Jacques Villeneuve ou comment tronçonner la branche sur laquelle on est assis

La semaine dernière, nous avions évoqué la fin de carrière chaotique de Nigel Mansell. Comme l’a souligné un lecteur, en matière d’anti-gestion de carrière, Jacques Villeneuve est imbattable. Durant ses deux premières saisons de F1 (soit 33 Grand Prix), il remporte un titre, gagne 11 courses et monte 19 fois sur le podium. 9 ans plus tard, lorsque BMW le vire, son palmarès ne s’est garni entre temps que 4 podiums!

Né en 1971, Jacques Villeneuve est trop jeune pour se souvenir des années de vache enragée de son père Gilles. Il grandit dans une institution suisse très select (d’où son français sans accent.)

Pour l’anecdote, son prof de gym s’appelle Craig Pollock. Et l’hiver, lorsqu’il part au ski, il fait les 400 coups avec le fils du chalet voisin, Patrick Lemarié.

Gilles Villeneuve se tue au volant d’une Ferrari alors que son fils a 11 ans.

Quelques années plus tard, Jacques se lance à son tour en sport automobile. Il porte le N°27 (celui de son père chez Ferrari.)

Etats-Unis, Italie, Japon, retour aux Etats-Unis… Ses débuts ne sont guère convaincants. Pour le paddock, il est juste un énième « fils de ».

L’éclosion de Villeneuve fils a lieu en 1994, en Indycar. Un fameux cigarettier canadien le soutien et monte une écurie, le team Green, autour de lui.

Meilleur débutant en 1994, il survole la discipline en 1995, avec 5 victoires (dont les fameuses 500 miles d’Indianapolis) et le titre. Jacques se fait un prénom.

Pendant ce temps, la F1 se cherche un héros. Damon Hill et Michael Schumacher dominent le championnat. Mais ils ont un mode de vie assez austère et ils s’expriment par monosyllabes dans les médias.

Beau gosse, polyglotte, connu en Amérique, a priori rapide et disposant d’un patronyme qui fait rêver les fans, Villeneuve est le casting parfait pour Ecclestone.

A l’été, Bernie fait le tour du paddock pour caser son nouveau chouchou. Ferrari (encore tributaire du N°27 en course) regarde le Québécois d’un œil amusé. Chez Benetton, Briatore (qui vient de recruter Alesi et lui cherche un équipier) hésite. Franck Williams (qui veut juguler les ambitions d’Hill) saute le pas.

Villeneuve teste ainsi la Williams, lors d’une séance pas vraiment à huis clos…

A l’hiver, Villeneuve lime le bitume pour éviter un destin à la Michael Andretti.

A la reprise du championnat, il se montre d’emblée au niveau de son équipier. Il manque même de remporter son tout premier Grand Prix, avant d’être trahi par son carter d’huile.

Ecclestone a eu le nez creux : Villeneuve devient vite la coqueluche du paddock.

Les journalistes l’adorent : enfin un pilote qui s’exprime franchement !

Toujours souriant, il pose volontiers avec les anciens collaborateurs de son père.

Le seul qui râle contre lui, c’est le frère de Gilles (qui s’appelle également Jacques.) Pourtant, ce dernier profite largement de « l’effet Jacques Villeneuve » pour relancer sa propre carrière!

Philip Morris, sponsor notamment des écuries McLaren et Williams, se dit que si ça continue comme ça, mieux vaudrait transférer les couleurs de « rouge et blanc » chez Williams. Histoire de les rendre plus visible…

Le championnat 1996 tourne à un mano a mano entre les pilotes Williams. Le Québécois conteste jusqu’au bout la suprématie du Britannique. Hill a néanmoins le dernier mot.

Villeneuve est confiant pour 1997. Renault a annoncé qu’il se retirerait à l’issu de cette saison. Mais Williams lui jure que BMW prendra le relais.

Mais ce n’est pas aussi facile que prévu.

Afin de motiver ses ingénieurs, Renault Sport a tenu à développer un tout nouveau moteur, le RS9. Un choix désastreux : le Québécois et son nouvel équipier, Heinz-Harald Frentzen, sont victime de casses à répétition.

Frustré, le pilote commence à râler. Sur son équipe, sur le moteur Renault et plus tard sur le nouveau règlement (qui impose des voies étroites et des pneus rainurés pour 1998.)

Villeneuve remporte le titre in extremis, après que Schumacher ait tenté une manœuvre kamikaze.

Contrairement aux autres pilotes titrés chez Williams, il rempile à l’issu de son succès. On l’a convaincu que le départ d’Adrian Newey n’aura aucun effet. Faute de Renault, Williams se contentera d’un dégriffé, mais on lui promet que dés 1999, le BMW arrivera.

Villeneuve est à l’apogée de sa gloire. Teint en blond, il se présente comme « l’homme qui a battu Schumacher », déambule dans une combinaison toujours plus ample et pose torse nu pour Playgirl.

En pratique, c’est la douche froide. La Williams FW20 est loupée. Sa version revue et corrigée, la FW20B, ne fait guère mieux.

Quant à BMW, il repousse pour la énième fois son arrivée : pas avant 2000, voir 2001…

Villeneuve, qui pensait défendre son titre, assiste en spectateur au duel Hakkinen-Schumacher. Démotivé, il n’essaye même plus de grapiller quelques points.

Quelques mois plus tôt, British American Tobacco (BAT) a annoncé qu’il voulait se lancer en F1. A la grande surprise du cigarettier, il découvre que la plupart des écuries sont à vendre ! Son choix se réduit à 3 dossiers.

Chez Minardi, Gabriel Rumi, atteint d’un cancer, sent que sa fin est proche. Mais le discret industriel italien n’arrive pas à « vendre » son projet aussi bien que ses concurrents.

Chez Benetton, David Richards est persuadé qu’il tient la corde. Les Subaru alignées en WRC par sa société, Prodrive, sont sponsorisées par BAT. Il leur propose de reprendre Benetton et d’y mettre à sa tête des hommes de Prodrive.

Reste enfin le projet de Craig Pollock, manager de Villeneuve. Il souhaite partir de zéro, en ne reprenant que la « franchise » de Tyrrell. La structure serait dirigée par Adrian Reynard (dont les châssis dominent le CART) et Barry Green (fondateur du Team Green.)

Pollock joue de son bagou légendaire pour séduire BAT. Il remporte la timbale. Richards, qui s’était mis en porte-à-faux, se fait virer par les frères Benetton.

Pollock et BAT voient grand. Villeneuve, fâché avec son employeur, s’embarque dans l’aventure. Une usine est bâtie juste à côté de celle de Reynard. C’est le deuxième budget de la F1, derrière Williams, mais devant Ferrari et McLaren. Adrian Reynard rappelle que ses châssis se sont imposés durant leur première course en Formule Ford, en F3 et en Indycar…

BAR (British American Racing) donne l’impression d’être une bande de copains: Lemarié est recruté comme pilote d’essai et Mika Salo, pote de Villeneuve, y fait un intérim.

En prime, Pollock profite de l’abandon de l’écurie Honda F1, pour obtenir un moteur Honda officiel pour 2000. Au nez et à la barbe de Jordan, jusqu’ici partenaire privilégié du constructeur japonais.

La BAR 01 est un flop. Le constructeur termine dernier du championnat (derrière Minardi!) et pour la première fois, Villeneuve ne marque aucun point dans l’année.

Les choses s’améliorent en 2000, avec les premiers points de l’équipe.

Le Québecois, jamais à une excentricité près, évoque un double-programme F1+CART, avec Green.

Pour 2001, Olivier Panis est recruté. En cette période où Schumacher est archi-dominateur, Villeneuve clame qu’il est le seul capable de battre l’Allemand et que l’an prochain, c’est sûr, la BAR sera au niveau…

Le Québécois retrouve le chemin des podiums et ses nombreux fans se remettent à vibrer.

2003 marque la fin du rêve. Les cigarettiers ne sont plus en odeur de sainteté dans les paddocks. BAT commence à revendre des parts à Honda. Le constructeur Japonais vire Pollock et embauche David Richards.

Richards n’a pas pardonné à Pollock de lui avoir « piqué » le budget BAT. Il n’aime pas Villeneuve et ne s’en cache pas. L’Anglais multiplie les piques. Il dit qu’il pourrait créer une « Star Academy de la F1 », où le vainqueur prendrait son baquet (sous-entendu: n’importe qui est plus rapide que lui.)

Honda voudrait caser Takuma Sato.

JV résiste à la pression. Son contrat, émis à l’ère Pollock (par Pollock) est bétonné. Plutôt que de chercher un accord à l’amiable, il opte pour la technique de la terre brûlée. En fin de saison, Honda préfère émettre un chèque que de continuer à le subir. Sato le remplace à Suzuka.

Ecclestone reste persuadé que Villeneuve est le seul capable de battre Schumacher. Il fait le tour du paddock pour le caser. Le feuilleton « il faut sauver le soldat Villeneuve » passionne le Québec.

Le Québécois propose de courir gratuitement chez Ferrari, mais avec un statut de « co-N°1 ». Schumacher refuse.

On le dit ensuite proche d’un volant chez Williams.

Finalement, en fin de saison, c’est chez Renault qu’il atterrit. Jarno Trulli a commis l’imprudence de changer de manager (son manager sortant étant un certain Flavio B.) Briatore songe à Montagny (qu’il manage) pour le remplacer. Mais donc, grâce au lobbying de Mister E., le Québecois décroche la timbale.

Avant de disputer le moindre Grand Prix, il paraphe aussi un contrat chez Sauber pour 2005.

Le bilan de son passage chez Renault est modeste. Pas assez affuté physiquement, c’est une vraie chicane mobile.

Il donne l’impression de s’intéresser davantage à ses projets immobiliers ou à son album.

Dans l’écurie Suisse, il accumule quelques points. Mais Massa, pourtant jugé brouillon, est plus régulier que lui.

Peter Sauber s’attendait à ce que le nom « Villeneuve » mobilise les sponsors. Il n’en est rien.

A l’été 2005, Peter Sauber vend son écurie à BMW. Mario Thiessen, le nouveau patron, n’a que l’embarras du choix: Nick Heidfeld est assuré d’avoir un baquet, il aimerait bien en donner un au rapide Robert Kubica et puis il y a un jeune pilote qu’il serait dommage de laisser filer, un certain Sebastian Vettel

Comme chez BAR en 2003, on demande poliment à Villeneuve de partir. Et comme chez BAR en 2003, il agite son contrat: il a signé pour deux ans et il sera pilote BMW-Sauber, de gré ou de force.

Ainsi, il est au départ en 2006. Il fait même jeu égal avec Heidfeld. Néanmoins, on l’attend au tournant. Une violente sortie de route au Grand Prix d’Allemagne sert de prétexte pour le mettre sur la touche.

Après 163 Grand Prix, la carrière de Villeneuve s’achève.

Ensuite, il annonce qu’il fera de la Nascar, à l’instar de Juan-Pablo Montoya. A ceci près que contrairement au Colombien, il n’est pas « attendu » là-bas.

En fait, faute de sponsors et de réels soutiens, il n’a disputé à ce jour que 3 courses de Sprint Cup et 7 courses de Nationwide!

Son seul réel fait de gloire est d’avoir envoyé valser son compatriote Patrick Carpentier, alors que ce dernier s’apprêtait à raccrocher le casque.

Il annonce ensuite qu’il veut être le deuxième pilote à réaliser le triplé F1-Indy-Le Mans (avec Graham Hill.)

Il s’engage avec Peugeot et termine deuxième des 24 heures du Mans 2008. Comme d’habitude, les relations entre le Québecois et son team sont orageuses et malgré une victoire aux 1000km de Spa, il prend la porte.

On le retrouve en Speedcar. Il fait parti des nombreuses stars recrutées par la discipline.

C’est là qu’il entre en contact avec Durango Racing.

Vers 2010, faute de débouchés en endurance ou en Nascar, il se retourne vers la F1!

Après avoir déposé une candidature spontanée chez USF1GPE, il fait parti de la liste des pilotes Stefan GP (au même titre que Ralf Schumacher et Kazuki Nakajima.)

Dany Bahar l’approche pour le compte de Lotus. Le constructeur a donné son imprimatur à Lotus Racing, mais Bahar veut une grande équipe Lotus, qui émanerait d’ART GP. Le Québecois serait la tête d’affiche d’ART GP-Lotus en 2011. En attendant, il roulerait en Indycar dans une équipe sponsorisée par le constructeur.

JV refuse et c’est Takuma Sato qui hérite du baquet chez KV-Lotus.

Quelques mois plus tard, Villeneuve annonce qu’il sera pilote-propriétaire d’une écurie soutenue par Durango Racing. Le projet fait long feu.

On l’annonce également au départ de la course d’Indycar de Las Vegas, parmi une flopée de grands noms censés (dont aucun ne fera le déplacement.)

Aujourd’hui, Villeneuve n’a pas vraiment de programme fixe. Désormais, lorsque son nom apparaît quelque part, c’est que c’est un coup fumant (cf. l’i1 Super Series.)

Trop confiant, il s’est perdu dans l’aventure BAR. Ensuite, il a eu tort de s’accrocher à tout prix à ses baquets, au lieu de préparer l’après-F1.

Ensuite, il est clair que son franc-parler ne l’a pas aidé, à l’ère des communiqués millimétrés…

Crédit photos: Jacques Villeneuve, sauf photos 6, 8 et 10 (Williams), photos 12, 13 et 14 (Honda), photos 1 et 17 (BMW), photo 19 (Peugeot), photo 20 (Durango), photo 21 (Lotus) et photo 22 (Trophée Andros.)

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