec un museau sculpté et rabaissé, des LEDs et un diffuseur en carbone très tendance à l’arrière par lequel pointe une sortie d’échappement centrale. Campée sur des roues noires forgées (16 pouces à l’avant, 17 à l’arrière) chaussées en Advan Neova qui respirent le grip, l’Elise 2012 n’a pas pris une ride. Sa silhouette, qui mélange un certain esprit de voiture de sport sixties et des lignes tendues beaucoup plus modernes, est devenue classique et on ne voit pas ce qui pourrait la démoder.
La porte format carte postale, dont elle a d’ailleurs à peu près le poids, s’ouvre sur le petit habitacle toujours aussi difficile d’accès. La faute aux segments de la coque qu’il faut enjamber en baissant la tête dans une figure dont seule une pratique assidue permet d’éviter l’effet Mister Bean pour les gentlemen et une imitation convaincante de Paris Hilton période upskirt pour les ladies (la manoeuvre est à peine plus facile toit enlevé). Une fois à bord, on n’est pas si mal. Le baquet a une course réglable étonnamment longue qui permet de trouver la position idéale, le volant a juste la taille qu’il faut et le toucher du petit levier en aluminium brossé sous la paume est aussi naturel qu’agréable. D’ailleurs, l’alu brossé est partout, mélangé à du plastique façon fibre de carbone et une touche d’Alcantara dans les contreportes.
Alors bien sûr on n’est pas dans une Aston Martin ou une Porsche ou même une Mégane. Mais la qualité d’assemblage a progressé et l’ambiance, surtout dans une voiture neuve, échappe aux adjectifs spartiate, voire misérabiliste, et peut être qualifiée sans rire de minimaliste et épurée. Le fameux porte-gobelet télescopique fait d’une simple tige d’alu et d’une bande de tissu n’est plus un gag mais un artefact stylistique comme le pédalier en alu tourné. Le hipster moyen ne le sait sans doute pas, malheureusement pour Lotus, mais il ne trouvera pas meilleur intérieur pour assortir avec son Macbook Pro, d’autant qu’avec le package toutes options de cet exemplaire, vitres électriques, clim, verrouillage centralisé, alarme et immobilisateur, stéreo avec prise usb et ipod (un combiné Alpine rapporté qui fait un peu tâche esthétiquement) l’Elise est presque vivable au quotidien si on accepte d’y mettre le prix.
Pour en terminer sur les aspects de vie à bord, le coffre situé derrière le moteur est également bien mieux traité que par le passé avec, excusez du peu, un vrai revêtement intérieur. On continuera cependant d’éviter d’y stocker pains de glace et denrées périssables, la proximité immédiate avec la salle des machines dispensant des températures plus propices au réchauffage de plats cuisinés. Evidemment loin d’être caverneux, cet emplacement permet cependant de ranger sans trop de difficultés le nécessaire pour un week-end à deux, et c’est là l’essentiel.
La mise en route se fait via un bouton start/stop sur le tableau de bord. L’éveil à la vie du moteur n’est pas particulièrement spectaculaire. Le nouveau et vertueux (Euro 5) 4 cylindres 1,8l Dual VVT-i Toyota de la famille 2ZR-FE propulse le coeur de la gamme Toyota dans ses différentes variantes, de la Corolla à l’Auris à la Prius. Fidèle à ses origines de grande série, il sait se tenir et ne noie pas l’habitacle dans le vacarme ni les vibrations. Mais, plutôt que le timbre aristocratique des architectures nobles, il dispense la gouaille sympathique des petits moteurs encanaillés par une ligne d’échappement des plus simples.
Le compresseur Eaton de marque Magnuson est de même d’une discrétion qui l’honore, bien loin du hululement d’aspirateur fou qui domine nos souvenirs de l’Exige S. Cela ne veut pas dire qu’il ne fait pas son travail. Sur le papier d’abord, où il permet à la voiture d’afficher 220 chevaux pour 250 Nm de couple à 4600 tr/mn. Et dans la réalité son apport est immédiatement évident dès les premiers mètres. Le supplément de couple à bas regime donne une souplesse très appréciable à basse vitesse et du muscle en abondance dès que l’on appuie sur l’accélérateur. Le 0 à 100 km/h est effacé en 4,6 secondes revendiquées, de quoi ridiculiser la quasi-totalité de la production automobile qui veut s’y frotter.
En jouant du court levier pour rester dans les tours, un exercice rendu aisé par la boîte de vitesse au toucher mécanique mais précis et facile à appréhender et l’étagement court des 3 premiers rapports, on peut exploiter au mieux les 220 chevaux sans qu’à aucun moment on ne se sente dépassé par la puissance. A ceux qui sourient au chiffre d’apparence modeste, rappelons que les chevaux en question n’ont à pousser que 924 kg de voiture. Le rapport poids-puissance de 4,2 kg/ch définit depuis le début l’Elise au même titre que l’excellence de son châssis.
Et excellent est un euphémisme pour ce bijou de mise au point. C’est dans les enchainements des courbes de la route serpentant les montagnes d’Hakone que l’Elise brille. Le comportement est parfaitement neutre, la direction idéalement calibrée et d’une précision diabolique permet de placer l’avant exactement où l’on le souhaite, sans la moindre tendance de sous-virage, les Neova aidant bien dans cette tâche. Le grip est phénomenal et la voiture vire complètement à plat, même si les suspensions sont nettement plus confortables qu’on pourrait s’y attendre. La progression à rythme soutenu est un bonheur dans cette voiture parce que par-dessus tout elle est saine dans ses réactions et par là-même rassurante tout en étant d’une précision au scalpel.
Il n’est pas besoin de tenter le diable et de se mettre dans des situations critiques pour enrouler de façon plaisante et efficace. A tout moment on “sent” la voiture autour de soi, d’une part via la direction au toucher magique et d’autre part parce que la voiture étant légère l’inertie est réduite au minimum dans les mouvements de caisse. Tout au plus aimerait-on par moment des freins un peu plus mordants, Lotus ayant choisi de dimensionner au plus juste au prétexte que la voiture est légère, mais c’est vraiment histoire de trouver quelque chose à reprocher à cette petite merveille. Allez, si, une autre petite pique : la direction, si agréable une fois en route, est fort lourde pour les manoeuvres.
En conclusion, l’Elise dans son incarnation la plus récente et pouvue de cette motorisation est plus moderne que jamais et pas loin de la perfection. Toujours éminemment fidèle à la philosophie de la marque (pré-2010), arrivée un niveau de maturite totale, elle ne pèche que par sa practicité qui, si elle est bien meilleure qu’elle ne le fut, reste limitée au regard d’un tarif qui ne l’est pas tellement : pas loin de 50 000 euros dans cette exécution. Mais plus les années passent et plus il devient évident que l’Elise est à la fois un classique et une auto intemporelle de par sa définition pure qui ne laisse pas de prise à la mode ou à l’obsolescence technique, comme la Seven avant elle.
Crédit photos : PLR/le blog auto
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